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Rapport Durham

Par
Biz
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Lorsque Urbania m’a proposé d’empoigner la plume de Lord Durham pour écrire un nouveau rapport en 2012, j’ai hésité. Un peu casse-gueule comme exercice de politique-fiction.

En y réfléchissant, je me suis dit que ça me permettrait d’aborder la question linguistique avec un recul que je n’avais jamais eu. Il va sans dire que je ne partage pas tous les constats de monsieur le comte et que ses conclusions me glacent le sang. N’empêche, tant du côté anglo que franco, il est temps de regarder la situation du français au Québec avec courage et lucidité.

[ Ce texte est extrait du Spécial ANGLOS, disponible sur notre boutique en ligne ]

En 1838, à la demande du Parlement britannique, je partais en Amérique du Nord pour rendre compte à Sa Majesté des tensions entre les Anglais et les Français du Bas-Canada. J’ai remis mon rapport au Parlement en 1839. Quelque 173 ans plus tard, je suis retourné en Amérique du Nord pour constater que le problème francophone persiste toujours.

Un petit peuple qui ne veut pas mourir
Dans mon rapport de 1839, j’ai écrit : « On ne peut guère concevoir nationalité plus dépourvue de tout ce qui peut vivifier et élever un peuple que les descendants des Français dans le Bas-Canada, du fait qu’ils ont gardé leur langue et leurs coutumes particulières. C’est un peuple sans histoire et sans littérature. [1]» C’était vrai à l’époque. Ça ne l’est plus.

Bien que très jeune pour des yeux européens, l’histoire des Québécois est riche et palpitante. D’abord éparpillés le long du St-Laurent sur un immense territoire hostile, les francophones du Québec ont été conquis par les armes en 1760, écrasés dans le sang en 1837-38, annexés par la force en 1840 et définitivement minorisés politiquement par la Confédération de 1867. Envers et contre tous, ils existent encore et ne veulent pas mourir. Cette résilience force l’admiration.

Après une longue hibernation, les Québécois se sont réveillés lors du dégel de la Révolution tranquille. Éducation, santé, économie, culture, aucune nation n’a fait autant de progrès aussi rapidement sur autant de fronts que les Québécois durant la décennie des années 1960.

Débarrassés de la religion catholique qui les tenait loin des affaires, soutenus par un gouvernement interventionniste, les Québécois francophones ont investi l’espace économique avec brio. Finie l’époque où les francophones travaillaient pour des patrons anglophones. En 2008, le PIB du Québec le plaçait au 27e rang des États les plus riches du monde.

Sur le plan culturel, la renommée des artistes québécois n’est plus à démontrer. Que ce soit en musique, en théâtre, en danse, en arts visuels, en littérature, en mode, en humour ou dans les arts du cirque, les créateurs québécois impressionnent, tant par la qualité que la quantité de leur production. Les artistes francophones du Québec rivalisent avec les meilleurs au monde. D’ailleurs, la créativité des Franco-Québécois m’apparaît comme leur plus grande richesse nationale.

En 1839, j’écrivais : « La langue, les lois et le caractère du continent nord-américain sont anglais. Toute autre race que la race anglaise y apparaît dans un état d’infériorité. C’est pour les tirer de cette infériorité que je veux donner aux Canadiens notre caractère anglais[2]. »

Pour effectuer ce transfert identitaire, je préconisais l’assimilation par la gouvernance politique et l’immigration. Une méthode éprouvée avec succès dans tout le Commonwealth.

Jusqu’à présent, l’histoire m’a donné tort. Alors qu’en 1839 les francophones de langue maternelle représentaient 75 % de la population du Bas-Canada (l’actuel Québec), leur proportion était de 79,6 % en 2006. Non seulement l’assimilation des francophones n’a-t-elle pas eu lieu, mais leur proportion a augmenté. Pire encore, la proportion d’anglophones de souche britannique au Québec est passée de 25 % en 1839 à 8 % en 2011.

La bonne nouvelle, c’est que la proportion de francophones de langue maternelle diminue constamment au Québec depuis 1982, année où ils atteignirent un sommet avec 82,9 % de la population. En 1839, la situation était tout autre.

Si l’on estime exactement la population du Haut-Canada à 400 000 âmes, les Anglais du Bas-Canada à 150 000 et les Français à 450 000, l’union des deux provinces ne donnerait pas seulement une majorité nettement anglaise, mais une majorité accrue annuellement par une immigration anglaise ; et je ne doute guère que les Français, une fois placés en minorité par suite du cours naturel des événements, abandonneraient leurs vaines espérances de nationalité[3].

J’avais sous-estimé l’incroyable opiniâtreté de ce peuple à maintenir son caractère unique. Même minorisés politiquement au sein du Canada uni en 1840, puis plus tard au sein de la fédération canadienne, les Québécois sont toujours parvenus à rester distincts de par leur langue, leur culture et leurs coutumes. Pour que le Québec soit entièrement gouverné par les Anglais, il aurait fallu que le Canada demeure un État unitaire tel que je l’avais recommandé dans mon rapport de 1839. En accordant d’importants pouvoirs aux provinces (notamment l’éducation et la santé), la Confédération de 1867 a permis aux Québécois de s’appuyer sur leur Assemblée nationale (le seul gouvernement où ils ont toujours été majoritaires) pour assurer leur survivance.

1) DURHAM, Lord. Rapport sur les affaires de l’Amérique du Nord britannique, 1839.
2) Ibid.
3) Ibid.

Lisez la suite dans le Spécial ANGLOS, disponible sur notre boutique en ligne

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