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Faire une batch de vaisselle dans les toilettes de la bibliothèque municipale. C’était pas mal haut placé dans la liste des choses que je ne pensais pas faire dans ma vie, mais voilà, 23 ans et je peux faire check.
C’est le genre de situations un peu surréalistes qui surviennent quand tu décides que, pendant un mois, tu mets la clé dans la porte de ton appart et tu pars vivre dans ta voiture, incognito, pour voir.
Pas « survivre » dans ta voiture, non. Vivre, comme d’habitude. En travaillant, en voyant des amis, en allant souper au resto en gang, en continuant loisirs et implications. Certains font un mois sans voiture, un mois sans télé, un mois sans alcool. Ben c’est ça, un mois sans appart.
Au Québec, c’est pas un mode de vie courant et ça se comprend. Mais à Los Angeles, par exemple, le prix astronomique des loyers combiné à la température clémente fait en sorte que certains choisissent (ou n’ont pas trop le choix) d’adopter ce style de vie de manière permanente. À un tel point que des communautés en ligne s’organisent, que le fait d’habiter dans sa voiture a été décriminalisé à LA, et que les Walmart prêtent ouvertement leurs parking à des gens qui vivent ainsi. Vraiment rien d’impossible, donc.
Confession : je suis un peu fan des modes de vie atypiques. Les gens qui vivent dans les tunnels de métro abandonnés, dans les bois, dans des mongolfières ou dans des squats, ça me fascine. Évidemment personne ne souhaite être contraint à vivre ainsi, mais ceux qui y parviennent ont toute mon admiration.
Ce n’est alors pas étonnant que ce genre de nomadisme moderne ait piqué ma curiosité, et en plus, c’était ridiculement accessible. Je pouvais décider de l’adopter du jour au lendemain sans que ça me coûte une cenne, et c’était révocable assez facilement. On y ajoutait la variable « fait frette au Québec » (j’ai eu l’idée à l’approche de novembre); le défi me tentait trop pour que je choisisse de ne pas de le relever.
Alors un matin, j’ai paqueté trois sacs de linge, un peu de bouffe et de vaisselle, des bottes de rechange, un oreiller-sleeping-couvertures de polar, mon laptop, quelques livres et un sac de trucs de douche. J’ai mis ça dans le coffre de ma Dodge Neon, baissé le chauffage de mon appart, barré la porte et je suis partie.
Voilà donc comment je me suis retrouvée, après un dîner sur un banc de parc, à laver ma vaisselle dans la salle de bain d’un des seuls endroits où on peut entrer gratuitement dans une ville. La bibliothèque : eldorado des âmes errantes.
***
Avant de commencer l’expérience, je savais que j’allais trouver le mois pas mal long. En même temps, novembre, tout le monde trouve ça long : ça allait me faire quelque chose d’autre que la grisaille ambiante à quoi penser.
Et finalement… novembre a passé tout seul.
J’ai constaté que quand on vit dans son char, les moments les plus pénibles sont ceux où on n’a rien à faire. Quand tu veux juste relaxer, dans ton appartement, il y a plein d’options. Quand tu veux juste relaxer dans ton auto et qu’il fait froid… c’est un peu moins le fun après une demi-heure, mettons.
Dans ces périodes vides (par exemple un mardi soir de 21h à minuit), je me retrouvais souvent à lire dans un Tim Hortons, l’un des seuls endroits où tu ne te feras JAMAIS kicker dehors (le second eldorado des âmes errantes, donc).
Découverte : quand tu lis la dernière édition de Wired en têtant pendant 3h le même café trop sucré assis à la table d’un Tim, ta vie te semble un peu dull, même si pourtant tu serais en train de faire à peu près la même chose dans ton appart sans te trouver dull.
Peut-être est-ce le regard éteint du caissier qui n’en peut plus d’endurer les blagues des gentlemen du quartier? L’odeur des roussettes qui stagnent derrière la vitre du comptoir depuis pas mal plus longtemps que le recommande le guide des employés? La lueur des néons qui éclaboussent la face d’une fille clairement gelée, entrée dans la place depuis 1h sans avoir rien commandé? LA PUB DES NOUVEAUX BEIGNES À SAVEUR OREO QUI TOURNE EN BOUCLE?
Dull, bref.
Par contre, j’ai réalisé que ces moments oisifs m’arrivent assez peu souvent : je passe pas mal mon temps à entretenir un agenda malsain qui me fait courir du travail à chez une amie à un café à une réunion au gym (ok non) à un bar, etc.
Et quand tes journées sont loadées, l’endroit où tu dors a finalement peu d’impact sur le déroulement de celles-ci.
Même qu’à la limite, tout avoir dans son char, ça facilite la vie, côté voyageage. Une invitation à dormir chez quelqu’un? Une randonnée en montagne à la place d’un film au cinéma? Un road trip surprise? Pas de trouble, même pas besoin de repasser chez soi, on a tout ce qu’il faut dans son auto. TOUJOURS.
Mon ostracisation sociale a donc été moins pire que ce que j’imaginais, mais soyons francs : la petite routine de la vie était effectivement pas mal plus compliquée que dans un appartement. Pour la douche, avec un abonnement dans un gym et en s’y prenant un peu d’avance, on s’en sort.
Pour manger… c’est un peu plus drabe. Ok oui, on peut se faire des sandwichs froids, manger des fruits et des barres tendres, mais à moins d’être très motivés, on tourne vite en rond. Le plus élaboré que j’aie réussi à préparer, c’est un chili végétarien, grâce au micro-ondes de la cafétéria à ma job. Pis c’était assurément pas du Ricardo.
Mais la question logistique qui revenait le plus souvent, lorsque j’ai commencé à dire aux gens que j’avais vécu dans mon char un mois, c’était : tu dormais où?
Indice : pas dans le parking du Walmart.