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La ville de la semaine: Baie-Saint-Paul

Par
Luc Besset
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Vu par les trous de yeux d’un jeune garnement issu de la génération Mario Brosse, Baie-St-Paul se transforme en beaucoup d’autres choses que la planète artistique et patrimoniale tellement chérie par les touristes.

1. CDL : Centre(de).Divertissement.Local.
Ce qui est vraiment bien, c’est qu’on a une vaste gamme de bars à Baie-St-Paul. De tous les genres, couleurs, grandeurs, odeurs. Étrangement, la seule place où nos semblables se fréquentent lorsqu’arrive minuit le vendredi soir, c’est au Coeur de Loup. Un bar dont le nom évoque à la fois une chanson de Philippe Lafontaine et tellement d’émotions intenses en même temps ! Personne ne sait vraiment si la chanson coquinement rythmée de Phil est à l’origine de cet emblème. En fait, c’est probablement un phénomène récurrent (je pense à crayon fort) dans l’univers des bars régionaux, mais reste que dans l’espace d’une soirée tu peux voir : un gars arriver avec son suit de skidoo qui boit une grosse 50 pendant que le chien du propriétaire se promène allègrement entre des jeunes hommes à la barbe taillée en une mince ligne se dandinant sur la gracieuse voix de Kate Ryan. Pour la police, c’est simplement l’Eldorado des arrestations pour conduite en état d’ébriété !

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2. Le Bras : champagne des rivières
Je suis persuadé que ceux dont le popsicle commence à couler, comme les étudiants victimes de l’air climatisée déficiente de la polyvalente St-Aubin, ou même les métèques travaillant au sein des multiples cuisines de Baie-St-Paul partagent une image mentale identique en pleine période de canicule estivale : les jolis plans d’eau de la Rivière du Bras. Synonyme de fraîcheur et de beauté naturelle à travers toute la région grâce à ses nombreux sauts, bassins et ses spots de roche remplis de baby-boomers sur le LSD nus comme des vers, le Bras est une place spéciale qui n’est pas encore si connue des touristes. Habituellement, la plupart des gens se regroupent au Bassin, un énorme rocher sur lequel on peut autant relaxer que se faire achaler par un jeune dur à cuire portant des lunettes de couleur blanche avec son bulldog mal dressé. Encore mieux, c’est un endroit où vous pouvez voir de jeunes garçons se transformer en hommes alors qu’ils se garrochent du haut de sauts vertigineux, leurs testicules, elles, remontant le long de leurs gorges nouées, ce qui explique la virilité de leur voix une fois l’expérience terminée.

3. Toutes les raisons sont bonnes pour virer au quai!
Route éternelle, cercle interminable de petites roches qui mène au fleuve, point d’observation des inconditionnels du vagabondage automobile et havre de paix pour le commun des mortels, le quai de Baie-St-Paul demeure la place où il faut aller faire virer ses jambes, ses pneus, sa petite tête. Nécessairement, en étant un peu à l’écart du village, les choses qui s’y passent sont plutôt… différentes! L’entrée (stationnement) est d’abord habitée en permanence par des gens d’une haute distinction environnementale qui adorent discuter (en angle parallèle) par la fenêtre de leurs bolides infernaux. On croirait entendre les critiques d’une tête blanche. Avouez ! C’est d’ailleurs grâce à eux qu’au début des années 2000 la loi ”non au son” a été édifiée sur toute la rue Ste-Anne, puisque que le cadre de leurs montures brassait tellement qu’on aurait dit une véritable caisse de résonance. Référence aux culturés de Mouréal (sans rancune) : vous connaissez sans doute l’endroit grâce à une épave du nom de ”l’Accalmie”, la dernière goélette peinte sur combien de tableaux et qui figure même dans un récent vidéoclip du groupe Numéro! Si vous passez l’automne, payez-vous donc un tour de planeur en l’honneur des villageois car personne n’a assez de ressource financière pour ce genre d’activité touristique.

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4. Boîte à tôle Luc et Marie-Claude : un espace… indémodable
Ça brasse un aréna! C’est tout de même un lieu central pour bien des petites localités. Très compréhensible puisqu’on y retrouve habituellement une structure faite de tôle, matériau flexible et indémodable, de la violence et de louches machines à peanuts. On se calme! On est contemporainement avant-gardistes à Baie-St-Paul aussi! Des créateurs marginaux viennent de différents endroits comme l’Haïti, l’Iran et le Nouveau Brunswick pour piquer la curiosité du touriste en recherche d’un sujet à ramener autour d’une coupe de vin avec ses amis et perturber celle de l’autochtone explorant les recoins du village, par moments oisifs. En effet, la bizarrerie du Symposium d’art contemporain de Baie-St-Paul en a fait sa réputation. Faut dire que le domaine n’est pas vraiment accessible au commun des mortels : voir un homme barbu cracher des boules en papiers sur des cavernes faites en peaux de bananes, c’est particulier. Drôle de contraste avec l’hiver, où Jean-Roch continue à passer sa zamboni en fumant des cloppes alors que l’interdiction de fumer dans les bâtiments publics a été adoptée en ’98. Ce n’est pas une loi votée par des Montréalais en cravate qui va nous faire changer nos bonnes habitudes!

5. Baie-St-Paul en haut, Baie-St-Paul en bas : histoire de la descente Ste-Catherine
En parlant d’hiver ! Dans le coin, un classique qui existe depuis belle lurette est la descente de la montagne Ste-Catherine. Fièrement entretenue par ce bon vieux Steve et sa motoneige, les pentes enneigées et sinueuses en font un parfait terrain où l’on a tous l’air d’innocents avec nos capines bien serrées autour de la face lorsqu’il fait -40 degrés celcius. Clin d’oeil : une petite lichette de Jack ou autre jus d’adulte serait recommandée pour garder le coeur jeune et aiguiser les réflexes en cas d’obstacle! Gardez l’oreille attentive car il arrive que de fières familles de Charlevoix remontent le courant en guise de raccourci, mettant intentionnellement en danger la vie des joyeux glisseux. Dans le cas de mes frères d’armes et moi, le parcours est tellement familier qu’on a commencé à modifier nos bolides avec des pièces de vélo et autre cossins, voir même à s’équiper en hockey pour mieux résister aux contacts contre les épinettes. Cette section de Baie-St-Paul porte aussi le nom poétique du Cap-aux-Corbeaux. C’est là où les ”étranges”, ces personnes venues de l’extérieur pour acheter des terrains de 28 000 pieds carrés dans le but d’être là deux à trois fois par année, lisent des livres en écoutant du Mozart.

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6. Lynda Tremblay : de conseillère en décoration à vedette de la télé
On ne regarde pas la télévision communautaire par intérêt pour le contenu, en tant que tel, mais plutôt pour se questionner sur notre identité en tant que communauté, nous délecter de la fibre culturelle d’une municipalité véhiculée par quelques érudits, ou banalement pour voir des émissions à l’animation loufoque! Voilà comment est née notre coqueluche et décoratrice préférée Lynda Tremblay, avec son verbe inspirant et inspiré, tirant des références culturelles comme les cowboys de Leone tirent du gun. L’histoire a débuté quand un humble citoyen a décidé d’envoyer un enregistrement à une recherchiste pour Le grand blond avec show sournois de Marc Labrèche. L’affaire a été un running gag pendant l’ensemble du spécial de Noël, puis l’effet domino a naturellement catapulté Lynda au sommet de l’attention publique! Tellement qu’encore aujourd’hui des artistes internationaux viennent l’entretenir de concepts créatifs d’avant-garde en se demandant pourquoi certains articles de la boutique ne sont pas à vendre.

7. Comme le disait El Pornos, ”Baie-St-Paul, génocide, suicide, sur l’acide, s’en vient vide!”
El Pornos, N Master D, Absolution, Les Rocketters, et j’en passe, font partie d’un phénomène de la fin des années ’90 – début 2000, alors qu’une vague de groupes débauchés ont bombardé le village de performances toutes plus extravagantes les unes que les autres. Autrefois installé dans l’endroit le plus improbable, soit au beau milieu d’un champ face au quartier domiciliaire Fillion, notre défunt festival Woodspunk était un événement où réussir à se rendre à la tête d’affiche était une job de gestion à part entière compte tenu de la constante pression nous influençant à essayer de nouvelles drogues, comme la ”Peach”. Ce nom si rafraîchissant servait en fait à camoufler celui d’amphétamine, ou speed, qui devint à ce jour un solide concurrent au pot, désormais trop ”chill” pour une génération sur la coche et qui, à ce que je sache (pardon maman), fait tout sauf t’hydrater. Aujourd’hui, à bien y penser, ce genre de spectacle trash se déroulait aussi à la Maison Des Jeunes… ! Aux côtés de nos cousins, membres de la secte révolutionnaire-anarchiste-créative du SDP pour Soleil.Des.Pénis., on était fiers de se faire cracher de la bière au visage et lancer des claviers d’ordinateur par la tête pour le rock ! C’est un sentiment de puissance et de liberté unique d’assumer sa virilité en poussant ses semblables.

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8. Paradis des artistes
La première chose qui vous vient en tête en pensant à notre village est sans doute la peinture, l’art et le paysage. Il est vrai que nous avons été un tremplin et un centre d’exode pour plusieurs créateurs au fil du temps. En effet, de grands peintres comme René Richard, Pellan et Riopelle sont venus s’alimenter à même l’ambiance unique de notre région et sa nature inspirante. Au début des années 80, c’était au tour de jeunes créateurs qui se lavaient à l’eau de source, vivaient dans des tipis et ensuite enfilaient leur veston-cravate pour collecter les hommes d’affaires de la région afin de soutenir leur projet, de mettre au monde le Cirque du Soleil. Ceux-là, mon grand-père, homme de droite religieuse qui était gérant de la Caisse Populaire, les appelait ”les pouilleux aux cheveux longs” quand ils fumaient leurs joints sur le parvis de son institution et rigolaient du haut de leurs échasses. Jean Leloup a aussi habité dans la région suite à son succès au festival de Granby. Il vient encore faire son tour à l’occasion, avec une guitare, pour gratter des chansons psychédéliques sur le bord de la Rivière du Bras. Autrement, l’homme assis sur un tabouret à longueur de journée sur la rue St-Jean-Baptiste à la hauteur de la chocolaterie, qui vend un livre au concept unique dans lequel il ne répète jamais le même mot, demeure un exemple actuel et flagrant des vestiges d’un supposé paradis des artistes.

9. Hommage aux gentils-hommes
Bruits de clés. Hey Johnny ! Salut belle brune ! On se retrouve à ce moment et on sait exactement à qui on a affaire, puisque ce sont nos gentils-hommes préférés ! La Baie en regorge de ces gentils-hommes porteurs de valeurs communautaires qui meublent notre quotidien en le rendant plus doux. Certains sont devenus des icônes, grâce à leurs activités de recyclage ou par leur personnalité tellement comique et adorable à la fois. C’est un phénomène évidemment dû à la désinstitutionalisation après Duplessis, mais aussi à un grand projet d’implantation de résidences privées dans la région. Sans tous les nommer, Huguet (alias le maître des clés) et Éloi Dauphin, au nom aussi improbable que la quantité d’énergie qu’il dégage, seront ici choisis par le peuple comme représentants du conseil d’urbanisme. Huguet, avec sa grosse barbe, sa populaire chienne de mécano bleue et sa voix rauque (selon l’humeur du temps) aide de nombreux restaurants et entreprises moyennant un repas, une bière, un petit service ou bien un quart de tonne de clés pour sa collection dont on ignore la grandeur, mais qui doit certainement être digne de n’importe quel serrurier grossiste possédant de multiples usines de clés de 40 000 pieds carrés à travers le monde. Pour sa part, notre Éloi participe à de nombreuses activités comme les matchs de sport, les soirées dans les parcs et le ramassage professionnel des canettes et bouteilles. Son âge avancé et son charisme en font une personne très appréciée des jeunes comme des vieux, ce qui lui donne l’avantage de dominer le marché face à ses nombreux concurrents. Son célèbre ” Hey Johnny! ” pour nous interpeller est même adopté dans le dictionnaire local.

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10. Les seigneurs du patrimoine
En opposition aux barons de la drogue colombiens ou aux gangs de rue du Bronx, la mafia de Baie-St-Paul se dissimule sous des habits beaucoup plus modestes et sympathiques. De plus, ils ne font rien de mal et sont en fait de véritables gentlemen et membres actifs de la vie sociale de la communauté… Pourquoi alors les appeler mafia, ou ordre des loups, à l’image de notre blason. Et bien, en raison de cette promiscuité, de la force des liens familiaux, de cette puissante loyauté qui existe entre plusieurs des vieux fishs du coin. Vous savez, ceux qui se promènent toujours en Plymouth 72 avec les cheveux en back-coiffe à la Johnny Cash et qui nous appellent ”ptit bonhomme”. Il arrive souvent qu’on retrouve les mêmes 3-4 personnes sur de nombreux conseils d’administration, partageant leur sagesse tout en comparant la longueur de leurs truites capturées la fin de semaine passée. Pour ma part, j’ai appris à connaître beaucoup des anciennes têtes fortes du coin au centre pour personnes âgées Pierre Dupré, où ma mère travaillait comme infirmière quand j’étais petit. Le plus ironique dans tout ça, c’est que le bâtiment et les galeries où nos aïeuls se reposent l’été au soleil font face au cimetière…

NDLR: Urbania mettant Baie-Saint-Paul à l’honneur cette semaine, nous offrons
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