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Abandonner un ultra-trail : Jean-François Cauchon raconte la tournure imprévue de sa course à l’UTHC 125

Récit d’une saison de course où le mental est mis à l’épreuve.

Par
Sara Buzzell
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On raconte souvent les histoires de ceux et celles qui performent, qui réussissent des exploits et qui nous impressionnent. Mais qu’en est-il des récits d’échecs? De toutes ces fois où les choses ne se passent pas comme prévu? Dans ce dossier, je m’intéresse au « DNF », la mention « did not finish » qui est octroyée aux personnes qui ne complètent pas la course à laquelle elles sont inscrites.

Quand est-ce qu’on sait qu’il faut arrêter? Comment on se sent lorsqu’on doit prendre cette décision, aussi crève-coeur soit-elle? Découvrez les réponses à ces questions à travers les histoires de Mylène Sansoucy et de Jean-François Cauchon (ci-bas) à l’Ultra-Trail Harricana.

Jean-François Cauchon participe à des courses d’ultra-trail depuis 2014. Sa première victoire au 125 km de l’UTHC remonte à 2016. La discipline l’a d’ailleurs mené à voyager un peu partout à travers le monde : de Madère jusqu’à l’Île de la Réunion, en passant par Le Cap, le Mont Blanc et Bandera, au Texas, celui qui se fait appeler Jeff ne rate jamais une occasion pour se dépasser. Avant son arrivée à l’édition 2023 de l’UTHC, il a notamment participé au Madeira Island Ultra-Trail, au 50 km en sentier de la Clinique du Coureur, au marathon d’Ottawa, au Mount Washington Road Race, au 100 km du Québec Mega Trail et à la course TransCharlevoix.

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© Colin Rousseau

Malgré ce volume impressionnant pour une seule année de course, Jeff se sent prêt à son arrivée au Mont Grand Fonds pour le départ de l’épreuve du 125 km, à 13h le vendredi 8 septembre. Des problèmes de digestion et d’alimentation lors de ses premières grosses courses de l’année l’ont toutefois forcé à la prudence et à un style plus conservateur. C’est donc dans cet esprit qu’il se lance sur les sentiers, loin de se douter que c’est un autre élément hors de son contrôle qui l’empêchera de compléter l’épreuve.

Jeff me raconte qu’il opte pour un départ lent et sécuritaire – si la lenteur d’un ultra-marathonien à succès ne correspond peut-être pas nécessairement à l’idée qu’on se fait du concept, il faut savoir que Jeff se trouvait en 5e place lors de son arrivée à la station de ravitaillement qui marque la moitié du parcours.

La nuit tombe, et le coureur a déjà parcouru plus de 60 km. N’ayant pas uriné depuis le début de la course, il prend le temps de s’arrêter pour le faire. S’il s’aperçoit que la couleur du liquide est plus foncée que la normale, il se dit que ce n’est rien de trop inquiétant et qu’il est probablement juste déshydraté. Jeff reprend sa cadence et s’enfonce plus profondément à travers la forêt qui décore les montagnes.

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Pas plus d’une demi-heure plus tard, l’envie d’uriner reprend de plus belle. L’athlète s’arrête pour une seconde fois, voulant se débarrasser de ce fardeau qui pèse sur sa course. Cette fois, le liquide évacué est encore plus foncé, d’un brun qui n’avise rien de bon. « Quinze minutes plus tard, j’urinais du sang. Par la suite, j’avais envie aux cinq minutes et chaque fois, c’était soit brun ou carrément du sang, avec une sensation bizarre dans la vessie. J’ai marché pour pouvoir mieux boire et faire baisser mon rythme cardiaque, mais ça n’a rien changé », relate-t-il.

Réussissant malgré tout à se rendre au ravito du 80e km, Jeff demande l’avis du médecin sur place. Celui-ci lui conseille fortement d’arrêter sa course, le disant victime d’une rhabdomyolyse. Causée par la mort de cellules des tissus musculaires, la rhabdomyolyse peut survenir lors d’un effort physique violent et prolongé et affecte la couleur de l’urine. Avec le Grand Raid de l’Île de la Réunion en tête comme objectif principal de l’année, le coureur prend la décision de se retirer de l’UTHC.

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« C’était un peu crève-coeur, mais quand t’es rendu là, c’est la santé qui prend le dessus. C’est dommage, parce que sur les plans digestif et musculaire ça allait bien, j’aurais pu continuer. C’est dur à prendre comme décision, mais, comme c’était un abandon médical, ç’a été plus facile. Il faut que tu prennes soin de ta santé si tu veux pouvoir faire plusieurs courses pendant encore de nombreuses années, tu ne peux pas t’hypothéquer à chaque fois. »

© Alexandra Côté-Durrer

Jean-François Cauchon avait précédemment quitté l’Ultra-Trail Mont-Blanc en 2022, suite à des troubles digestifs qui l’avaient fait régurgiter violemment à 40 km, puis à 70 km lorsqu’il avait réessayé de s’alimenter. La même chose lui est arrivée au Québec Mega Trail, au début de la saison estivale. Entre-temps, l’athlète a fait appel à une nutritionniste, qui l’a aidé à mieux gérer son alimentation lors des courses. Ce qui a été le plus difficile dans le cas de l’UTHC, c’est d’avoir dû s’arrêter pour autre chose que la nutrition, un problème qu’il a somme toute réussi à maîtriser.

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« C’est dur de m’en remettre, même si je suis content d’avoir pris la décision. Ce qui est plate, c’est de se rendre à devoir prendre cette décision-là. J’aurais préféré que ça se passe bien. Tu te dis tout le temps “est-ce que j’aurais pu terminer?” et la réponse c’est oui, c’est sûr que j’aurais pu terminer. Mais est-ce que j’ai envie de terminer une course comme ça en marchant et, dans le cas de l’UTMB, de passer une autre nuit dehors? », explique Jean-François.

Pour lui, la manière de se rassurer quand ces questions surviennent, c’est de se rappeler qu’il va y en avoir d’autres : « quand t’as plus de plaisir, il faut arrêter. Oui, finir à tout prix, mais est-ce que ça vaut la peine de finir en marchant et en souffrant? »

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Avec le recul, Jeff reconnaît la valeur de la décision qu’il a prise à l’UTHC, puisque le fait de prendre soin de lui lui a permis de compléter les quelque 165 km avec plus de 10 000 mètres de dénivelé du Grand Raid Réunion.

Pour lire le récit de Mylène Sansoucy qui a elle aussi décidé de quitter l’épreuve du 125 km à l’UTHC cette année, c’est juste ici.