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Éditorial: GamerGate, Urbania et vous

Par
Éric Samson
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L’affaire n’a pas fait beaucoup écho ici, et pourtant. #GamerGate est peut-être ce qu’il se passe de plus important dans la sphère médiatique mondiale, ces temps-ci, et que ça nous touche tous. Plus que PKP et ses actions, mettons. Parce qu’une campagne de harcèlement haineux visant à empêcher des femmes de participer à une partie de la société et remettant en question l’intégrité et l’utilité même des médias, dans le monde moderne, c’est vraiment, vraiment important.

Récapitulation des faits: en août, un gars écrit un billet de blogue accusant son ancienne copine, développeure de jeux vidéos indépendants, d’avoir couché avec des journalistes spécialisés en échange de couverture et de critiques positives, allégations qui ont depuis été démontrées fausses. Un post d’ex fâché comme il y en a eu des millions dans l’Histoire. Normalement, ça n’aurait pas dû aller plus loin que le gars qui, paqueté au bar avec ses chums, traite son ex de tous les noms. C’est pas joli, ça devrait pas arriver, mais bon, une rupture difficile ça fait rarement ressortir le meilleur de l’humain.

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Le problème, c’est qu’une masse informe de trolls s’est emparé de l’histoire pour lancer une campagne de harcèlement envers ladite développeure, Zoe Quinn. Menaces de mort, divulgation d’informations personnelles, publication de photos personnelles (nues et autres), harcèlement de la famille et des amis… bref, y’a rien qu’ils n’ont pas fait. Pourquoi? Ben, parce que… c’est ça qui est dur à dire, et c’est là que se trouve le noeud de l’affaire. La seule raison qui semble tenir la route, c’est que Quinn est une femme. Et qu’elle a osé s’aventurer dans un milieu d’hommes.

Comme si c’était pas déjà assez ridicule… À partir de là, ça part vraiment en couille.

Certains saisissent l’occasion pour imaginer un grand complot médiatique où tout le monde couche avec tout le monde en échange de visibilité. D’autres ne font que s’amuser à rendre la vie de Quinn un peu plus invivable. D’autres prennent sa défense: notamment la blogueuse féministe Anita Sarkeesian, qui avait déjà commencé une série de vidéos YouTube à propos de la position des femmes dans le monde du (des) jeu(x) vidéo(s). Ça n’a pas été long que la bande de villageois armés de torches qui s’est donné le nom de #GamerGate lui tombe dessus, comme sur tous les autres « SJW » (Social Justice Warrior, un terme qui est, paraît-il, péjoratif). Ça s’est rendu loin: la semaine passée, Sarkeesian devait donner une conférence dans une université au Utah; la conférence a été annulée, parce qu’un maniaque avait annoncé qu’il irait faire un tour avec quelques armes à feu pour faire « a Montreal Massacre-style attack », faisant référence aux événements de Polytechnique. Parce qu’il faut bien s’inspirer de quelque chose, hein.

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Bref. Vous pourrez en lire plus sur Wiki ou ailleurs. Les faits sont là. Allons plus loin.

Si on a tant attaqué Zoe Quinn et Anita Sarkeesian, c’est surtout parce que ce sont des femmes qui percent dans un milieu typiquement masculin, un milieu où les femmes ont traditionnellement été considérées comme purement décoratives ou accessoires.

C’est compréhensible, en quelque part. On parle ici d’une culture complète basée depuis ses touts débuts sur le fait que les femmes sont des trophées à obtenir ou des princesses à sauver. Quand des personnages féminins arrivent, ce sont des Lara Croft aux seins démesurés ou des personnages de Dead Or Alive où il nous est possible de choisir le niveau de « jiggle » mammaire dans les options du jeu, entre le volume de la musique et le degré de difficulté. L’objectification de la femme est partie intégrante du milieu du jeu vidéo depuis longtemps, et il est important de saluer le progrès énorme qui a été accompli ces dernières années par une grande portion de l’industrie afin de normaliser la présence féminine dans la communauté. Parce qu’il y a toujours eu des filles gamers. On a juste longtemps pris pour acquis qu’elles étaient des un peu des sous-joueurs — parce que la performance à StarCraft est bien évidemment dépendante de la quantité de testostérone produite.

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Il en va de même dans plusieurs sphères de la société – et ce n’est pas parce qu’on se retrouve maintenant avec un ventilateur rempli de merde dans la communauté des jeux vidéos qu’on doit penser que le problème n’est pas systémique.

Les médias ont eu un grand rôle à jouer dans #GamerGate: non seulement ont-ils été utilisés comme points de pression pour faire reculer des défenseurs de Quinn (comme quand Gamasutra s’est vu résilier un contrat de pub par Intel suite à des plaintes répétées concernant un article pro-Quinn), mais ils ont été plusieurs à décider de se tenir loin de la controverse, ne voulant pas alimenter un débat déjà toxique. À ce sujet, l’éditorial de Polygon paru la semaine passée est absolument à lire.

Le résultat aura été que la campagne de terreur a pu continuer à battre son plein sans que les voix habituellement présentes au débat s’élèvent contre elle. Comme le dit l’éditeur de Gawker: « Ne pas avoir couvert cette action est le premier raté que nous, chez Gawker, avons commis. (Failing to adequately cover this act of spinelessness was the first big fuck-up we at Gawker committed.) »

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Les médias de masse ont encore leur place seulement s’ils se placent fermement au sein du débat. Il est impossible de réfléchir la société ou une sphère de celle-ci sans participer aux controverses qui l’allument. Un média qui joue à l’autruche, c’est un média inutile.

Urbania est, à mon sens, une plateforme d’opinion et de divertissement sans pareil. Nous ratissons large et, je crois, nous le faisons bien. Certains peuvent trouver que nous manquons de substance, d’autres diront que nous sommes trop lourds, soit. Chacun a sa vision de ce qu’Urbania doit être, et la mienne a plus de poids que la vôtre seulement parce que c’est moi qui appuie sur le bouton pour publier les textes; sauf que c’est vous qui cliquez dessus pour les lire, alors si personne ne vient, je n’ai pas fait ma job. Idéalement, nos deux visions coïncident et tout le monde est content.

Sauf qu’il y en a qui ne sont pas contents, justement. Pas une maudite miette.

Ceux qui venaient commenter des profondes bêtises sur les billets féministes de Sarah Labarre. Ceux qui écrivent des commentaires sur les billets de Rabii où ils le traitent de fag. On les connaît. Je vous connais, parce que je vous vois. Je vous lis, tous.

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On a une position éditoriale généralement assez progressiste. Ce n’est pas écrit nulle part, mais on s’entend qu’on a tendance à être plus « Radio-Can » que « Radio-X ». Ça ne veut pas dire qu’on ne publiera pas un texte qui expose un point de vue de droite, s’il est intéressant. Ça veut juste dire qu’on a plus tendance à être pour l’égalité des sexes (donc féministes, malgré ce que quelques personnes peuvent penser) et contre la discrimination basée sur l’orientation sexuelle, la race, la religion, l’âge, la richesse ou n’importe quoi d’autre. Pour la justice sociale, en gros, même si c’est pas du tout dans notre mandat; ça tombe juste sous le sens. Dans le fond, on essaie juste d’être intelligents et drôles. Idéalement les deux en même temps. Et l’antiféminisme, le racisme ou l’homophobie, c’est ni intelligent, ni drôle, fait que.

Jusqu’ici, on a toujours eu une politique de modération de commentaires assez lousse, qui se résumait à “Tant que tu n’attaques pas l’individu, tu peux dire à peu près ce que tu veux.” Ça voulait dire que “Éric Samson est une vidange”, ça ne passe pas, mais “Cet article est une vidange”, ça passe. Même si ce n’est pas très édifiant.

Ou plutôt, ça passait.

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Parce que vous commencez à être lourds, parfois, gang. Je ne veux pas dire que la section de commentaires devrait être une zone 100% pitchage de fleurs. Mais il y a sûrement moyen d’avoir un débat sensé et intelligent, non?

On n’a pas envie d’enlever les commentaires anonymes sur urbania.ca. C’est super important pour nous — on a juste à penser à toutes ces fois où on a publié des histoires d’agressions sexuelles ou de trucs touchants/lourds comme ça et où des membres de la communauté sont venus, sans se sentir obligés d’entrer leur compte Facebook, nous raconter leurs histoires. C’est aussi à ça que ça sert, Urbania, et on tient à garder ça.

Pour la première fois de l’Histoire d’Urbania, on a été obligés récemment de désactiver les commentaires sur certains billets, parce que ça dégénérait vraiment trop. On a même reçu des emails de gens qui disaient que ça leur tentait de moins en moins de venir sur Urbania, parce que les commentaires ruinaient leur plaisir de lecture. On aimerait ça que ça n’arrive plus. On aime ça vous lire, d’habitude, et on aime ça savoir ce que vous pensez de ce qu’on fait, parce qu’on le fait pour vous autres.

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On a un nouveau site qui s’en vient bientôt, mais d’ici là, essayez d’être au moins corrects dans les commentaires. Je pense que tout le monde va avoir plus de fun.

Et si vous avez des questions ou des commentaires sur Urbania ou autre chose, n’hésitez pas à m’écrire au [email protected].

Merci, tout le monde. On se voit au lancement?

–Éric Samson

Rédacteur en chef web – urbania.ca

Crédit photo: Eric Solheim