.png)
Acheter un terrain: mon meilleur pire investissement
L’été 2020, c’est l’été des parcs nationaux, des campings, des chalets et de la perte d’amis Facebook.
À défaut de pouvoir aller à Old Orchard, on se bouscule afin de trouver un coin de forêt ou de plage pour aller manger des hot-dogs à la cuisson approximative en contemplant la beauté des paysages de chez nous.
Pendant que mes concitoyens se ruent vers un coin de campagne, je me remémore avec émotion mon meilleur pire investissement ever.
Moi aussi j’ai déjà voulu aller dans le bois
Tôt dans ma vingtaine, je sentais que c’était important que je fasse un move financier afin de me donner du levier pour plus tard. J’avais pas envie d’un engagement à long terme comme une hypothèque sur une maison ou un duplex et j’avais peur d’investir en Bourse…
J’ai donc décidé d’acheter un terrain.
Cette aventure ne fut ni simple, ni agréable, ni lucrative.
Premièrement, je suis (visiblement) pas un expert dans ces choses-là et clairement pas qualifié pour donner des conseils.
Ma seule expertise, c’est ma recette de grilled cheese sur pain brioché. Ça et les 1001 erreurs financières que tu peux faire dans ta vingtaine. La seule erreur que j’ai pas faite, probablement parce que j’ai trop de respect pour l’Égypte antique, c’est de tomber dans une arnaque pyramidale.
Comme toute bonne histoire, ç’a commencé sur Kijiji
C’était pas la première fois que je magasinais pour un terrain. Depuis le secondaire, par plaisir et par rêverie, je fouillais internet pour trouver le prix des îles désertes, des villas et des vergers que je ne pourrais jamais me payer.
Au fil des ans, à défaut d’avoir la liquidité pour acheter un manoir, j’avais accès à assez de crédit pour m’acheter une terre à bois.
De fil en aiguille, dans les bas-fonds de Kijiji, je trouve un terrain qui est un peu plus loin de la ville que ce que je voulais, mais le prix par pied carré était intéressant. Je me suis donc rendu dans les fins fonds de Lanaudière pour le visiter.
Rendu sur place, le vendeur m’a fait faire le tour du propriétaire et je sais plus exactement comment, mais il a réussi à me convaincre d’acheter une plus grande superficie que ce qui était prévu.
Fail
En suivant ses conseils, j’accepte également d’utiliser, par son entremise, les services de son arpenteur (sans jamais avoir aucun contact avec ledit arpenteur).
Fail
C’est seulement après avoir contracté le prêt et signé l’acte de vente que j’ai réalisé que j’avais pas de plan de mon terrain. J’avais des données d’emplacement, mais je n’avais pas de petit dessin qui montrait où était mon terrain par rapport à la route et aux terrains des voisins.
Fail
À ce moment-là, je savais que j’avais un terrain de la bonne taille, dans la bonne ville, mais je n’étais pas certain que l’emplacement que le vendeur m’avait verbalement mentionné était le bon.
Fail
Je contacte la ville, ils finissent par m’envoyer un plan du cadastre municipal sur lequel mon terrain se trouve vraiment PAS au bon endroit. Je les recontacte à ce sujet et ils me disent qu’il ne faut pas se fier au cadastre municipal, que c’est tr ès approximatif…
Finalement, j’ai dû avoir recours aux services d’un autre arpenteur qui, lui, allait prendre la peine de me faire un dessin pour me confirmer que mon terrain est bel et bien où il est censé être.
OK.
Mais c’est vraiment quand j’ai décidé d’aller passer quelques jours là-bas que j’ai réalisé que je n’étais pas dans l’utopie boréale dont je rêvais.
SURPRISE : Il n’y a pas de prise électrique dans le bois
Je répète, il n’y a pas de prise électrique dans le bois.
Je sais, vous allez me dire que c’est évident, mais quand on est jeune et rêveur, on pense pas à ça.
Le simple fait de voir un fil électrique au loin n’est pas suffisant pour charger mon smartphone.
Et faire venir l’électricité sur mon nouveau terrain avec des poteaux électriques – qui pourraient éventuellement me permettre d’avoir une prise de courant – me coûterait plusieurs dizaines de milliers de dollars.
Aussi, on peut reprocher plein de choses à notre société, mais l’eau courante, c’est un petit bijou. On l’a jamais dit comme ça, mais l’aqueduc, c’est vraiment cool.
En titubant dans la nuit avec ma pelle, mon papier de toilette et mon chasse-moustique, je me suis demandé: «Pourquoi j’ai pas pris un terrain avec des services municipaux déjà?»
Trouver un terrain (d’entente)
J’avais aussi oublié de prendre en considération que, l’année suivante, j’allais me départir de ma voiture et que «à juste 1h30 de Montréal» allait devenir «à l’autre bout du monde». Parce que non, la carte Opus ne se rend pas jusqu’au royaume du maringouin.
Des idées de grandeur
Pourquoi j’ai acheté un terrain de plus de deux hectares alors qu’un dixième de la superficie aurait fait l’affaire… et aurait coûté une fraction du prix? J’avais une vision idéaliste de la spéculation qui allait se faire sur ces terrains-là et la demande que j’anticipais (et qui allait faire grimper la valeur de mon terrain) n’est jamais arrivée.
Avec le recul, mettons que c’était à refaire, avant de signer les documents chez le notaire du vendeur, je demanderais probablement d’avoir une version numérique de l’acte notarié pour la montrer à mon propre notaire.
Je sais que ça va rajouter des frais, mais quelques 100$ pour s’assurer que tout est réglo, c’est pas cher payé pour la tranquillité d’esprit.
D’ailleurs, si vous avez des questions sur quoi que ce soit en lien avec une transaction immobilière, il existe la ligne 1-800-NOTAIRE (c’est pas une joke).
Ils donnent des conseils juridiques gratuits.
Il est aussi sage d’envisager de faire un test de sol, non seulement pour savoir si le sol est apte à recevoir un bâtiment lourd ou un puits, mais également pour savoir si le sol est contaminé, ce qui affecterait considérablement la valeur du terrain.
La partie financière de l’achat d’une propriété mériterait son propre article. Disons seulement que faire comme moi et financer un terrain avec un prêt personnel à 12% d’intérêt par année, c’est pas une bonne idée.
Pour le plaisir de l’autotorture financière, voyons ce que j’aurais pu faire avec cet argent-là.
Disons qu’en 2012, le terrain m’a coûté 25 000$.
Si, à la place, j’avais mis ce montant-là à ce moment-là dans un compte épargne à 3%, j’aurais 31 000$.
Dans un fonds indiciel qui suit le S&P 500, disons le VFV, j’aurais 75 000$.
Dans Facebook? 155 000$.
Les bitcoins? 900 000$.
Dans les actions de Tesla? 1 250 000$.
Et mon terrain que j’ai payé 25 000$ en 2012 vaut aujourd’hui…
(roulements de tambour)
24 000$.
Fail
Quand on se compare, on se console
Mais tout ça, c’est de la spéculation. C’est facile de s’autoflageller et de se dire qu’on aurait donc dû investir dans autre chose.
J’aime me dire que si j’avais eu l’idée de soutenir l’industrie aéronautique québécoise en investissant mon argent dans les actions de Bombardier en 2012, mon 25 000$ vaudrait maintenant… 2 500$.
Au final, j’ai quand même acheté un magnifique terrain, trop boisé, trop grand, trop loin, trop peu desservi par les services et non accessible en transport en commun.
D’ailleurs, je pense le vendre (pour m’acheter des actions de Bombardier), à qui la chance?