On raconte souvent les histoires de ceux et celles qui performent, qui réussissent des exploits et qui nous impressionnent. Mais qu’en est-il des récits d’échecs? De toutes ces fois où les choses ne se sont pas passées comme prévu? Dans ce dossier, je m’intéresse au « DNF », soit la mention « did not finish » qui est octroyée aux personnes qui ne complètent pas la course à laquelle elles s’étaient inscrites.
Quand est-ce qu’on sait qu’il faut arrêter? Comment on se sent lorsqu’on doit prendre cette décision, aussi crève-coeur soit-elle? Découvrez les réponses à ces questions à travers les histoires de Mylène Sansoucy (ci-bas) et de Jean-François Cauchon à l’Ultra-Trail Harricana.
Mylène Sansoucy cumule déjà trois courses d’ultra-trail cette année avant même qu’elle n’entame les 125 km de l’Ultra-Trail Harricana (UTHC). L’athlète à succès commence sa saison de course avec les championnats du monde de trail en Autriche, où elle complète les 85 km de l’épreuve avec un temps qui lui permet de se tailler une place au 47e rang.
Si la présence de cet accomplissement au parcours de Sansoucy peut paraître logique, elle n’est pas moins gage de sa solidité en tant que coureuse. Suite à cette compétition d’envergure, ce sont les 80 km du QMT et les 100 km de l’Ultra-Trail du Fjord du Saguenay qui attendent l’ultra-marathonienne, qui rafle la première place dans les deux cas. Le sommet de sa saison demeure toutefois l’épreuve du 125 km à l’UTHC, où elle avait remporté l’argent en 2022.
Pleine de confiance et forte d’une préparation monstre, Mylène Sansoucy se place sur la ligne de départ. C’est un vendredi du début du mois de septembre, il est 13h, et les montagnes de Charlevoix avec leurs 4 220 mètres de dénivelé positif l’attendent avec impatience. Les mêmes montagnes qui, bien que Mylène soit alors loin de s’en douter, seront les témoins silencieux de sa souffrance, pas moins de dix heures plus tard.
Vous ne me croirez probablement pas, mais c’est une mouche qui a empêché Mylène de compléter son ultra-trail. Tout s’est passé rapidement : une mouche dans l’œil qui déconcentre, un pied qui se prend dans une racine, une chute vers l’avant dans une descente rocheuse. « Je me suis relevée et je me suis dit: “Ah, je ne saigne pas!”. Je suis habituée de m’accrocher et de me faire des blessures mineures, c’est même un running gag avec mes enfants qui me disent : “Maman, tu t’es fait bobo” », me raconte-t-elle.
Mais là, ça a cogné fort. L’athlète sent une douleur aiguë dans sa cuisse gauche, en plus de ne plus pouvoir utiliser sa main droite. Cette dernière l’inquiète moins, même si elle implique une journée à l’hôpital, le lendemain. Après tout, on n’a pas besoin d’une main pour courir. « Je me suis dit que si ça restait comme ça, que ça serait correct. En courant des ultra-trails, on est capables d’accepter un niveau d’inconfort et celui-là, je pouvais le tolérer. »
La suite des événements s’enchaîne en vitesse, bien qu’elle ait pu sembler interminable sur le coup. La prise d’un mauvais embranchement à 15 km qui ajoute 1 km à la course de Sansoucy aurait pu être un autre signe qu’il fallait s’arrêter, mais la coureuse refuse de freiner, et réussit à compléter les grosses montées des Morios et de la montagne de la Noyée.
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Après 50 km, la douleur est de retour et plus vive que jamais. L’athlète a toutefois la confiance de s’engager dans un tronçon de 18 km où il n’y a rien, sur un sentier technique et reculé qui mène à la barre des 80 km de l’épreuve. Il fait maintenant nuit, les coureur.se.s avancent à la lumière de leurs lampes frontales.
À la moitié du segment, Mylène ne peut plus courir. Ça élance dans sa hanche, le long de sa bandelette et dans son genou, qui compensent depuis le tout début pour son quadricep déficient. « J’ai essayé de me masser, mais ç’a juste fait refroidir mon corps et après, je n’étais même plus capable de marcher », explique-t-elle avant de me raconter le calvaire qui a suivi.
Pendant 8 km, Mylène boite sur le sentier, avant d’arriver au ravito où des bénévoles l’accompagnent jusqu’au Mont Grand Fonds, où se trouvent le départ et l’arrivée de la course. « C’était les 8 km les plus longs de ma vie. Chaque trail est une aventure, et celle-là n’a pas passé. Finalement, à 10 km du départ, c’était déjà joué, mais je me suis entêtée ». À son arrivée, le soleil se levait : « J’ai pu voir les premiers arrivés franchir la ligne! »
Finalement, la contusion que Mylène a eue à la cuisse est passée en moins d’une semaine, lui permettant d’accéder à une victoire au 80 km du Bromont Ultra, quatre semaines à peine après l’UTHC.
« Maintenant, je suis capable d’en parler et de dire “bien oui, c’est comme ça”. Mais, sur le coup, je l’ai pris comme une contre-performance », réfléchit l’athlète avant d’ajouter que « tellement de conditions doivent être réunies pour bien performer et être satisfait d’une course d’ultra-trail. Ce sont tellement de facteurs externes qui entrent en jeu, ça ne peut pas toujours réussir. Le plus important, c’est de savoir tirer des apprentissages de tout ça pour s’améliorer et c’est ce que j’aime dans l’ultra-trail. À un certain point, il faut réaliser qu’on est en train de mettre en péril les courses qui vont suivre. Pour moi, c’est un bonheur de courir au quotidien. Donc, si je fais une course et que je ne peux plus courir pendant un mois, ça ne fonctionne pas. »
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Parfois, c’est le corps qui ne suit plus la cadence et qui nous oblige à arrêter, peu importe le niveau de préparation et l’expérience qu’on a. Il faut savoir l’écouter, parce que comme Mylène le répète : le sport, on le fait avant tout pour le plaisir.
Pour lire le récit de Jean-François Cauchon qui a lui aussi décidé de quitter l’épreuve du 125 km à l’UTHC cette année, c’est juste ici.