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L’éducation à la démocratie

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Au grand plaisir des tenants de la loi et l’ordre, certains politiciens et intellectuels se complaisent au moment de la reprise des votes de grève à questionner la sémantique et le poids sociologique du concept de grève étudiante.

Le débat sur les structures et les fondements démocratiques du mouvement étudiant est, de manière générale, toujours souhaitable. Pourtant, actuellement, les discours anti-grève ne servent qu’un objectif purement politique. Et ils écorchent au passage l’essence même de notre démocratie toute libérale.

Remettre en question une décision qui ne fait pas notre affaire, le report d’une session par exemple, ne devrait pas nécessiter le rejet de la démocratie comme mode de fonctionnement social, mais plutôt viser à l’améliorer. On reproche aux étudiants de maltraiter la démocratie, alors qu’ils ont recours à des procédés bien connus qui encadrent l’ensemble des organisations de la société québécoise.

Bombardier est communiste?

Depuis longtemps, l’État québécois a enchâssé dans son Code civil les modalités et principes d’organisation des entreprises privées, des organismes sans but lucratif et de différents organismes incorporés. Ceux-ci possèdent des instances dont le fonctionnement est aussi balisé par des codes de procédure internes tels le célèbre Code Morin. Bombardier, Moisson Montréal, les Conférences régionales des élus, la Caisse de dépôt, la CSN ou le Festival de Jazz de Montréal n’y échappent pas. Malgré leurs objectifs, leurs structures et leurs répartitions internes du pouvoir fort différents, chacune de ces organisations dispose d’une assemblée qui encadre les décisions collectives d’un C.A., ceci dans le but de procurer à ces décisions un caractère démocratique.

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Les associations étudiantes sont régies par ce même principe d’assemblées décisionnelles enchâssé par la loi ainsi que par des règlements de régie interne préalablement approuvés par les deux tiers des membres. À cette seule différence que les associations étudiantes donnent habituellement plus de pouvoir aux membres de leur base que les entreprises privées à leurs actionnaires. De plus, selon la Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants, «un établissement d’enseignement doit reconnaitre l’association accréditée comme le représentant de tous les élèves ou étudiants (…) de l’établissement. »

La démocratie à la pièce

Exprimer sa dissidence et agir en ce sens est une chose. Faire de la « démocratie à la pièce » parce qu’une décision ne nous plait pas en est une autre. La démocratie représentative, qui n’est pas confinée à la seule Assemblée nationale, existe dans toutes les sphères de la vie sociale québécoise. L’argumentaire individualiste qui tente de la remettre en cause questionne du même coup l’idéal démocratique libéral qui est le nôtre en suggérant de lui substituer un idéal économique et social qui sacralise le désaccord individuel et démonise le vote majoritaire.

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La dissidence est un des principes clairement établi dans le cadre du système actuel. Elle s’applique autant à ceux qui sont ou qui ne sont pas d’accord avec la grève comme moyen de pression.

Le droit à la dissidence est inscrit dans les chartes, balisé par dans les statuts et règlements des associations et a souvent mené dans l’histoire à des scissions de groupes. Il a d’ailleurs été exprimé, à maintes reprises, par les nouvelles associations étudiantes placées en porte-à-faux avec leurs prédécesseurs. Les actions votées par la majorité sont applicables par une association ou par un groupe, mais les minoritaires conservent également le droit d’argumenter contre celles-ci, d’inscrire publiquement leur désaccord ou de demander qu’un nouveau vote soit organisé, selon les règles en fonction. Ils peuvent aussi manifester ou organiser le boycott de la décision majoritaire en se présentant à leurs cours, par exemple. Une association étudiante ne possède aucun pouvoir de coercition légal, elle n’a que le devoir moral de respecter la décision de la majorité, un devoir nécessaire pour assurer la cohésion du groupe dans ses actions et modes de fonctionnement.

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Lorsque quelqu’un fait de la désobéissance civile, c’est ce même devoir moral qu’il remet en question, affirmant que ses droits fondamentaux ne sont pas respectés par la loi contestée. La dissidence et ses différentes formes sont inscrites dans le cadre de la démocratie représentative. Il faut donc sortir du faux débat sur la légalité de la dissidence et entrer dans celui de la gestion de l’enseignement postsecondaire.

Le choc des droits

Dans la Charte des droits et libertés du Québec, il n’y a que très peu de référence au droit à l’éducation en tant que tel, si ce n’est pour spécifier que l’instruction devrait être gratuite (Article 40). De ce fait, l’éducation supérieure, est une responsabilité collective avant d’être individuelle.

Si une association démocratiquement constituée décide de voter à majorité une suspension des cours, il en va d’un devoir éthique et pratique de respecter cette décision, en fonction du nombre d’individus qui constituent le quorum légitime préalablement déterminé par l’association.

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Lorsqu’un membre d’une association étudiante décide de ne pas respecter un vote de grève et de se rendre à l’université, pourquoi un autre membre favorable à la grève n’aurait-t-il pas la légitimité d’user de son droit de manifester devant cette même institution pour dénoncer un geste qu’il considère antidémocratique? Doit-on vraiment hiérarchiser les droits?

D’ailleurs, si tous les étudiants, pour et contre la grève, usaient de leur droit d’accès à leurs classes et à la dissidence en même temps, aucun cours ne pourrait être offert. Si les esprits s’échauffent, la cause n’en réside-t-elle pas justement dans le fait que le droit de grève n’est pas reconnu, contribuant de ce fait aux escalades de violence?

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Le droit de dissidence, appliqué ici au recours à la grève, a permis à notre démocratie de se façonner depuis des décennies et de mieux respecter ses minorités. Ce n’est certainement pas en limitant le recours à la grève qu’on résoudra la question. D’ailleurs, les manifestations du printemps dernier ont probablement été l’un des remparts à la dissidence effective face à un système parlementaire britannique uninominal à un tour inadapté à une réelle représentation des citoyens.

Un étudiant qui ne respecte pas la décision de la majorité doit donc assumer sa dissidence morale et éthique face à l’ensemble. S’il décide de traverser les piquets de grève, il doit s’attendre à ce que certains trouvent son geste immoral. Ce processus de dissidence, y compris les conséquences des gestes de dissidence (colère des grévistes face aux briseurs de grève), fait justement partie intégrante des principes sous-jacents à la démocratie libérale.

S’unir pour faire entendre sa voix

Sans désigner la grève étudiante par son nom, l’annulation des cours par le gouvernement s’apparente à une tactique patronale du lock-out. En décrétant la suspension des sessions, le gouvernement a reconnu du même souffle le rapport de force et lui a donné un statut.

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Les étudiants vivent un moment historique. En grève technique depuis le milieu du printemps, la plus longue du genre de notre histoire, des dizaines de milliers d’étudiants débattent en ce moment du bien-fondé de sa poursuite. La loi ne définit pas la grève étudiante, mais elle encadre clairement le fonctionnement démocratique des associations étudiantes qui ont déclenché, parfois de manière malhabile, parfois plutôt visionnaire, un mouvement de protestation sans précédent. La grève est réelle, elle existe, même si la loi n’en mentionne pas la possibilité.

Le principe d’une grève étudiante n’est pas nouveau. Il s’agit d’un concept reconnu qui a façonné notre démocratie libérale depuis des décennies (avez-vous déjà ouvert le dictionnaire?). D’ailleurs, si le mouvement syndical, similaire dans ses revendications associatives, avait attendu que la grève soit reconnue par la loi avant d’en déclencher une, notre organisation du travail serait digne d’une époque révolue. Et si le mot briseur de grève n’est plus de mise aujourd’hui, c’est qu’on tente de nier une réalité.

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Le braquage du gouvernement face à la dissidence des étudiants et étudiantes concernés par la hausse des droits de scolarité aura permis de transformer cette revendication somme toute restreinte en un soulèvement contre la logique de l’utilisateur-payeur qui détruit les principes de la Révolution tranquille.

Le mode de fonctionnement démocratique de la société québécoise ne doit pas être remis en cause à chaque fois qu’une décision majoritaire est prise. Qu’elles soient légales ou pas, les grèves étudiantes ne sont pas nouvelles. Et il y en aura certainement encore.

La démocratie libérale ne sera jamais parfaite. Comme l’a suggéré Churchill, n’est-elle pas le pire des régimes, à l’exception de tous les autres?

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