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Voyage au centre de la terre

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Après notre conversation avec Daniel, on a pris la décision d’aller à Fermont. Même si on avait la chienne (je n’utilise jamais cette expression parce que je trouve que «chienne» c’est pas beau, mais là, je ne vois pas autre chose). Faut dire que l’horoscope que j’ai lu au Saint-Hubert Express de Baie-Comeau était favorable : «Vous allez faire des déplacement qui en valent la peine». You bet.

À Baie-Comeau, on a pris la 389, direction Fermont. En embarquant, j’ai ressenti la même chose que lorsque j’étais jeune et que j’avais osé faire la ligne pour le Boomerang à la Ronde pour la première fois : mon cœur battait vite, mes mains étaient terriblement moites, mon ventre était noué. Trop tard. Je ne pouvais plus reculer.

Même si les panneaux d’affichage affichaient «FERMONT:567 km», je me suis calmée. La route était belle. Le soleil était sorti. On rencontrait des camions, mais pas trop. On écoutait les sœurs Mcgarrigle et j’avais des lunettes avec des vitres roses, donc je voyais la route et les sapins en rose. Ce qui était franchement réconfortant. Au 200e km, j’ai dit à Joannie la photographe :

– Ce qui est drôle, c’est qu’on va devoir revenir.

– J’aime mieux pas y penser.

– T’as raison.

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Plus notre Matrix s’enfonçait dans la forêt, plus les paysages étaient époustouflants. Les sapins recouverts de neige, les grandes étendues, les lacs gelés… Si elle avait vu ça, Manon Massé de Québec Solidaire aurait ca-po-té. Après un certain temps, on a vu apparaître une autre pancarte où il était inscrit «50e parralèle». J’ai dit à Joannie :

– C’est quoi le 50e parralèle?

– J’sais pas.

– On devrait prendre une photo. Juste au cas où ça serait important.

Vers 15h le soleil a gentiment commencer à descendre. C’était magnifique. Les arbres étaient noirs. Le ciel était bleu et jaune. Le seul «hic», c’est que notre niveau d’essence commençait aussi à descendre et qu’il n’y avait aucune station d’essence sur le chemin. Notre batterie d’iPod mourrait aussi à petit feu. Puis à 16h, le soleil a disparu. Il faisait «noir comme dans le cul d’un ours» (Kooloo Kooloo, Richard Desjardins).

– Mets donc les hautes, j’ai dit à Joannie.

– C’est déjà fait.

Même si les lumières étaient allumées, ça ne faisait aucune différence. Pendant plus d’une heure, on a roulé dans le noir sur une route sinueuse comme pas deux. En rencontrant des 18 roues. En pleine forêt. Passé le 50e parrallèle. Avec un quart de réservoir d’essence. Et une batterie de iPod dans le rouge. Sans savoir à combien de kilomètres se trouvaient le prochain relais. C’était 100 fois plus angoissant que de faire la ligne pour le Boomerang.

– Peux-tu mettre Like a prayer de Madonna? Y me semble que ça me ferait du bien.

– Ok.

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Après 300 km de route, on a finalement vu apparaître l’affiche du Môtel de l’Énergie, à Manic 5 (à mi-chemin entre Baie-Comeau et Fermont). Out of nowhere. Comme dans un film de David Lynch. On a fait un «Give me five» même si je déteste les «Give me five» et on est entrée dans l’hôtel en poussant le plus long soupir de soulagement de l’histoire du soupir de soulagement. La madame à l’entrée nous a donné notre clé. Il était 17h, mais j’avais l’impression qu’il était minuit.

Dans notre chambre, heureusement qu’il y avait Richard Latendresse à la télé et l’enveloppe des femmes de chambre pour nous redonner le sourire, parce que c’était triste à pleurer. On a bu de la Labatt 50 et puis on a soupé à la cafétéria où les employés de Manic 5 faisaient la ligne au téléphone pour appeler leur femme. Tout ça au centre de la terre.