Tout le monde dit qu’il faut éviter d’amener sa vie privée au travail et de rapporter son travail à la maison. Ce que personne n’a jamais dit, par exemple, c’est qu’il faut laisser sa grammaire, son français et sa substance à l’entrée du bureau. Alors voulez-vous bien me dire pourquoi, en entreprise, on répète tous les mêmes phrases creuses à longueur de semaine, plutôt que de s’exprimer comme des individus avec un cerveau et un libre arbitre?
Voici 14 phrases et expressions qui me donnent envie de me couper les oreilles avant même de me rendre à l’heure du lunch.
#1. « Je peux te poser une question? »
Je comprends que c’est bien intentionné, mais le « Je peux te poser une question? », tout comme sa variante « J’ai une petite question pour toi…? » : me gossent bien comme il faut. Oui, Michelle, tu peux clairement me poser une question, vu que c’est déjà fait. J’ai beau arrêter ce que je suis en train de faire et me tourner gentiment vers toi en répondant à l’affirmative avec un sourire pincé, dans mon cœur je te réponds « Enweille, pose-la, ta maudite question ».
#2. « Petit rappel amical »
Il y a « amical » dans la phrase, mais ce que ça signifie vraiment, c’est que la suite du discours sera un beau paquet de réprimandes passives agressives et condescendantes.
#3. « On cherche un ninja pour notre équipe de feu! »
Je suspecte qu’à l’école des gestionnaires, il y a un cours de « comment faire croire aux larbins qu’une mission profondément banale va être ultra le fun et excitante? », et que le prof est fan de Naruto ou quelque chose du genre.
#4. « Est-ce que je peux t’emprunter 2 minutes? »
Est-ce que j’ai l’air d’une brocheuse?
#5. « C’est vendredi, on fait l’amour. »
C’était peut-être drôle il y a 20 ans dans Annie et ses hommes, mais en 2025, on n’a pas besoin d’un collègue gen X dans chaque bureau québécois pour lancer cette réplique tous les vendredis.
#6. « Nous comptons sur votre collaboration. »
Quand la direction de l’entreprise fait une annonce super plate, elle aime bien conclure avec une petite phrase vide et vaguement menaçante pour nous faire comprendre que notre opinion ne leur fait pas un pli sur la poche.
#7. « Il faut penser en dehors de la boîte. »
Dans le temps, il fallait quitter les sentiers battus. Sortir du cadre! Peu importe le cliché à la mode, on nous demande toujours des solutions originales, pour finalement garder la proposition la plus paresseuse parce que c’est ce que le budget permet.
#8. « Tu viens au brief pour le kick off? »
Il faut vraiment travailler en marketing ou être français de France pour sortir des affaires de même.
« Thank you pour l’invitation, mais je vais pass my tour. »
#9. « L’entreprise affirme sa volonté de promouvoir la diversité et l’équité en matière d’embauche. »
Si je ne vois pas la diversité et l’équité en question dans votre entreprise, merci de ne plus « affirmer votre volonté » avec des déclarations aussi creuses. Ceci n’est pas une formule magique qui vous absout de toute action concrète.
#10. « Nous formons une équipe à taille humaine. »
Moi qui ai toujours rêvé de travailler dans une équipe de Lilliputiens, me voilà bien déçue.
Aussi, sans blague, plus vous répétez que tout est « humain » et « chaleureux », plus ça sonne faux. Qui espérez-vous convaincre exactement?
#11. « Ensemble, on va donner notre 110 %! »
Si j’étais payée 110 % de mon taux horaire, je serais en phase avec ces mathématiques douteuses.
#12. « On compte sur vous pour aller au-delà des attentes. »
Vous attendez de nous qu’on aille au-delà des attentes? C’est moi ou c’est un cercle vicieux d’attentes de plus en plus démesurées?
Définissez mieux la consigne, sinon vous allez poireauter longtemps.
#13. « Réinventer l’expérience client. »
Ôtez-moi ces platitudes de votre présentation tout de suite. On n’a pas constamment besoin de faire semblant de réinventer la roue, et les clients n’ont pas nécessairement envie de vivre des « expériences » chaque fois qu’ils font affaire avec vous.
#14. « C’est dans l’ADN de notre entreprise. »
Votre entreprise n’a pas d’ADN. Pas plus qu’elle n’est une grande famille. Non, ça ne donne pas un visage humain à votre entreprise. Est-ce que ça vous donne l’air quétaine? Absolument.
D’accord, moi aussi, je suis coupable d’avoir laissé échapper un ou deux petits « Y fait pas chaud pour la pompe à eau! », en arrivant certains matins d’hiver au bureau. Je dis des platitudes comme tout le monde. Mais de grâce, faisons attention à toutes ces phrases cheapo-corporatives et ces expressions insignifiantes qui parasitent nos 9 à 5.
Essayons plutôt de parler comme si on avait quelque chose à dire et que le travail ne nous avait pas complètement transformés en robots.