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Vous vous rappelez cette scène iconique du film Intouchables dans laquelle Philippe achète une œuvre d’art abstraite pour 40 000 euros? Driss, ébahi, admet sans honte qu’il trouve cela ridicule. Après cet achat, Driss décide de peindre lui-même un tableau que Philippe vendra à une galerie pour 11 000 euros.
Cette scène, qui peut paraître anodine, est en fait une parodie du marché de l’art. En effet, d’un point de vue extérieur, c’est à n’y rien comprendre. Des questions surgissent : comment une œuvre en apparence si simple (voire simpliste) peut-elle valoir autant? Comment peut-on savoir quelle pièce acheter pour investir? Les rouages du marché de l’art étant mystérieux pour le commun des mortels, j’ai décidé d’investiguer pour savoir comment on peut investir dans l’art en 2019.
Comme on pourrait s’y attendre, la réponse n’est pas simple. Pour m’aider à démystifier le tout, j’ai fait appel à Dominique Robichaud et Camille Cazin qui ont créé la galerie virtuelle Fatale Art. Elles ont accepté de m’aider à vulgariser le marché de l’art qui, me font-elles remarquer, se modernise de plus en plus.
Ce qu’il faut savoir à la base
Le marché se divise en deux aspects : le marché primaire et secondaire. Le primaire, ce sont les galeries d’art. Celles-ci agissent comme des agents d’artistes. Elles exposent les œuvres, s’occupent du marketing, des relations de presse, de l’organisation des vernissages, etc. En échange, elles prennent un pourcentage des profits des ventes. En général, c’est du 50-50 tout dépendant de la notoriété de l’artiste et de la galerie. Comme l’expliquait Christine Bernier dans cette entrevue, le pourcentage de profit peut être encore plus grand dans les galeries les plus prestigieuses.
« Si tu veux acheter pour l’investissement, c’est un grand défi, mais ça se fait. »
Selon Dominique Robichaud, si vous souhaitez investir dans l’art, il faut d’abord et avant tout définir pourquoi. Pour faire de l’argent? Pour décorer votre chez-vous de manière personnalisée? Pour encourager des artistes? Si votre motivation première est de faire de l’argent, alors oui, il faut vous informer et apprendre sur le milieu. « C’est hit or miss et il faut en acheter beaucoup pour avoir la chance qu’un artiste perce sur le marché international. Si tu veux acheter pour l’investissement, c’est donc un grand défi, mais ça se fait », explique-t-elle.
L’Association des galeries d’art contemporain (AGAC) offre d’ailleurs un programme pour aider les non-initiés à faire leur premier achat.
« Acheter de l’art, c’est comme acheter du vin. »
Ceci étant dit, une œuvre doit d’abord et avant tout être appréciée par celui ou celle qui l’achète. Pour faire comprendre la dimension personnelle de l’art, les deux femmes utilisent une métaphore assez universelle : « acheter de l’art, c’est comme acheter du vin ». « Il faut en goûter beaucoup pour réaliser ce que tu aimes. Plus tu en goûtes, plus tu développes ton palais et le goût va évoluer avec l’expérience. L’art n’est pas toujours fait pour être compris, il n’y a pas juste un message », précise Dominique.
Le futur collectionneur doit donc s’y intéresser à sa manière : aller voir des expositions, lire sur les artistes qui l’interpellent, faire des recherches sur des galeries d’art, etc. C’est aussi possible de faire affaire avec un spécialiste qui choisira des œuvres pour vous.
Le web : une nouvelle manière de trouver des œuvres à collectionner
Si vous n’avez pas quelques centaines, voire quelques milliers de dollars à mettre sur une œuvre d’art, vous trouverez chaussure à votre pied dans les galeries renommées. Pour pouvoir découvrir à votre aise et faire « votre palais artistique », le web est une véritable mine d’or.
Dominique Robichaud mentionne entre autres l’application WYDR qui se décrit comme un « Tinder de l’art visuel » puisqu’elle utilise la méthode « swipe à droite ou swipe à gauche » pour permettre aux utilisateurs de trouver une pièce d’art qui leur plaise.
Cette nouvelle manière de découvrir l’art est particulièrement intéressante puisqu’elle va à l’encontre du côté très conservateur du marché de l’art. « Les sites web des galeries sont arrivés très tard. Beaucoup d’entre elles ne mettent même pas les prix et retiennent un certain nombre d’informations sur les œuvres. Quand tu gardes l’info, tu restes l’expert, ce qui va à l’encontre de l’idéologie d’aujourd’hui qui tend vers un partage du savoir », souligne Camille Cazin.
Le prix d’une œuvre
Il faut aussi comprendre qu’une œuvre unique, ça a un prix. Tout dépendant de la notoriété de l’artiste et des matériaux utilisés, l’œuvre doit être vendue à un certain prix pour respecter le travail accompli.
Pour établir le prix d’une œuvre, un artiste qui débute doit calculer le prix des matériaux et se donner un salaire horaire. Puis, il doit prendre en considération son marché. Est-il régional? National? International? Quel est le prix d’une œuvre du même style (grosseur, type d’art) dans son marché? Jusqu’ici ça peut paraître relativement simple.
La réputation d’un artiste ou ce que le milieu dit sur lui est un facteur clé dans la détermination de sa valeur.
Là où ça se corse, c’est lorsqu’on prend la notoriété de l’artiste en compte. La valeur d’un artiste ne doit jamais descendre et c’est pourquoi il est important de ne pas mettre les prix trop hauts. À cette étape, les galeries sont souvent impliquées dans le processus de vente et savent établir des prix qui ne nuiront pas à la valeur de l’artiste tout en ayant un potentiel de vente. Comme le mentionne cet article de Vox, la réputation d’un artiste ou ce que le milieu dit sur lui est un facteur clé dans la détermination de sa valeur.
En tant que collectionneur ou futur collectionneur, il est recommandé de bien magasiner et de connaître la valeur approximative d’un artiste ou d’une pièce afin de faire un achat éclairé. Sa valeur a-t-elle augmenté ces dernières années? A-t-il gagné en notoriété? Si oui, il peut s’agir d’un bon investissement. Mais rien n’est jamais garanti et il vous faudra user de patience si vous espérez faire des profits.
Acheter de l’art : une manière d’être engagé?
À travers la création de Fatale Art – une galerie qui cherche à mettre en valeur les oeuvres d’artistes qui s’identifient comme femmes – Camille et Dominique contribuent à la démocratisation des arts visuels tout en véhiculant une pensée féministe. « Dans ce milieu, les femmes artistes sont souvent sous-représentées, explique Camille. Les pièces les plus chères sont souvent faites par des hommes, et les moins chères par des femmes. On considère souvent l’homme artiste comme quelqu’un qui a une passion, et une femme artiste comme quelqu’un qui a un passe-temps ».
À la lumière de ma conversation avec ces deux entrepreneuses, je ne peux m’empêcher de penser qu’un consommateur d’art vote aussi avec son portefeuille. En achetant une œuvre qui va à l’encontre des codes traditionnels du marché de l’art, on contribue à bousculer un peu le système.
Bon investissement ou pas?
Vous aurez compris qu’investir dans l’art pour faire de l’argent n’est pas une mince affaire. Ça prend du temps, beaucoup de patience et aussi, un portefeuille de départ. Si vous achetez de l’art canadien – c’est-à-dire une œuvre créée par un.e artiste canadien.ne d’une valeur d’au moins 200$ – vous pouvez même bénéficier de certains avantages fiscaux tel que des crédits d’impôt correspondant à un certain pourcentage de la valeur de l’œuvre. Le marché vous intéresse? N’hésitez pas à consulter des spécialistes pour vous aiguiller.
Si vous vous considérez comme un simple amateur d’art et que vous voulez en acquérir pour le plaisir de vos yeux et bien, allez-y d’abord avec votre cœur. Peut-être qu’avec le temps, votre collection aura pris de la valeur sans même que vous vous en rendiez compte. Vous aurez ainsi fait d’une pierre deux coups!