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Sous le pont

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Nous sommes tous déjà passés sur le pont Jacques-Cartier et sa structure d’acier est l’un des symboles les plus forts de Montréal. Mais que se cache-t-il dessous? Urbania a eu un accès privilégié.

«Tu vas pouvoir aller sur un des piliers du pont. Au-dessus du fleuve», m’a confirmé, à mon arrivée à Longueuil, Jean-Vincent Lacroix, le directeur des communications des ponts Jacques-Cartier et Champlain.

J’ai été excité à l’idée d’avoir une toute nouvelle perspective sur Jacques-Cartier et sur la ville jusqu’au moment d’arriver à la petite échelle permettant de descendre sur des planches de bois. Sous celles-ci : le fleuve vert.

C’est en marchant sur la piste cyclable, casque vissé à la tête, après avoir salué Jacques-Cartier lui-même, que Marc Simard, ingénieur et chargé de projet au pont, m’a amené dans la petite cage au dessus de l’échelle. Ne manquait que le père Fouras pour me lancer une énigme à laquelle j’aurais inévitablement donné la mauvaise réponse, trop absorbé par l’idée d’emprunter l’échelle… Dix barreaux – avec la petite jambe qui shake et rendue trop lourde par mes caps d’acier – plus bas, nous étions sur la pile no 23, l’un des 28 piliers du pont. Bienvenue sous Jacques-Cartier.

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Sur le pilier
Vrai : une fois les deux bottes sur le béton du pilier, le coup d’œil est spectaculaire et inédit. À ma droite, La Ronde, colorée. À ma gauche, en se penchant un peu, le Vieux et le centre-ville de Montréal. On me rassure en me disant que les piles ne bougent pas d’un brin, contrairement au reste du pont. Des amortisseurs empêchent aux vibrations du tablier, causées par la circulation, de se transmettre aux pieds du pont. Sous le pont, pas de bouchons, mais tout un monde. Autour des poutres d’acier conçues pour briser le vent, passent, entre autres, les fils d’Hydro-Québec et les tuyaux de Gaz Métro.

Dans le pavillon
On remarque ses quatre tourelles qui dépassent le tablier, au-dessus de l’île Sainte-Hélène, mais on connaît peu le pavillon de Jacques-Cartier, bâti en même temps que le pont – son toit est carrément le tablier. À l’origine, le premier étage devait devenir une salle d’exposition et le deuxième (photo), une immense salle de bal. À visiter les lieux abandonnés, on en devine tout le potentiel. Côté est, la fenestration nombreuse devait offrir une vue spectaculaire sur l’eau – La Ronde n’existait pas. La crise économique ayant frappé à l’inauguration du pont, le site n’a presque jamais servi. On compte une exposition connue d’artisanat en 1934. Sinon, l’endroit a servi d’entrepôt pendant la guerre, puis à la Ville de Montréal. Même les pigeons ont abandonné le pavillon; on les a forcé du moins, leurs fientes étant néfastes pour la structure! Chaque 15 minutes un cri de faucon retentit dans le bâtiment pour faire fuir les volatiles qui y ont laissé quelques plumes.

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Dans la pierre angulaire
La pierre angulaire du pont a été posée en 1926 dans la pile no26, qui se trouve rue Notre-Dame, à Montréal, à côté de la vieille station de pompage Craig. On ignore aujourd’hui à quel endroit exactement dans le pilier elle est. Mais chose certaine, elle cache une capsule temporelle comprenant des journaux du 7 août 1926, des pièces de monnaie de l’époque, des photos et divers documents.

L’histoire des courbes
Le pont Jacques-Cartier a parfois été surnommé le pont croche, à cause des trois courbes que dessine son tablier. La première, au-dessus de l’île Sainte-Hélène, est causée par le fait que les piliers doivent être placés dans l’axe du courant. Comme l’île fait dévier le flot, il fallait changer la trajectoire. La deuxième, à l’entrée de Montréal, ne vise qu’à réaligner le pont sur les axes nord-sud de la métropole. La troisième (photo) est due à l’obstination d’Hector Barsalou, qui possédait une usine à savons et qui a refusé d’être exproprié. Les constructeurs n’ont eu d’autres choix que de contourner le petit bâtiment qu’on peut toucher en marchant sur le trottoir est. On raconte que les lois d’expropriation ont été modifiées après cet épisode afin de forcer plus facilement la main aux autres Hector Barsalou.

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D’un bout à l’autre
Il est possible – pour qui en a l’autorisation bien sûr – de traverser le pont d’un bout à l’autre, sous le tablier. «Il en prendrait presque huit heures», ironise à peine Marc Simard. C’est que la petite passerelle de bois qui traverse le pont de 2 687 m (à peine plus court que le Golden Gate de San Francisco) est une véritable course à obstacles. Au-dessus de l’eau, par exemple, il faut contourner des échelles et des parties de la structure. Sur la terre ferme, à Montréal, Longueuil ou sur l’île Sainte-Hélène, en levant la tête, on remarque facilement la passerelle.

En vrac :
• Le buste de Jacques Cartier situé sur la piste cyclable à la hauteur de l’île Sainte-Hélène a été offert par la France en 1934, lorsque le pont du Havre a été rebaptisé Jacques-Cartier pour marquer le 400e anniversaire de l’arrivée de l’explorateur au Canada. Déception : de l’île Sainte-Hélène, on remarque clairement qu’il est vide. Cheap, les Français?

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• Jacques-Cartier comptait à l’origine trois voies. On avait réservé une voie de chaque côté pour le tramway qui n’a finalement jamais roulé sur le pont. En 1956 et 1959, ces voies ont été ouvertes aux automobilistes.

• Le pont était payant de son inauguration, en 1930, jusqu’en 1962. Il en coûtait alors 0,25 $ par automobile et son chauffeur (plus 0,15 $ par passager), 0,15 $ par piéton et cycliste et de 0,03 $ à 0,15 $ par animal, selon son espèce.

• Le corridor, au-dessus de l’île Sainte-Hélène, qui permet de passer du trottoir ouest au trottoir est par les tourelles sera rénové cette année pour le rendre plus attrayant.

• La Société des ponts Jacques-Cartier et Champlain indique que Jacques-Cartier pourrait vivre jusqu’à 150 ans. On prévoit donc le conserver jusqu’en 2080.