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Cruiser sur mIRC

Par
Marie Darsigny
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En 1998, je n’avais absolument aucune idée du danger potentiel de visiter un inconnu dans son chez-lui. J’étais juste vraiment désespérée de connaître l’amour adolescent à odeur de Doritos… Et surtout, surtout: j’aimais vraiment mIRC.

Quelques semaines avant ladite date, assise dans les estrades de la patinoire de la polyvalente, mon amie Patricia m’avait parlé de mIRC. Entre deux bouchées de poutine qui goûtait le gras et l’odeur de la sueur de p’tit gars d’aréna, elle avait décrit mIRC (qu’elle prononçait «mirque») comme l’endroit idéal pour se faire un chum. Je ne me souviens plus de ce qu’elle m’avait dit au juste, mais j’étais vraiment attirée par l’idée de quitter le Palace et son animation cheap qui freezait aux deux secondes. Je voulais aller sur mIRC attirer les gars dans mes filets grâce à mes beaux mots à saveur Courte-Échelle de banlieue. Du moins, c’est comme ça que je m’imaginais mes futures interactions virtuelles de base. Mon premier pseudo mIRC fut «queen». Queen de l’ennui de la Rive-Sud? Queen de la désillusion adolescente sur une soundtrack de Offspring? Qui sait.

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J’ai donc joint allégrement le channel #RiveSud. Honnêtement, je me souviens très vaguement de la logistique. J’ai même de la misère à comprendre comment j’ai pu non seulement downloader mIRC, mais aussi réussir à me logger dans le bon chat room. Patricia y est sans doute pour quelque chose. Par contre, une fois confortablement installée dans mon nouveau salon virtuel de choix, j’ai vite pris goût à être bombardée par les demandes de ASV. En ce moment, je payerais tellement cher pour obtenir une capture d’écran d’une de ces délicieuses conversations teintées de désespoir et de quotes de Spice Girls. J’en ferais sans doute ma bannière de page Facebook. En passant, mIRC c’était vraiment la base: il n’y avait pas encore de flafla dans les pseudos. Pas D’éCriTure CoMMe Ça, pas de symboles comme ça ~ ^ *, pas de de message «away», ni de «appear offline». Ce n’était pas encore ICQ ni MSN.

mIRC, dans toute sa simplicité (et dans toute sa laideur de dinosaure PC-esque), permettait aux jeunes du channel #RiveSud d’échanger sur des sujets insipides. Certains, plus téméraires que d’autres (probablement les mêmes qui trichaient au jeu du Loup Garou au primaire) se sont aventurés à se fixer des rendez-vous au dépanneur du coin pour une Slush Puppie moitié-bleue-moitié-verte. Mon expérience personnelle se situe entre les deux: pas dans la bravoure extrême, ni dans la sécurité de mon sous-sol. Comme diraient un étudiant de première année en création littéraire: j’ai laissé la fiction entrer dans la réalité. J’ai sélectionné des amis imaginaires avec lesquels j’ai parlé de choses plates, de sujets de conversation pas tant drôles, puisque dans ce temps là on LOLait pas encore. Puis, un beau jour, j’ai demandé à ma mère de me faire un lift chez mon ami Terry. Mon ami mIRC Terry.

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Ce qui me manque comme morceau dans cette histoire glorieuse, c’est l’excuse que j’ai utilisée pour convaincre ma mère que j’avais soudainement un ami qui s’appelait Terry. Ma mère, cette perspicace personne qui connaissait tout de mes amis, de l’emplacement de leurs maison à leurs couleurs préférées de Mister Freeze. Je n’ai donc aucune idée de comment elle a pu avaler que son enfant-ado de 12 ans avait soudainement un nouvel ami dans la ville d’à côté. Pro-tip, maintenant que je ne suis plus une enfant-ado: les mères savent tout. La mienne devait donc se douter de quelque chose. Néanmoins, elle a fait le 20 minutes de char vers les champs éloignés où demeurait ce cher Terry, Terry qui aimait Slipknot et qui jouait du drum. Moi aussi, je jouais du drum, mais plus dans le style band-harmonie-du-secondaire-que-le-prof-nous-force-à-jouer-des-tounes-des-Beatles.

Malheureusement, je n’ai pas grand souvenir de Terry lui-même, ni de l’après-midi que j’ai passé chez lui. Je me souviens qu’il y avait beaucoup de bibelots en forme de vaches chez lui: salière et poivrière de vaches, cossin en forme de vache pour tenir le papier de toilette, plaquettes de switch de lumières en paysage de pâturage avec des vaches. «Ouin, ma mère aime ben les vaches», que Terry m’a dit en roulant des yeux. Nous sommes descendu au sous-sol et j’ai enfin découvert le son de Slipknot. J’ai fermé les yeux en chantant mentalement Say You’ll Be There des Spice Girls. Quelques minutes plus tard, ma mère venait me chercher.

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Je n’ai plus jamais parlé à Terry. Si les ados sont weird, je dirais que les souvenirs d’adolescence sont encore plus weird. Surtout s’ils impliquent l’utilisation maladroite d’une plateforme de chat. Si tout ça s’était déroulé à l’époque de MSN, j’aurais bien été obligée de bloquer Terry. Mais sur mIRC, je suis seulement passée au suivant. Le suivant en question était un gars du nom de Boisvert, avec qui Patricia et moi avons chatté pendant quelques jours. Nous lui avons finalement donné rendez-vous près de chez moi. Tout en se balançant nonchalamment dans le parc, nous avons vu Boisvert et son léger surplus de poids arriver avec une Slush Puppie format géant dans une main, et une Mister Big dans l’autre. Après un bref échange, Patricia et moi avons annoncé devoir rentrer, sous prétexte que ma mère nous avait interdit de sortir. Ce mensonge nous faisait donc avoir l’air badass pour avoir défié l’autorité. Riant comme de jeunes idiotes derrière nos sourires peint en lipstick Bonne Bell, nous avons surnommé Boisvert «Bois-mou», nous jurant de ne plus jamais utiliser mIRC pour donner rendez-vous à des gars de la #RiveSud. Honnêtement, je ne pense pas vraiment souvent à Terry, ni à Boisvert.

Je pense à Patricia par contre.

Je me demande si elle est sur Tinder.

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