.jpg)
Si Montréal était une ferme, le matin en me levant, avant de partir à la job, je descendrais chez le chinois, en bas de chez moi et je lui prendrais une pinte de lait entier (on l’aurait rendu légal, disons…).
Ce lait, il n’aurait pas parcouru des centaines de kilomètres puisque c’est Marguerite, la vache de mon dépanneur qui l’aurait produit le matin même. Marguerite, elle habiterait en bas de chez moi aussi, dans son étable, à l’arrière de chez mon dépanneur. Et je croiserais mon voisin avec son petit morveux qui, pour une fois, serait un peu moins con. Il saurait enfin d’où ça vient le lait. De Marguerite.
Si Montréal était une ferme, une fois à bord du bus, pour aller à la job, je pourrais comme tous les matins prendre un malin plaisir à constater les beaux virages qu’a pris ma ville depuis 2012, mettons. Les traditionnels arbres urbains auraient été remplacés par des pommiers, des poiriers, ou autres plantations fruitières un peu plus le fun. Les fruits seraient devenus un bien public et les passants pourraient s’arrêter les cueillir, une fois mûrs. Sur les toits des arrêts de bus, peut-être des ruches pour un miel « STM ». C’est sûr, il faudrait un jour régler le problème des piqûres mais c’est un autre sujet. La plus belle innovation, sans doute, le porte-mouton, à l’avant du bus. Un peu comme certaines villes chez nos voisins du sud dont les bus ont un rack à l’avant pour les vélos. Cette belle invention autoriserait le transport des ovidés ou autres caprins, d’un parc à l’autre de la ville car, désormais, ce seraient eux qui tondraient nos belles pelouses. Et leur laine ferait des tuques tellement cools pour les hipsters de Villeray, le nouveau quartier tellement à la mode.
Si Montréal était une ferme, j’aurais une job qui n’existe pas maintenant. Je repérerais les lieux potentiels de « fermisation » en ville. Quelle parcelle est vide, mal occupée, qui permettrait telle ou telle culture? Quel toit serait propice à accueillir des plants de tomates ou autres cucurbitacés? Il y aurait des fermes Lufa un peu partout en ville et il faudrait planifier les suivantes. Je rencontrerais des particuliers cherchant des conseils sur la meilleure manière d’élever des poules dans leur ruelle. Je planifierais la redistribution du compost ramassé deux fois par semaine comme de vulgaires vidanges. J’aimerais mon travail car je serais au plus près de la terre, comme le fut mon arrière grand-père alors qu’il retournait ses champs à grand coup de herse derrière son cheval de trait. Une boucle de bouclée, en quelque sorte.
Si Montréal était une ferme, sur l’heure du lunch, je partirais avec mes collègues au jardin du bureau. Mes patrons, comme beaucoup de patrons, auraient mis à disposition de leurs employés un peu d’espace pour qu’ils puissent faire pousser deux trois légumes. À nous ensuite de nous occuper de notre petite parcelle pendant ces pauses qui en seraient de vraies, les mains dans la terre. Ce midi, je choisis de prendre un peu de roquette (il faut vraiment la manger), quelques tomates coeur de boeuf, deux carottes, de l’échalote française. Je mélange le tout et me prépare une belle salade maison. Sans OGM. Je décapsule quand même une « Dead Body », cette nouvelle bière purement montréalaise. Le nom vient tout simplement du houblon qui, dorénavant pousse au milieu du cimetière Côte-des-Neiges. Après tout, est-ce que ça les dérange vraiment, quelques racines qui les chatouillent?
Si Montréal était une ferme, après dîner, j’irais enseigner aux futurs grands de ce monde les bases de ce que leurs parents ont oublié. Une salade pousse dans la terre, une noix de coco ne pousse pas au Québec, un poisson ne naît pas pané, les citrouilles, on peut en faire autre chose que des décorations d’Halloween, une vache ne rit pas vraiment, quoi que. Ils me regarderaient avec des airs incrédules comme si j’étais un extraterrestre mais, finalement, comprendraient qu’ils pourront accomplir de grandes choses pour le futur de leur planète.
Si Montréal était une ferme, en rentrant de la job, je surprendrais, dans le bus du retour, des conversations qui m’horripilent. Du genre mononc’ qui chiale à matante que la ville sent vraiment trop le fumier et que ça lui est insupportable. Que les chevaux qui tirent les tramcalèches laissent du crottin dans toute la ville et que c’est vraiment désagréable toute cette nouvelle mode de ferme et que c’était vraiment mieux avant, quand les voitures faisaient du bruit peut-être mais au moins on ne marchait pas dans des mârdes. Matante qui lui rappelle, haussant le ton: « Montréal devenue une ferme, mais quelle ferme? » L’autre de répondre: « Mais la ferme ta gueule Monique! » Pour me rassurer, je me dis que pour chialer autant, il doit avoir un peu de sang français ou alors que depuis que Météomédia arrive à faire de bonnes prévisions, il y a moins d’intérêt à chialer sur la météo. Oui, car Météomédia n’a pas eu le choix de se mettre à niveau. Maintenant que Montréal est une ferme, les prévisions se doivent d’être pas pires.
Si Montréal était une ferme, je finirais ma journée sur mon toit, à cultiver mes légumes, à jeter quelques feuilles de salades dans le clapier pour les futurs lapins à la moutarde. Mon voisin m’expliquerait que ses aubergines n’ont jamais été aussi belles et, m’arrêtant de bêcher pour cinq minutes, je me rendrais compte que seuls quelques toits ne sont pas encore investis. Sûrement le fatiguant du bus ou alors des vieux élevés en 2012 qui n’ont malheureusement pas encore tout compris la beauté de la chose.
Montréal ne te ferme pas. Cultive-toi!
Illustrations: Martine Frossard