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5 choses que les familles autochtones peuvent nous apprendre

5 choses que les familles autochtones peuvent nous apprendre

Ça nous prendrait un village à nous aussi.

Par
Florence Tison
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Le Québec abrite pas moins de 11 Premières Nations, alors on l’avoue, c’est quand même réducteur de parler de LA famille autochtone. Par contre, les structures familiales de chacune des Nations ont toutes des points communs qu’on ne retrouve pas chez les familles allochtones.

Déjà, on peut oublier la famille du genre maman, papa, frèrot, soeurette et hamster.

« La famille nucléaire type, ça représente 1 % de toutes les familles », souligne Isabelle Tremblay, travailleuse sociale et membre de la nation algonquine Abitibiwinni près d’Amos, en Abitibi.

Suite à notre rencontre, voici les constats auxquels j’en suis venue.

1. La parenté est (très) extensible chez les membres des Premières Nations

Généralement, la structure familiale autochtone s’étend non seulement de façon verticale, soit des petits-enfants à leurs aïeux, mais aussi de façon latérale vers les oncles, tantes, cousins, voisins, leurs conjoints, leurs enfants, alouette!

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La communauté devient ainsi une extension de la famille et le filet de sécurité des enfants, qui, en retour, assurent la pérennité de la communauté.

« Dans les familles, les membres entrent sans cogner, se font demander, ils vont fouiller dans le frigo : ils se sentent chez eux », explique l’Abitibiwinnik Isabelle Tremblay.

Chez les Innus, la famille élargie est aussi importante que la famille nucléaire.

« Souvent, la famille innue tend même à englober la communauté entière », souligne la professeure de l’Université du Québec en Outaouais Christiane Guay, qui a coécrit l’étude La famille élargie, incontournable chez les Innus, en 2018.

« De fait, la facilité avec laquelle les Innus fabriquent de la parenté est telle que l’anthropologue Josée Mailhot (1999) a déjà considéré le caractère extensible de la parenté innue comme une de ses caractéristiques principales », poursuit la professeure dans son étude.

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Il y a de quoi inspirer la citadine en moi, celle qui peine à se souvenir du nom de ses voisins.

2. L’entraide est la valeur la plus importante

Ne dit-on pas que ça prend un village pour élever un enfant? Dans les familles autochtones, en plus d’être vrai, ça part de leur héritage nomade et de l’entraide qui en découle.

J’en ai parlé avec l’Innu Denis Vollant, qui est le directeur adjoint en recherche et développement du secteur de l’éducation de la réserve Uashat mak Mani-utenam, près de Sept-Îles.

Les communautés innues partaient autrefois pendant des semaines en portage, comme l’a vécu Denis Gallant étant jeune : « Lors des portages, on s’entraidait. L’entraide, c’est la première valeur qui embarque. On dirait qu’on a ça dans le sang et qu’on le sait. »

Chez les Abitibiwinnik aussi, l’entraide est primordiale, souligne Isabelle Tremblay, ce qui rapproche énormément les membres d’une famille élargie. Alors, la responsabilité que l’on ressent envers eux prime sur le lien de filiation.

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3. La famille autochtone est plus jeune et plus nombreuse

Dans le recensement canadien de 2016, on comptait au Québec quatre fois plus de familles dont le plus jeune parent a moins de 25 ans chez les Premières Nations que chez les allochtones.

Ce n’est donc pas rare que des familles s’étendant sur cinq générations se côtoient régulièrement. À ce sujet, Isabelle Tremblay a elle-même eu son premier enfant à 18 ans, et sa mère était déjà mère de trois enfants à l’âge de 21 ans.

Au sein de la Nation Abitibiwinni, 40 % des membres sont âgés de 18 ans et moins et il est fréquent que de jeunes filles aient leur premier bébé alors qu’elles habitent encore chez leurs parents.

« La famille est là pour les soutenir », assure Isabelle Tremblay.

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Les femmes autochtones ont également plus d’enfants : les familles comptant au moins trois enfants forment le tiers des familles autochtones du Québec.

« Maintenant, il n’y a plus de grosses familles, juge pourtant Denis Gallant : trois enfants, peut-être quatre, ce qui est quand même plus que les Québécois. » L’Innu de 72 ans avait lui-même une dizaine de frères et sœurs.

4. Les enfants sont parfois confiés à d’autres membres de la famille à long terme

La garde ou l’adoption coutumière, très courante au sein des familles autochtones, se fait indépendamment de l’état et « on n’en fait pas de cas », opine Isabelle Tremblay. Elle-même a vu des mères Abitibiwinnik confier volontairement un enfant à leur grand-mère. La mère reste responsable de l’enfant, mais c’est la grand-mère qui se chargera dorénavant de son éducation.

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« [La garde coutumière] n’efface pas la filiation d’origine, ce qui [la] distingue de l’adoption en droit québécois », détaille la professeure Christiane Guay.

Le Code civil tient compte de cette particularité autochtone depuis 2017, et la Loi sur la protection de la jeunesse, depuis 2019. Ainsi, la garde coutumière permet de respecter l’intérêt de l’enfant autochtone en le laissant évoluer dans sa propre communauté et sa propre culture, tout en lui donnant un « vaste réseau d’appartenance », écrit également Christiane Guay.

L’entente tacite n’implique pas le recours à une quelconque autorité gouvernementale ou à une procédure écrite, et est en principe temporaire et réversible. Le changement est parfois permanent, et ce, sans jugement de valeur sur les parents.

« Il y a les parents de cœur et les parents biologiques », résume Isabelle Tremblay.

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Denis Gallant élève chez lui deux de ses petits-enfants : un de 14 ans, et une de quatre ans. Sa fille ne pouvait pas s’en occuper et le grand-père craignait que ses petits-enfants ne soient placés à l’extérieur de la communauté (ce qui n’était pas rare il y a quelques années, rappelons-le!).

« Ne pas tenir compte du concept de famille élargie, ou, plus précisément, ne pas considérer la famille élargie comme faisant partie intégrante de “la famille”, peut donner lieu à des décisions culturellement inadaptées, voire à la judiciarisation de la situation d’un enfant pour des motifs artificiels », met en garde la professeure dans son étude.

5. Les enfants se promènent librement

En se promenant dans une réserve ou une communauté autochtone, on pourrait être surpris par le nombre d’enfants très jeunes s’amusant dans la rue ou au parc sans surveillance. Sans surveillance, vraiment? Non!

Les membres des Premières Nations ont tout simplement une manière différente de responsabiliser leurs enfants, qui diffère du cadre de sécurité généralement préconisé chez les allochtones.

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« Il y a un lâcher-prise sur l’éducation, sans que ce soit négatif », rapporte Isabelle Tremblay. La travailleuse sociale explique que les enfants apprennent davantage par l’exemple, avec des actions, des gestes et des comportements, plutôt que par l’enseignement oral.

Les études pédagogiques récentes tendent à leur donner raison, notamment celle de la Société canadienne de pédiatrie (2024), qui préconise le développement sain de l’enfant par le jeu risqué extérieur.

Raison de plus pour s’inspirer des familles autochtones.