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« La grosse noirceur » : quand l’absurdité du présent se transforme en futur dystopique

Rencontre avec l'auteur et comédien Olivier Morin.

Par
Mali Navia
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Présentée du 12 au 30 avril au Théâtre aux Écuries à Montréal, la pièce La grosse noirceur promet de raconter une histoire on ne peut plus familière dans un contexte dystopique-futuriste.

Il suffit de lire quelques lignes de la description de l’œuvre pour se réjouir du retour des créateurs du Théâtre du Futur. Formée d’Olivier Morin, de Guillaume Tremblay et de Navet Confit, cette compagnie de théâtre se démarque par son univers comico-engagé depuis maintenant 10 ans. Chacune de ses pièces a une signature particulière et s’inscrit dans le lieu commun qu’est notre présent transposé dans un futur possible.

Rencontre avec l’auteur et comédien Olivier Morin, un humain au génie créateur impressionnant.

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Tu es cofondateur du Théâtre du Futur. D’où vient ce nom et comment est-ce qu’il influence vos créations? À lire quelques synopsis de vos pièces, il y a clairement une tendance!

Le Théâtre du Futur, c’est un étrange dragon à trois têtes qui a commencé avec Clotaire Rapaille : l’opéra rock. C’est devenu une réflexion sur l’inconscient collectif, sur les insécurités culturelles de la ville de Québec et du Québec qu’on a transposé dans le futur. Le spectacle a eu une super belle vie. Fort de cette expérience, on a eu envie de créer une compagnie et faire d’autres shows. Là, ça fait 10 ans. On a une sincère délinquance par rapport à cet espace de liberté totale.

Sur votre site web, on peut lire votre mandat, qui est de « sauver le Québec, le Monde et éventuellement l’univers », ça donne le ton! Comment définirais-tu votre style théâtral?

De show en show, il y a une recherche formelle, musicale, on change la forme. Des fois, c’est politique, mais pas au sens de politicien. C’est une boutade au Théâtre d’Aujourd’hui, on avait envie d’avoir un modus operandi un peu plus punk. Pour faire le théâtre d’aujourd’hui, il faut faire le théâtre du futur!

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C’est quand même fou de voir qu’avec certains spectacles, vous avez réellement prédit le futur! Comme par exemple dans votre pièce L’assassinat du président, que vous avez écrit en 2012, mais qui se passe en 2022 avec un François Legault premier ministre!

(Rires) Oui! On est un peu des Nostradamus de ruelle! Il y a eu aussi Épopée nord, une pièce avec les codes de La soirée canadienne, dans laquelle on abordait la réconciliation avec les Premières Nations à travers les insécurités identitaires des allochtones. C’était bien avant que ce soit un sujet d’actualité.

D’où vient l’inspiration de vos spectacles? Comment choisissez-vous vos sujets?

Le futur est quelque chose de potentiel, ça peut aller vers le meilleur et le pire.

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Ça vient d’une étincelle, un truc dont on veut parler et sur lequel on n’a pas toutes les réponses. Quand on commence à écrire, c’est intéressant de se placer dans une zone où il faut prêter le flanc, où il faut en apprendre et montrer qu’on a des préjugés. L’exercice est plus personnel. Exposer ses propres préjugés est une façon de se mettre à nu. On ne fait pas de pamphlet! On ne regarde pas le sujet de haut. On ne veut pas non plus trop flatter dans le sens du poil. C’est ce qui fait que la satire opère, qu’elle fait réfléchir. C’est important d’avoir des paradoxes. Ça prend des événements catastrophiques, un aller-retour entre l’optimiste et le pessimisme, entre l’utopie et la dystopie. Le futur est quelque chose de potentiel, ça peut aller vers le meilleur et le pire.

Aussi, il faut toujours qu’il y ait quelque chose de rigolo. Au début de l’année, c’était juste un show mystère et les gens achetaient quand même leur billet parce qu’ils sont fidèles de notre univers. C’est libérateur cette rigolade-là, ça permet d’ouvrir le cœur des gens pour aller vers une catharsis collective.

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La description de La grosse noirceur laisse deviner une pièce profondément politique dans un univers teinté par l’absurde, je me trompe?

En s’inscrivant dans le futur, on questionne notre présent.

C’est l’absurdité de la réalité. En s’inscrivant dans le futur, on questionne notre présent. Le point de départ de la pièce est qu’on est tous échaudés par deux ans de pandémie. On est plus à fleur de peau, on a moins de tolérance. Il y a la guerre en Ukraine, le retour de Jean Charest, etc. Les gens n’ont pas de tolérance envers les gens qui ne pensent pas comme eux. Alors qu’est-ce qui se passe si tu es dans une communauté de justiciers sociaux, mais que tu n’as personne contre qui te liguer?

Chaque village a ses codes, ses coutumes et ses valeurs. Le personnage principal, qui s’appelle Vous, est en pérégrination et se demande où se déposer. Chaque comédien devient le personnage de Vous à un certain moment donné. Il y a une quête identitaire là-dedans. On se demande si on peut être bien quelque part. C’est cave et c’est rigolo.

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À une époque où l’opinion est partout et où il y a beaucoup de bruit, est-il plus ou moins important d’avoir des espaces comme le théâtre pour satiriser ou commenter les tendances de la société? Que devient le rôle du théâtre selon toi dans un moment comme celui que nous traversons?

C’est complètement différent. Sur les médias sociaux, il y a une certaine interactivité, mais ça reste unidimensionnel. Le théâtre fait qu’on se réunit et ça se passe en live. Il y a une contagiosité, on ne rit pas aussi fort seul en lisant une chronique que quand on rit tous ensemble. Le théâtre est là pour raconter une histoire humaine, on ne fait pas de pamphlet. Faut le regarder à hauteur d’humain, ça ne recoupe pas une chronique de Manal Drissi ou de Richard Martineau, ça n’a pas la même fonction. On raconte des histoires, on ne dit pas ce qu’on pense nécessairement. On est plus proche de la logique de la fiction et du cinéma.

Même s’il y a une dimension politique, on ne fait pas de la chronique. Si on est trop chronique, ce n’est pas la fonction de notre théâtre. La partie sociale est en filigrane. Le sujet principal est une quête personnelle, c’est une histoire et si les gens veulent se faire plaisir avec une analyse, ils le peuvent, mais ce n’est pas frontal. Personne ne peut savoir ce qu’on pense pour vrai. Ce qu’on dit, c’est qu’on est multiple, on n’est pas une étiquette, on peut être telle chose et telle chose en même temps, on peut penser une chose et son contraire, parce qu’on est humain.

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