Marie-Pascale (nom d’emprunt) a du mal à voir la lumière au bout du tunnel. Mère monoparentale d’une adolescente et d’un garçon en âge de fréquenter l’école primaire, elle peine à boucler ses fins de mois, même si son salaire annuel frôle les 60 000 $.
Selon les plus récentes données disponibles sur l’Institut de la statistique du Québec, le revenu moyen des ménages monoparentaux dirigés par une femme était de 60 600$ en 2022. Tous types de ménages confondus, le revenu moyen était de 85 400$.
Avec son salaire d’environ 57 000$, marie-pascale a pourtant plutôt l’impression de vivre sous le seuil de la pauvreté.
Marie-Pascale évalue à « entre 700 $ et 1000 $ » le manque à combler chaque mois, malgré une pension alimentaire et des allocations familiales. Son loyer – un cinq et demi – lui coûte 1369 $ mensuellement ; l’épicerie fait un trou de 700$ dans ses poches. Il lui reste quatre ans de paiements sur sa voiture, qui gruge 425 $ de ses revenus mensuellement, en plus des 300 $ d’essence, qu’elle utilise principalement pour se rendre au travail.
« Et j’ai les autres dépenses habituelles, Hydro, assurances… Après les besoins des enfants, il ne reste rien pour moi », calcule celle qui « mange principalement des toasts pis des céréales, sinon une grosse salade [qu’elle] étire sur plusieurs jours » quand ses enfants sont chez leur père.
Les nouveaux visages de la pauvreté
Marie-Pascale est loin d’être la seule dans cette situation.
« En fait, son cas est typique du nouveau visage de la pauvreté », indique Claude Pinard, président-directeur général de Centraide du Grand-Montréal.
Selon un sondage qu’il a commandé à la firme Léger cet automne, une personne sur quatre ayant un revenu de 59 000 $ et moins affirme avoir vécu un « épisode de pauvreté » au cours de la dernière année.
Selon M. Pinard, les critères pour déterminer qui est pauvre et qui ne l’est pas devraient être revus, parce qu’un bon revenu n’est pas toujours synonyme d’une meilleure qualité de vie.
Il donne en exemple le cas réel d’un couple de Montréal, dont le revenu avoisine 90 000 $, et qui doit se nourrir à une banque alimentaire.
« Il y a beaucoup de gens qui se retrouvent en situation de vulnérabilité, puis en précarité, avant de tomber dans la pauvreté, poursuit M. Pinard. Si on regarde sa situation financière, [Marie-Pascale] n’est pas considérée comme pauvre, mais en raison de toutes les dépenses engendrées par ses besoins essentiels, elle se trouve en précarité. »
Consultante budgétaire à l’ACEF Rive-Sud de Montréal, Hélène Hétu a aussi remarqué que le profil de la clientèle de son organisme, qui promeut la littératie financière et la gestion autonome des finances personnelles, a changé.
« On le voit de plus en plus, des gens aux revenus moyens aux prises avec de l’endettement parce qu’ils ne sont plus capables de couvrir certaines dépenses. On voit que les situations se sont alourdies et que c’est problématique du côté financier. »
Claude Pinard abonde en ce sens. « Tous les organismes, sans exception, ont dû ajouter un ou plusieurs services pour leur clientèle au cours de la dernière année », relate-t-il.
« Justement parce que les cas se complexifient et que les effets de la pauvreté s’accumulent chez une même personne. »
La hausse du loyer en cause
C’est principalement la hausse des loyers qui fait mal au portefeuille de la classe moyenne, estiment Mme Hétu et M. Pinard, qui plaident pour la construction urgente de logements abordables.
« Le facteur accélérant, c’est la crise du logement, accuse Claude Pinard. Dans le Grand Montréal, entre 28 % et 30 % des ménages consacrent plus de 30 % de leurs revenus pour se loger. »
« En couple, ils ont quand même un peu de latitude pour affronter un loyer de 2300 $, en moyenne, pour un quatre et demi, renchérit Mme Hétu. Mais dès qu’on parle d’une personne seule, on constate qu’il y a de plus en plus de gens qui investissent entre 40 % et 60 % de leur revenu dans leur loyer. »
La propriété est aussi hors de portée. « Avec les taux d’intérêt, combien de jeunes peuvent réellement se permettre d’acheter une maison ou un condo? C’est rendu immensément difficile s’ils n’ont pas d’héritage ou un bon coup de pouce financier de leurs parents », ajoute-t-elle.
Éviter de généraliser
L’économiste et membre du comité des politiques publiques à l’Association des économistes du Québec, Louis Lévesque, tient toutefois à apporter un bémol.
Oui, certaines personnes en arrachent davantage depuis quelques années, mais il ne faut surtout pas généraliser.
Les statistiques le démontrent : le pouvoir d’achat de nombreux Québécois s’est amélioré.
« Avant la pandémie, on était dans un environnement où l’inflation était en moyenne de 2 % et où les taux d’intérêt étaient très bas par rapport aux tendances historiques, rappelle-t-il. Pour beaucoup de gens, c’était la normale. »
« Puis, arrive la pandémie, qui a causé de nombreux problèmes dans la chaîne d’approvisionnement. Les gens ne pouvant plus sortir, ils se sont mis à dépenser pour des biens. La production n’a pas pu suivre la demande, alors ça a causé de l’inflation, poursuit M. Lévesque. Pour lutter contre l’inflation, les banques ont augmenté les taux d’intérêt. Depuis 2023, l’économie ralentit et les taux ont recommencé à descendre. »
Selon les statistiques étudiées par les économistes, le revenu disponible réel après impôt des contribuables a suivi le rythme de l’inflation, ce qui n’a pas diminué leur pouvoir d’achat. Mais une moyenne étant ce qu’elle est, cela signifie qu’il y a des gens dont le pouvoir d’achat s’est amélioré de beaucoup, et que d’autres en ont perdu.
« Certaines tendances lourdes défavorisent certains groupes, dont les jeunes, qui sont nettement désavantagés au niveau du coût du logement et de l’accès à la propriété, illustre Louis Lévesque. Comme c’est toujours le cas lors d’un ralentissement économique, ce sont les derniers arrivés sur le marché du travail qui sont les plus affectés. »
Comment s’en sortir?
Marie-Pascale a envisagé une consolidation de dettes, c’est-à-dire emprunter à une institution financière la somme nécessaire pour rembourser tous ses créanciers, mais aussi une proposition de consommateur, qui consisterait à rembourser uniquement ce que sa capacité financière lui permettrait après entente avec un syndic, ce qui entacherait toutefois son dossier de crédit.
Les options lui ayant été proposées n’apportaient toutefois pas de solution à long terme à son manque de liquidités. Elle tentera donc de trouver un emploi mieux rémunéré et à proximité de sa résidence.
Si vous êtes dans la situation de Marie-Pascale, quelques pistes de solution peuvent s’avérer utiles.
D’abord, Hélène Hétu propose de revoir de fond en comble l’ensemble de ses dépenses et de consigner chacune d’entre elles, y compris les plus petites, pour savoir exactement où va chaque dollar. Ensuite, il faut déterminer quelles dépenses sont essentielles et incompressibles, puis établir ses priorités.
« Peut-être qu’en achetant du neuf, on se prive d’une marge de manœuvre qui pourrait être dégagée si on se tourne plutôt vers le marché du seconde main », relève Mme Hétu.
Devenir membre d’une accorderie, un regroupement de personnes qui s’échangent des services, peut être une excellente manière d’économiser. Il existe aussi des organismes qui offrent des services, sans compter les banques alimentaires et les comptoirs vestimentaires soutenant les moins nantis.
D’autres personnes se tournent vers la colocation pour amoindrir le poids du logement dans leur budget. Il existe aussi des coopératives d’habitation qui visent à maintenir les loyers abordables.
« Pour cette maman-là, ça pourrait être une solution, avance la consultante budgétaire à propos de Marie-Pascale. Peut-être qu’il y a des coopératives qui seraient prêtes à la mettre sur leur liste d’attente, et ça peut aller vite. Mais si elle n’applique pas, elle n’aura jamais de place. »
« Il faut aussi bien s’entourer, complète Claude Pinard. On est moins vulnérable quand on a un bon réseau de soutien, et il ne faut pas hésiter à demander de l’aide. La pire chose qu’on peut faire, c’est de s’isoler. »