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« Beaucoup de mes amis sont venus des nuages Avec soleil et pluie comme simples bagages » – Françoise Hardy (auteur : Jean-Max Rivière)
La plupart de mes amis sont dans ma vie depuis longtemps. En fait, ma « gang » du secondaire est toujours là, autour. Nous nous sommes connus à l’âge des boutons, des sourcils qui se rejoignent au milieu, des peines d’amour insondables, des lettres-fleuves écrites sur des feuilles de cartable savamment pliées. Dans une affreuse polyvalente de région, nous avons découvert ensemble le théâtre, la littérature, le cinéma, nous construisant à leur contact, sur les fondations imparfaites (ne le sont-elles pas toujours?) que nous avaient léguées nos familles. C’est en relation les uns avec les autres que chacun de nous est devenu ce qu’il est. Il a fallu se distancier, après, aller boire à d’autres sources pour continuer d’avancer (sans jamais cesser de se voir). Un quart de siècle est passé. Nous sommes devenus des adultes. Sérieux et sérieuses, parfois, dans nos habits de grandes personnes. Mais quand nous nous retrouvons le temps d’un souper ou d’un weekend dans un chalet, pour nous raconter nos vies, décortiquer nos amours, partager peines et joies, nous savons que palpitent encore en nous des ados fragiles (ils affleurent parfois sur nos visages). Et c’est peut-être pour toutes ces couches de nous que nous connaissons et reconnaissons qu’il est si émouvant d’être ensemble, à chaque fois.
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En vieillissant, je me suis fait quelques autres « amis proches ». Aucun au Cégep, mais deux au bac, deux filles aux côtés de qui j’ai aussi marché sur le chemin de la vie adulte (depuis 20 ans!), de confidences en conseils en soirées pizza. Plus récemment, j’ai rencontré trois amies chères dans mon milieu professionnel, que je sais que je vais garder longtemps. Et quelques autres en cours de route.
Bref, à la mi-trentaine, j’étais pas mal « greyée » en ami(e)s proches. Je ne m’en cherchais pas d’autres. T’sé, c’est exigeant, ces affaires-là, faut aller prendre des cafés, faire des soupers, s’écrire des courriels… Ça ne finit plus!
Mais la vie me réservait une surprise. Une surprise bicéphale : Brigitte et Manue.
Pour souligner notre premier anniversaire de RoseMomz, j’ai eu envie de vous raconter ma première rencontre – assez saugrenue – avec Brigitte. Une histoire de… morsure.
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Ça se passe à l’automne 2011. Mon couple bat de l’aile, mais j’essaie de ne pas trop le voir. Je m’inscris, pour relaxer, me recentrer, essayer de me retrouver, à un cours de yoga, dans mon quartier.
J’arrive là, le premier matin. La pièce est lumineuse et imprégnée d’une odeur de bois de santal. Certaines personnes sont couchées sur leur tapis, d’autres assises en indien. Je m’installe et m’aperçois que la fille qui se trouve à ma droite me dit quelque chose. Je l’ai vue quelque part… Elle me sourit. Je lui souris aussi et j’ai un flash :
« Tu as des enfants à l’école Saint-Chose-Bine, n’est-ce pas? », que je lui demande en chuchotant, pour ne pas déranger la zénitude ambiante.
— Oui! Toi aussi?
— Oui. Ah! C’est là qu’on s’est vues!
Elle a l’air sympathique. Elle a un toupet de petite fille, un rire assez grave et un sourire qui reste collé longtemps. Elle semble connaître les autres filles du groupe de yoga.
— Tes enfants sont en quelle année? me demande-t-elle, tout bas.
— J’ai une fille en maternelle.
— Eh! J’ai un gars en maternelle!
— Ben voyons! C’est drôle! Il est dans quelle classe?
— Dans la classe de Thomas.
— Hé, ma fille aussi! Ben coudon, incroyable! Comment il s’appelle ton gars?, que je lui demande.
— Théo…
Non. La face me tombe.
Une semaine auparavant, l’éducatrice en service de garde de ma fille avait demandé à me voir après l’école pour me dire qu’un incident était survenu durant la journée : ma fille avait mordu un garçon. Ma fille, menue et gentille, mordre un autre enfant? J’avais du mal à le croire… L’éducatrice m’a expliqué que le garçon refusait de rester dans le rang et que ça avait énervé ma fille, qui avait décidé… de le remettre à sa place. Et pas délicatement. L’éducatrice avait dû faire venir les parents du petit gars pour leur expliquer l’origine de la marque de dents rouge vif, dans le bas de son dos. Le petit gars s’appelait… Théo.
Brigitte s’est peut-être aperçue de mon malaise.
— Et toi, ta fille, elle s’appelle comment?
J’ai répondu, super gênée :
— Mariette…
Elle aurait pu se braquer et devenir froide devant une inconnue qui (par progéniture interposée, mais quand même!) avait maltraité son fils… Mais elle est partie à rire. Elle trouvait cette situation — et surtout ce malaise potentiel — très cocasse. Du coup, soulagée, je me suis moi aussi mise à rire, tout en me confondant en excuses. La prof de yoga a dit : « OK, les filles, il faut commencer! » Mais tout au long du cours, en chien tête baissée, cobra ou poisson, on a eu du mal à ne pas rire en pensant à cette anecdote…
Depuis, ben, on est amies.
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Les « couches » de vie se sont ajoutées vite dans le cas de cette amitié-là. En peu de temps, je me suis séparée, Brigitte s’est séparée, on a connu Manue (elle aussi mère-mono d’une enfant de la classe de Thomas), qui combattait un foutu cancer. On a traversé en parallèle l’angoisse, la noirceur, l’adaptation à la vie de monoparentale et tous ses stress, les affres du dating sur Internet, beaucoup de peine, de plus en plus de joies et on a laissé germer un projet d’écriture à trois… Tout ça nous est entré dedans au rythme des pas de nos innombrables séances de jogging sur le bitume rosemontois. Et au son des « ooooaaaaammmmmmmm » des cours de yoga, qu’on a continué à suivre ensemble…
Aujourd’hui, Brigitte et Manue sont sûrement les personnes avec qui j’échange le plus de courriels à l’intérieur d’une semaine (il ne faudrait pas les compter, ce serait gênant). Je pense qu’on s’est toutes les trois un peu (beaucoup?) reconstruites à travers notre projet d’écriture commun sur la vie de trois mères monoparentales urbaines… Et c’est par lui, aussi, que nous sommes devenues plus proches.
Tout ça, grâce à une morsure. Quand même, la vie.
PS : Quelques semaines après notre première rencontre au yoga, je croise Brigitte à la Caisse Pop. Elle me confie que Théo a un “gros kick” sur Mariette, depuis qu’elle lui a imprimé ses dents dans le dos. Décidément, les techniques de séduction de cette génération s’annoncent bien étranges…