À l’heure où les besoins pour recruter des familles d’accueil sont criants, le CISSS de la Montérégie-Est rappelle aux gens de tous horizons qu’ils peuvent tenter leur chance, peu importe leur statut social, leur pays d’appartenance et leur orientation sexuelle. On en jase avec un couple homoparental qui accueille deux garçons, en plus de s’occuper de leurs enfants biologiques.
Tout commence par une histoire d’amour.
Une rencontre à Québec entre Maude-Élisabeth Brin et Émilie Nantel, via un match imprévu sur l’application Tinder.
Le destin était au rendez-vous.
Maude-Élisabeth revenait du Nouveau-Brunswick, où elle se trouvait pour ses études en ingénierie au sein des Forces armées canadiennes. Émilie, elle, étudiait à Québec pour devenir infirmière.
La chimie a tout de suite opéré.
Il faut dire que les deux femmes avaient dès le départ un point en commun et non le moindre : toutes deux souhaitaient éventuellement devenir famille d’accueil, après avoir côtoyé de beaux modèles dans leur entourage.
« Il y a tellement d’enfants qui n’ont pas de famille, ou qui proviennent de familles dysfonctionnelles. Alors, pourquoi ne pas leur venir en aide? », s’est dit Émilie.
Six ans plus tard, le couple est marié depuis plus de deux ans et famille d’accueil depuis 2022, dans leur bungalow de Saint-Jean-sur-Richelieu, la ville où Maude-Élisabeth a grandi.
Celle-ci avait déjà un fils d’une union précédente, Eliott, aujourd’hui âgé de huit ans.
Avant de devenir famille d’accueil, le couple a d’abord eu Maxam, leur fille biologique aujourd’hui âgée de 3 ans.
Conformément aux politiques de la DPJ, il faut attendre un an après la naissance d’un enfant avant d’entreprendre des démarches pour devenir famille d’accueil.
Et le timing était parfait, étant donné que Maude-Élisabeth quittait la vie militaire.
« Je n’étais plus bien dans l’armée. Je voulais sortir de là et c’était l’occasion parfaite », raconte-t-elle, ajoutant qu’elle voulait notamment éviter à sa famille de déménager à répétition un peu partout à travers le pays, comme c’est souvent le cas lorsqu’on poursuit une carrière dans l’armée.
Elle est aujourd’hui conseillère en sécurité financière, un emploi favorisant le télétravail. Émilie, elle, travaille comme infirmière et ne chôme évidemment pas.
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Un processus de six mois
Le processus pour devenir famille d’accueil se met en branle en avril 2022, alors que la pandémie ralentit.
Un processus assez périlleux, qui s’est échelonné sur six mois avant que le couple obtienne finalement son accréditation. « Il y a beaucoup de paperasse à remplir, incluant une sorte de journal à rédiger chacune de notre bord sur nos motivations. Ça prend aussi des références de plusieurs personnes, parmi elles, nos proches et nos employeurs. Ensuite, on attend un retour », raconte Émilie.
Lorsque la candidature est retenue, il y a ensuite une prise de contact, suivie d’un premier rendez-vous en personne avec une travailleuse sociale.
S’ensuit une deuxième rencontre pour évaluer si la maison est conforme, selon une quarantaine de critères (dont certains semblent un brin tirés par les cheveux, à mon humble avis).
« Nos fenêtres n’étaient pas réglementaires. On exige 36 pouces alors que les nôtres en faisaient 35 », souligne Émilie.
Des extincteurs d’incendie doivent aussi obligatoirement se trouver devant chaque chambre, les médicaments doivent être gardés sous clé, etc.
Pour Maude-Élisabeth, ces critères ne sont toutefois pas exagérés : « Oui, c’est ardu, mais je trouve que c’est une preuve d’engagement. »
De son côté, le coordonnateur RI-RTF* du CISSS de la Montérégie-Est, Mathieu Blanchard, insiste qu’un tel processus n’a pas pour but de mettre des bâtons dans les roues des familles intéressées. « Oui, le processus est rigoureux. Mais il faut comprendre que notre clientèle fait partie des plus vulnérables de la société, soit des enfants qui ont vécu des situations familiales difficiles, des traumatismes, des négligences, etc. Il y a donc des enjeux de sécurité qui sont incontournables », souligne M. Blanchard, ajoutant qu’il a aussi à cœur de simplifier le processus pour accommoder les familles intéressées.
*RI-RTF = Ressource intermédiaire/Ressource de type familiale.
Une fois que la maison a passé le test, des rencontres individuelles sont organisées, dans lesquelles Maude-Élisabeth et Émilie sont invitées à parler de leur vie conjugale, de leurs traumatismes d’enfance, de leur sexualité et de leur rapport à la consommation. « Ils veulent savoir si on est des gens stables », résume Émilie.
Une autre rencontre se déroule – cette fois en couple – pour voir comment le duo parental réagirait devant telle ou telle situation.
Enfin, une ultime rencontre est prévue en famille, histoire de voir comment l’enfant du couple – dans ce cas-ci Eliott – se sent par rapport aux bouleversements qu’il s’apprête à vivre. « On lui pose des questions, on cherche à connaître ses attentes », indique Émilie.
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Un enfant au lendemain de l’accréditation
Dès le lendemain de leur accréditation, le téléphone sonne pour un placement en famille d’accueil dite régulière.
De leur côté, le couple n’avait pas vraiment de critères voire très peu.
Idéalement, il souhaitait accueillir un enfant âgé entre 0 à 5 ans, un garçon si possible, à la demande d’Eliott.
« J’ai 28 ans et ça prend habituellement une différence d’âge d’au moins 18 ans avec l’enfant », souligne également Émilie.
Pour le reste, le mystère est entier, tant pour ce qui a trait au passé de l’enfant ou de son apparence. « On nous dit seulement ce qu’on doit savoir pour adapter nos interventions. Par exemple, on savait que le petit avait vécu de la négligence et avait été témoin de violence conjugale », raconte Émilie.
Maude-Élisabeth et Émilie vont chercher Tristan* le jour même où elles ont reçu l’appel, en soirée. Le bambin de trois ans attendait ses nouvelles de sa famille d’accueil avec impatience. « C’était long avant que vous arriviez », a-t-il lancé, après le départ du reste de sa fratrie, aussi envoyée en famille d’accueil, le même jour.
*prénom fictif.
Leurs parents biologiques collaborent avec le placement et ont – à ce jour encore – des droits de visite supervisés sur une base hebdomadaire.
Tristan n’a qu’une petite valise à roulettes quand il débarque dans la vie de Maude-Élisabeth et Émilie. « Il est arrivé avec deux paires de bobettes, deux paires de pantalons, un habit de neige trop petit et pas de brosse à dents », énumère Maude-Élisabeth, ajoutant la présence d’un petit sac rempli de voitures et d’une doudou dans la petite valise. Il était 19h et c’est ainsi que l’aventure de l’adoption s’est amorcée.
« Il était tard et on l’a envoyé se coucher rapidement. On n’a pas dormi de la nuit et lui non plus », se rappelle Émilie.
Dans les jours ayant suivi l’arrivée de Tristan, le couple a célébré coup sur coup son anniversaire et l’Halloween. « Il ne savait pas ce qu’était l’Halloween et quand on roulait sous les ponts en auto, il capotait. On avait l’impression qu’il n’était jamais sorti de sa vie », se rappelle Maude-Élisabeth.
Eliott était au départ enthousiaste à l’idée d’avoir un petit frère, excité de lui montrer sa chambre et ses jouets, mais la lune de miel n’a pas duré. « Tristan était très exigeant au début et Eliott avait l’impression de perdre sa place. D’autant plus que Maude-Élisabeth était fusionnelle avec Tristan, parce qu’elle était toujours avec lui », raconte Émilie, qui avait pour sa part plus de mal à apprivoiser l’enfant.
Les débuts étaient difficiles. La nuit, Tristan se réveillait plusieurs fois en hurlant. « Il ne voulait pas être touché et avait un traumatisme lié au sommeil parce que ses parents s’engueulaient durant la nuit », confie Émilie.
Au bout de neuf mois, la famille est soumise à une première évaluation. Tout se déroule relativement bien pour les mamans et les parents biologiques manifestent aussi le désir de ravoir Tristan un jour. Si ce dernier aime passer du temps avec eux, il préfère toutefois retourner dormir chez Maude-Élisabeth et Émilie après les visites.
Les choses sont ainsi depuis un an et demi et les prochaines semaines seront déterminantes dans la vie de Tristan.
« On va savoir en avril s’il sera placé avec nous jusqu’à sa majorité. C’est notre souhait, sauf si ses parents biologiques sont aptes à le reprendre », résume Maude-Élisabeth.
L’enfant d’abord
La vie de famille d’accueil est cependant loin d’être un long fleuve tranquille et il faut se rappeler qu’un enfant n’est pas un bien qu’on retourne au magasin en cas d’insatisfaction. « Il faut toujours penser à l’enfant. Un déplacement, c’est mauvais pour lui. Ce n’est pas tout rose ni un conte de fées, mais on agit pour le bien de l’enfant », assure Maude-Élisabeth.
Émilie est d’accord avec sa conjointe. « Ça fait dix-huit mois qu’il s’accroche à nous, on ne se verrait pas lui dire de partir. »
La DPJ est là pour offrir son soutien en cas de période difficile aussi, assurent les mamans.
Au fil des mois, les choses sont heureusement rentrées dans l’ordre. Assez pour accueillir, en juillet dernier, Antoine*, qui vient d’avoir 11 ans.
« On dormait enfin, alors on se sentait prêtes à recommencer », souligne en riant Maude-Élisabeth.
Contrairement au premier placement, les mamans avaient cette fois-ci le choix entre deux enfants. Il y avait tout d’abord Antoine, qu’on décrivait alors comme un peu agressif avec des problèmes d’ordre scolaire. Puis, une fillette de neuf ans qui avait supposément de la misère avec l’autorité maternelle. « L’envoyer dans une famille d’accueil avec deux mères? Mettons que j’étais pas sûre », admet Émilie.
Antoine, hébergé au sein du réseau de la DPJ, a fait une entrée progressive chez Maude-Élisabeth et Émilie. L’enfant a d’abord eu droit à un album contenant des photos de sa famille d’accueil et même s’il ne passait au départ que de courts laps de temps avec elles, son coup de foudre avec Émilie et Maude-Elisabeth a été rapide. « Il ne voulait plus repartir après une fois ou deux. Il s’est vraiment bien intégré, autant avec les plus jeunes qu’avec Maxam », souligne Émilie, qui, au départ, savait seulement qu’Antoine aimait les sushis et le soccer.
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Depuis, la vie suit son cours, avec ses hauts et ses bas. Comme dans n’importe quelle famille.
Tristan va à la garderie et Antoine, dans une école adaptée à Saint-Césaire.
Les mamans s’efforcent de ne pas hiérarchiser leur amour et de traiter tous leurs enfants de la même façon.
Par exemple, elles rapportent ce moment riche en émotions, quand Antoine leur a spontanément fait un câlin, ce qui n’est vraiment pas son genre.
Le couple aura d’ailleurs tout son temps pour apprivoiser Antoine, après avoir obtenu son placement jusqu’à sa majorité, juste avant les Fêtes. Un magnifique cadeau de Noël, tant pour les mamans que pour le garçon, qui éprouve de l’anxiété de séparation.
Vivement la diversité
J’ai beau leur poser la question avant de partir, les deux mamans semblent avoir du mal à mettre en mots ce que leur rôle de famille d’accueil apporte dans leur vie. Mais parfois, un exemple somme toute banal vaut mille mots. « Quand les enfants se sont absentés tous en même temps pendant une fin de semaine, on s’est dit : ouin, c’est plate », illustre Maude-Élisabeth, avec un large sourire.
Quant au fait qu’elles forment une famille homoparentale, les deux femmes assurent n’avoir jamais senti de préjugés de la part de la DPJ et des parents biologiques rencontrés depuis le début du processus.
C’est d’ailleurs un peu le message que Maude-Élisabeth et Émilie souhaitent marteler, soit que les couples ne doivent surtout pas hésiter par peur d’être stigmatisés.
En plus de n’avoir jamais senti le moindre jugement de leur part, les parents biologiques de Tristan et Antoine se sont avérés des alliés jusqu’à maintenant, même si les mères ont eu à établir des limites. « Ils nous disent souvent merci », souligne Maude-Élisabeth.
Si Mathieu Blanchard admet que les préjugés étaient monnaie courante à l’époque, il affirme que les choses ont changé, et pour le mieux. « Depuis quelques années, je ne ressens pratiquement plus de manque d’ouverture en lien avec la culture ou l’orientation sexuelle des familles d’accueil. Cette diversité est même accueillie favorablement depuis mon entrée en poste, il y a dix ans », assure le coordinateur du CISSS de la Montérégie-Est, ajoutant que des parents hostiles – ou même carrément homophobes – n’auraient de toute façon pas vraiment leur mot à dire dans le processus d’accueil. Mais bon, le comportement des parents doit tout de même être analysé au cas par cas pour assurer que l’expérience en famille d’accueil ne soit pas nuisible au développement de l’enfant. « C’est une responsabilité exclusive à nos établissements de trouver le meilleur jumelage. »
Mathieu Blanchard rappelle que les besoins sont constants et qu’une trentaine de familles sont actuellement recherchées sur son territoire. « Seulement en Montérégie, on a plus de 900 familles d’accueil pour 1500 enfants répartis dans les différents milieux de vie. En plus, on a une bonne proportion de familles dont les parents sont âgés de 60 ans et plus et qui tireront bientôt leur révérence. On a toujours besoin de nouvelles familles », résume Mathieu Blanchard.
Et peu importe l’orientation sexuelle des parents intéressés, tout ce qui compte, c’est d’avoir le cœur à la bonne place… et des fenêtres réglementaires.