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Le voyageur à « mobilité réduite »: Prélude et 1er épisode

Par
Kéven Breton
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Je me présente: Kéven Breton, 23 ans, amateur de bateau-pavé et ex-journaliste de rez-de-chaussée.

Journaliste, parce que jusqu’à récemment, j’exerçais ce métier que je considère être le plus beau du monde. Apposé à « rez-de-chaussée », parce que, en raison de ma « condition particulière », mon terrain de travail devait se limiter au premier plancher.

Pas que j’ai une phobie des hauteurs. Je suis en fauteuil roulant. Vous comprendrez donc que j’entretiens une relation assez compliquée avec les escaliers. Sous toutes leurs formes : à balustres, mécaniques, en colimaçon, etc.

On pourrait donc dire que j’étais un journaliste de bas étage.

Un titre pseudoprofessionnel qui a donné lieu à toutes sortes d’anecdotes assez cocasses. Comme devoir attendre patiemment, en bas de la booth média, que les entraîneurs du Vert & Or descendent pour que je puisse les interviewer. Et grosso modo les faire répéter tout ce qu’ils venaient pas mal juste de dire en conférence de presse.

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Ou la fois où j’ai malgré moi posé un lapin à Karkwa. Un peu à cause d’un urbanisme défaillant (surtout parce que je suis dans la lune).

Bref, je suis ce que la société appelle à voix basse une « personne à mobilité réduite » – un gentil euphémisme pour handicapé. Et ça m’a souvent nui, dans mon intégration professionnelle.

Par exemple, on m’a déjà refusé un emploi sous prétexte que le télécopieur (élément encore tout à fait essentiel à l’accomplissement d’une tâche en 2014) était haut et donc inaccessible pour moi. Télécopieur que je devinais aussi assurément figé sur la tablette du haut tel Excalibur dans le roc.

Remarquez, je pourrais comprendre de me faire refuser de facto certains postes. Genre doorman (LOL!) ou ambulancier (maudite soit la télésérie Unité 156 pour m’avoir donné goût à ce métier). Mais réceptionniste?

Cette étiquette-stigmate de personne « à mobilité réduite » me suivait donc un peu partout. De sorte que, lorsque j’ai annoncé à mon entourage que je laissais tomber le journalisme pour partir en Europe, trois mois, tout seul, à 6000 km de ma Beauce natale, j’ai eu droit à quelques sourcils froncés et à des…

« Tout seul, là? Mais, t’sais, tu vas faire comment pour… »

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Avec du recul, je dois leur donner raison. C’était une idée un peu saugrenue. D’autant plus que je n’avais pas prévu d’endroit où rester. « YOLO », aurais-je alors plaidé dans un naïf élan de confiance.

Je l’ai regretté pendant un maudit boutte. J’ai passé pas mal proche du nervous breakdown, et après deux semaines, j’ai bien failli rentrer chez nous, la tête basse, avec des yeux qui me mitraillaient de…

« Je te l’avais dit, hein! C’est pas facile voyager, encore moins quand t’es handicapé… »

Mais finalement, non. Trois mois plus tard, mon périple est terminé et je rentre chez nous avec tous mes morceaux, des anecdotes plein les poches et pas mal de fierté.

J’aurai parcouru quelque 15 000 kilomètres en avion, en train, en tramway, en métro, en auto, et même « à pied ». Pas pire, pour quelqu’un dit « à mobilité réduite »; pas mal plus que pour le bipède moyen en tout cas.

De quoi certainement remettre en perspective le concept même de « personne à mobilité réduite ».

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Sauf que bien évidemment, ce périple européen ne s’est pas déroulé sans pépins et j’ai quelques péripéties à raconter. Pas mal d’affaires à dénoncer. Et beaucoup d’éléments en mettre en parallèle avec ce qui se fait ici, au Québec, en matière d’intégration et d’accessibilité.

Je vous propose donc, à travers quelques épisodes thématiques, mon récit, parsemé d’anecdotes, sur un fond de réflexion sur la société et la place qu’elle laisse aux handicapés.

*****

Premier épisode : PMR SDF à Namur (personne à mobilité réduite sans domicile fixe à Namur).

Un mois seulement après avoir annoncé à ma famille que je partais pour l’Europe, je prenais l’avion en direction de la Belgique, où des frites, de la bonne bière et un sympathique stage dans la fonction publique m’attendaient.

Une affaire qui ne m’attendait toutefois pas, c’était un logement – un élément assez haut placé dans la pyramide de Maslow. Mais, insouciant comme je suis, ça ne m’effrayait pas. Mes recherches faites sur le web n’avaient pas été fructueuses d’outre-mer, mais une fois rendu sur place, « ce serait tellement plus facile de trouver quelque chose », que je me disais un peu (beaucoup) naïvement.

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Je me dirige donc vers l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau pour mon baptême de l’air. Présage que tout n’allait pas se passer comme sur des roulettes, dans le stationnement, les fameuses places bleues, normalement réservées aux handicapées, étaient recouvertes de dalles de béton.

Phénomène aussi absurde que fréquent, d’ailleurs, semble-t-il.

Une fois à l’intérieur, je recherche mon poste d’enregistrement. Bon coup : Il y en a un réservé à la clientèle en fauteuil roulant. Moins bon coup : le comptoir est tout aussi haut et inaccessible que les autres. C’est l’intention qui compte.

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On m’explique que finalement, mon fauteuil roulant ne sera pas avec moi, mais dans la soute à bagages. Ça me dérange pas trop, mais ça a de quoi titiller un brin mon père :

« Ouain, mais là… Allez-vous le perdre? »

« Non monsieur, ça n’est jamais arrivé », de rassurer la gentille préposée. N’empêche que c’est le genre d’histoire d’horreur qui s’est déjà produit en Californie, au Massachussetts et aussi me semble-t-il dans la télésérie Lost, si ma mémoire est bonne.

Pour me rendre à mon siège, je devrai donc emprunter une « aisle chair » qui est en fait un fauteuil roulant suffisamment étroit pour circuler entre les rangées de l’avion, avec des straps qui tiennent le passager. Ça me donnait un petit air d’Hannibal Lecter dans son chariot.

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Enfin arrivé, je repère en un rien de temps une magnifique auberge de jeunesse où je pourrai rester aussi longtemps que je le veux, en attendant de me trouver un loyer plus stable. À condition, bien sûr, d’accepter de vivre avec une centaine d’inconnus. Je pars donc immédiatement à l’aventure pour trouver un logement au rez-de-chaussée dans la magnifique ville de Namur.

Namur, cette ville qui aura ma peau. Une affaire qui caractérise bien l’Europe, à part sa gastronomie et ses expériences en batailles navales (mettons), c’est son fétichisme pour les pavés. L’enfer est pavé de bonnes intentions, qu’y disent, mais pour quelqu’un en fauteuil roulant des pavés, C’EST l’enfer. Des chemins inégaux, bancals, en roches, des énormes nids-de-poule. Me promener dans les petites rues sinueuses pour me trouver un logement n’était donc pas de tout repos.

Mot du jour : bateau-pavé. N.M, dépression du trottoir vers la rue pour permettre la circulation de personnes à mobilité réduite. Il y en a des moins bien fait que d’autres.
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De sorte que, deux semaines et quelques coups de téléphone infructueux plus tard, je ne trouve rien et j’en viens à la conclusion que des logements au rez-de-chaussée en Europe c’t’un mythe. En fait, à mon avis, dans l’Europe toute entière il doit y avoir, genre, 17 logements accessibles en fauteuil roulant.

Jusqu’à temps, que, finalement, alors que je suis au bord du nervous breakdown, pu vraiment capable d’endurer les ronflements polyglottes, je déniche un petit un et demi. Pas l’idéal : c’est un véritable placard à balais, et il y a un bon gap de 30 centimètres pour entrer (« On va vous poser une rampe rapidement », de mentir le proprio – c’est correct, ça m’a permis de pratiquer mes ollies). Pas l’idéal, non, mais c’est déjà mieux que de continuer à partager sa salle de bains avec 150 bohèmes.

Et j’étais à vingt minutes de marche de mon lieu de travail. Ce qui m’amène au deuxième épisode : le transport en commun (hostie).

À venir bientôt sur Urbania.ca…

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