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Une crotte sur le coeur

L'égaré errant: Épisode 7

Par
Gabriel Deschambault
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(Pour relire le sixième épisode, c’est ICI.)

Pourquoi ai-je si honte? Pourtant, pour une rare fois, je n’ai rien fait de répréhensible. Je suis écœuré et c’est tout à fait légitime.

Et triste aussi… très triste.

Ça fait un mois qu’Évelyne est dans ma vie et je ne sais trop quelle suite donner à cette relation. Je suis enfermé dans ma salle de bain et mon cœur bat à 80 miles à l’heure et j’ai un peu le goût de vomir. Combien de temps devrai-je rester ici avant d’affronter cette connasse de vie?

Je vous raconte:

Elle avait le pouvoir d’induire de l’ambition dans mon pauvre être sans dessein. Depuis notre rencontre au poste de police, nous étions unis par la passion des premiers moments : des nuits sans sommeil et des matins heureux, épuisés. Notre relation était une entente tacite où le plaisir était obligatoire et le doute proscrit. Au début, pendant une bonne semaine, nous avons mangé, bu et fait l’amour sans relâche, jusqu’à ce que la réalité me rattrape à nouveau et que je doive me remettre à chercher du travail. Les jours qui suivirent mon embauche furent plus calmes, mais à peine.

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Évelyne travaillait comme psychologue dans une école. Libre de son été, elle restait chez moi à dresser notre nid, à faire à manger, à parfumer ma demeure de sa présence enivrante. Elle ne rechignait jamais à s’avachir avec moi sur le divan ou à tomber dans les beuveries spontanées, ce qui me plaisait drôlement bien chez une femme. Mon temps était bon.

À un certain moment, j’ai cru que les choses allaient dérailler lors d’une visite impromptue de mes parents. Évelyne les a manœuvrés comme une pro. Elle a fait rire mon père en le rendant mal-à-l’aise et a impressionné ma mère par ses qualités d’hôtesse et sa classe.

Ma mère…

Je la voyais assise à la table avec sa bouche un peu pincée, son discret sourire présomptueux, disponible que pour l’œil exercé. Tout ça en disait très long. Bien sûr qu’elle se croyait à l’origine de ma situation providentielle. Je pouvais presque l’entendre me dire :

« Tu l’as rencontré à cause de moi. Si je n’avais pas signalé le retour de Cassandra et l’existence de son fils, tu ne te serais pas retrouvé au poste de police, avec Évelyne… ».

Si rien n’arrive pour rien, il va falloir qu’elle m’explique quelle logique elle perçoit dans l’enchainement des événements qui suivent.

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Aujourd’hui, en début de soirée, après avoir bien mangé et bien bu comme d’habitude, Évelyne et moi sommes montés à ma chambre pour clore la soirée comme d’habitude. La lassitude ne semblait pas vouloir s’installer de ce côté. Après un échange de fluides particulièrement animé, nous avons partagé une longue douche. Elle est sortie avant moi. J’ai pris mon temps, revenant sur les événements récents, me félicitant une énième fois d’avoir été l’architecte de ce bonheur inattendu. En sortant de la douche, je remarquai qu’elle avait laissé la porte de la salle de bain ouverte et, à ce que je pouvais déduire, elle était retournée s’étendre dans le lit.

J’eus une idée qui, selon la perspective, s’avéra être bonne et très mauvaise. Je voulais la faire sursauter, car c’est toujours drôle. Je m’avançai tranquillement pour jeter un coup d’œil, question de préparer mon coup. La porte de la chambre était entrouverte et je pouvais, en m’approchant de près, la voir à travers la fente sans qu’elle devine ma présence. Elle était dans le lit recouverte d’un drap jusqu’à la taille et on pouvait apercevoir ses seins érigés dans toute leur plénitude, m’invitant à reprendre le dialogue. Elle lisait un livre, une vieille brique de la littérature française. À ce moment précis, je crois que je m’étais avoué être en amour.

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C’est le signal qu’attendait la providence pour me jouer un tour abject.

Juste avant que je passe à l’acte, Évelyne lâcha son livre d’une main et d’un geste disgracieux, elle utilisa son index pour se curer nez. Je me senti malhonnête de l’épier et j’allais me retirer pour ensuite essayer de chasser cette image, mais je collai le temps de voir la suite. Pourquoi? Parce que mon instinct me déteste et ne me veut que de la misère. C’est assez clair.

Allait-elle, je l’espérais, se lever pour quérir un mouchoir, ou juste envoyer valser la chose d’un coup de doigt? Elle n’aurait pas été la première à le faire dans cette pièce, mais ce genre de comportement est acceptable tant qu’il demeure le tabou de chacun. Sinon, pire encore, elle pouvait s’en débarrasser en se frottant le doigt sur le drap ou sur tout autre surface rugueuse, geste que je n’avais pas posé depuis mes neuf ans et que je supposais être une pratique qui ne s’étendait pas au-delà de cet âge naïf.

Et bien non. À ma grande consternation, elle se fourra le doigt dans la bouche et consomma la chose.

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Comment expliquer la dévastation laissée par la statue géante d’une nymphe basculant de son piédestal pour s’effondrer sur un pauvre type qui l’y avait déposée. Stupéfait, je reculai discrètement, le souffle coupé. Je retournai péniblement à la salle de bain, confus et dégouté, camouflant un haut-le-cœur au creux de mon coude.

J’y suis depuis. J’ai verrouillé la porte derrière moi et je réfléchis à mes options. Je n’arrive tout simplement pas à y croire. Suis-je vraiment en train de vivre cette situation irréelle? Comment vais-je gérer cette nouvelle crise?

Tout d’abord, je dois me brosser les dents et évaluer la possibilité de me faire un lavement intestinal. J’embrasse un nez à pleine gueule depuis plus d’un mois. Si au moins Évelyne avait un défaut monstrueux qui ne laissait pas de doute sur la suite à prendre, mais là, cette habitude qu’elle a… Je ne pourrai jamais plus la regarder sans associer ses lèvres à cette image d’elle en train de restituer son humidité à du mucus séché. Définitivement, je vais devoir la laisser, mais comment vais-je justifier ce changement de cap subit? Je ne peux pas lui dire la vérité, beaucoup trop embarrassante. Assis sur le couvercle de toilette, je vis une peine d’amour ignoble.

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Tout ça à cause de ma mère. Elle a raison la pauvre, rien n’arrive pour rien. C’est l’évidence même : Le destin de mon existence était de passer par les situations les plus désastreuses, pour enfin connaître quelques jours du bonheur le plus sordide.
Oh non! J’entends Évelyne qui appelle mon nom. Elle veut savoir pourquoi je m’éternise à ce point.

Sale vie.

Merci Maman.

Fin.

Illustration par Grégoire Mabit

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