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L’ex-présidente de la FEUQ, Martine Desjardins, se prononce sur le projet de Charte des valeurs québécoises.
Le 26 octobre dernier, Martine Desjardins arpentait un chemin maintes fois martelé en compagnie des Janette. La présence d’une des figures de proue du Printemps Érable dans la foule a, bien sûr, été relevée par plusieurs médias. « Ça faisait changement de manifester “pour” un projet de société! », lance-t-elle, sourire en coin. « C’était ma première manifestation du genre! » Plus d’un an après la fameuse grève étudiante, l’ex-présidente de la FEUQ se retrouve – bien malgré elle, mentionne-t-elle – sur la sellette, mais sous un éclairage différent alors qu’elle intervient sur différentes plateformes pour commenter l’actualité à titre de chroniqueuse et de conférencière. Comme si ce n’était pas assez, celle-ci s’est aussi propulsée dans l’arène en devenant un des fleurons du Rassemblement pour la laïcité, un nouveau collectif réunissant des femmes et des hommes de toutes générations et de tous les parcours qui se disent également pour le controversé projet de Charte des valeurs québécoises proposé par le ministre Bernard Drainville.
« J’ai réfléchi longtemps avant de me lancer », confie-t-elle pour expliquer son incursion dans le débat. « J’ai beaucoup grappillé! J’ai appelé des gens et j’ai lu beaucoup, dont la prise de position du Conseil du statut de la femme… avant qu’il change d’opinion! », glisse Desjardins, moqueuse, en faisant référence aux prises de bec intestines au sein de l’organisation révélée par la sortie publique de la présidente Julie Miville-Dechêne en septembre dernier, accusant Agnès Maltais d’ingérence en nommant quatre membres s’étant affichés pour la neutralité de l’État et l’interdiction de signes religieux… avant de se raviser quelques jours plus tard, faisant valoir les « échanges constructifs » et la « confiance mutuelle » régnant dans le collectif dans un communiqué dans les médias. « En fait, l’opinion du Conseil n’a pas changé. Elle a tout simplement… disparu! »
Le « défaut » universitaire
La recherche de données de Martine Desjardins a toutefois tardé, s’avouant choquée par les débordements des premiers jours suite à l’annonce – « La première semaine m’a carrément pris à la gorge! », confiera-t-elle. « Je me suis donc dit “Ce n’est pas vrai que je vais me mettre à déchirer ma chemise en public ou dans les médias si je ne sais pas de quoi je parle. « C’est mon ‘défaut’ académique! » L’universitaire citera au passage le cas de Québec Solidaire pour appuyer ses dires. « Il y a beaucoup de personnes qui ont porté des jugements avant de finalement se raviser ou encore d’adopter une position plus modérée. Québec Solidaire, par exemple, s’est tout d’abord dit contre et a finalement proposé sa propre charte! C’est un peu ça : on déchire notre chemise en public… puis on sort notre propre charte, mais on va quand même dans des manifestations contre le projet. Bref, nous sommes tous mêlés! »
Au fil des semaines, Martine Desjardins a constaté bon nombre de mouvances sur la place publique ainsi qu’en ligne. « T’sais, on se calme! C’est juste les médias sociaux! », s’exclame-t-elle, dénonçant les attaques des deux « camps ». « Ça va dans les deux sens. J’ai aussi vu des pro-Charte attaquer Gabriel Nadeau-Dubois, par exemple. Voyons! On se calme! Ce n’est pas parce que nous étions tous derrière la même cause l’année dernière qu’on ne peut pas être en désaccord sur d’autres sujets! »
Mais, justement, a-t-elle des arguments pour convaincre les personnes avec qui elle peut être en désaccord? La réponse est : oui et elle en a beaucoup. « D’habitude, je leur demande s’ils sont pour la laïcité de l’État. Déjà, s’ils sont contre, je sais qu’on ne pourra pas vraiment discuter, parce qu’on part de très loin! », fait valoir Desjardins avec une pointe d’humour. Partant du constat que la plupart des gens « confrontés » sont bel et bien pour la laïcité de l’État, la débatteuse poursuit sa démonstration. « Ensuite, il faut regarder pourquoi ils sont d’accord. Pour s’assurer qu’une religion – catholique ou une autre – prenne plus de place qu’une autre? Dès lors, on s’éloigne déjà du projet de Charte actuel que je vois comme une “catho-laïcité”. Je ne crois pas que ce sont les signes ostentatoires qu’il faut retirer, mais bien tous les symboles religieux. Les fonctionnaires de l’État doivent déjà ne pas révéler leur affiliation politique. Si l’on était cohérent, on devrait faire la même chose avec les symboles religieux. »
« Tout le monde tout nu! »
Martine Desjardins ne propose toutefois pas de faire table rase en appliquant sa propre Charte modifiée. « J’appliquerais les droits acquis. Ainsi, les personnes qui ont été embauchées selon les anciens principes et qui ont des signes religieux peuvent les conserver jusqu’à leur retraite, mais les nouveaux doivent se soumettre à la Charte. Je le sais que c’est un double statut, mais on l’a déjà dans plusieurs cas et ça éviterait que les gens aient l’impression qu’on les “déshabille”. Il faut se laisser du temps et si on applique ces “accommodements” – mot qu’elle prononce tout sourire, soulignant l’ironie de revenir à ce terme -, je fais le pari que les gens vont les retirer par eux-mêmes. L’adopter puis dire “Tout le monde tout nu” le lendemain? Ça ne marchera pas! »
Mais qu’en est-il de la femme là-dedans? « Ça m’énerve! », tranche-t-elle, l’oeil brillant. « C’est vrai que c’est souvent aux femmes qu’on impose le port de signes ostentatoires, mais, comme me l’a rappelé le sociologue Guy Rocher, le Québec s’est libéré de ses dogmes religieux et ça aura notamment permis aux femmes d’entrer sur le marché du travail. De nos jours, il y a plusieurs religions qui prennent de l’ampleur, dont le catholicisme en Amérique du Sud, et l’on ne sait pas ce que ça va donner dans 15 ou 20 ans. Est-ce que cet élan va nous faire revenir à imposer le religieux à nouveau? Pour éviter ça, je me dis qu’il faut conserver et accentuer ce qu’on a fait au niveau de la Révolution tranquille. Conserver la neutralité de l’état est important. Ça permet de garder tout le monde sur le même pied d’égalité. »
Victimes partout
Du même souffle, Martine Desjardins dit trouver « déplorable » le discours de certaines féministes dépeignant les femmes comme des victimes de la Charte. « C’est victimiser davantage », tonne-t-elle. « C’est utiliser les femmes pour justifier une position contre la Charte. “Je suis contre la Charte, car les femmes en seront victimes, mais, ce faisant, c’est déjà dire que les femmes sont des victimes; qu’elles ne sont pas capables de faire leurs propres choix! Moi, ça me sidère. »
Et c’est là que son « défaut » académique reviendra au galop. « Le mémoire de la Fédération des médecins spécialistes du Québec – qui date de 2008, c’était donc pour un projet de loi libéral! – révélait que c’étaient les hommes qui subissaient les accommodements religieux, notamment en gynécologie. Il pouvait arriver qu’un couple arrive et que l’homme exige qu’une femme ausculte sa partenaire. S’il n’y en avait pas sur le plancher, il pouvait arriver qu’une résidente le fasse. Autant qu’elle doive être assez compétente, elle n’est quand même pas médecin. D’un côté, c’est comme dire que ces hommes ne sont pas assez bons pour faire leur travail et de l’autre, il peut arriver que des femmes qui n’ont pas terminé leur formation les remplacent. Moi, je trouve que tout le monde est perdant, là-dedans! »
Bien que la chroniqueuse concède que certains hôpitaux portent une attention particulière afin d’éviter ces écueils, elle soupire aussitôt en mentionnant que la problématique n’est toujours pas réglée. « Et ça date quand même de 2008! » D’où l’importance de ce projet de Charte, selon Desjardins. « Il y a beaucoup d’éléments du genre qui font en sorte que je me demande vraiment pourquoi on s’oppose à avoir des balises et règles claires. C’est sûr que ça ne va pas tout régler. Personne ne va brandir la Charte comme une baguette magique, mais plusieurs disent qu’avec une structure sur laquelle on peut s’appuyer, on pourrait dire ‘non’ à ces écarts. » Et avant même qu’on la relance, la débatteuse ajoute : « Et pour ceux qui disent ‘Ils n’ont qu’à répondre ’non’ maintenant, je suis désolée, mais ce n’est pas comme ça que les Services publics fonctionnent. Ça prend des règles claires. Sinon on se fait attaquer personnellement. La Charte amène des règles claires. Ce n’est pas tout, mais c’est déjà ça! »
Comme une odeur de Printemps…
Dans un billet de blogue publié le 28 octobre sur le portail web du Journal de Montréal, Martine Desjardins tentait de rectifier le tir concernant la désinformation et les croyances populaires circulant à propos du projet. Lorsqu’on lui demande si les égarements cons et isolés – allant du sang lancé sur une mosquée d’Alma jusqu’à la vidéo virale du vieillard invectivant une dame voilée dans un autobus de Montréal – ne témoignent pas d’un manque d’éducation de la population autour de la Charte, Martine hésite – quelques secondes à peine – avant de bondir : « Je ne crois pas qu’il y ait urgence pour le projet de charte, mais dans 15 ans? 20 ans? Là, il y aura peut-être une urgence. Le temps de faire de l’éducation, qu’on explique tout ça, je crois que les deux peuvent se faire en parallèle pendant qu’on prend des décisions concernant la Charte et qu’on la met en place. »
Bien que son passage à la FEUQ est bel et bien derrière elle (elle rédige actuellement un livre sur les événements de 2012, d’ailleurs « parce qu’il n’y a pas que Gabriel qui peut en écrire un à ce sujet! »), elle rapproche tout de même certaines réactions à la Charte au Printemps Érable. « À cause de certains vandales, on disait que tout le mouvement encourageait le vandalisme, la violence et tout ça. Je trouve ça ironique, car certaines personnes qui dénonçaient l’instrumentalisation de la violence font la même chose avec ça! ‘Voyez comment la Charte nous transforme en xénophobes!’ Il faut faire attention et éviter de généraliser. Je crois qu’il faut relativiser. » Puis Martine de conclure avec une dernière allusion textile : « Le débat doit avoir lieu. Doit-on vraiment attendre une urgence au Québec avant de se relever les manches? Si la réponse est oui, on a vraiment un gros problème! »
Le projet Toi, moi et la Charte propose de confronter vos opinions et de vous faire réfléchir sur cet enjeu de société.
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