Hugo Mudie a décidé de lâcher l’université pour partir en tournée non-stop avec The Sainte Catherines en 1999. Depuis ce temps, il a sorti 36 albums et il a brulé plus de 10 moteurs de camions sur la route à travers le monde. Il est monté sur scène des milliers de fois, organisé des shows même en dormant, démarré des compagnies de disques, fondé des festivals, booké des rappers, géré des chanteuses, pogné deux fois la bactérie mangeuse de chaire, pleuré dans des loges, envoyé chier la moitié de la planète et faite le party avec l’autre moitié. Il veut aujourd’hui démystifier les dessous de l’industrie musicale telle qu’il l’a connue et la perçoit. Cette semaine, il nous explique la différence entre la tournée rock internationale et la «tournée québécoise».
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J’avais 18 ans la première fois que je suis parti en tournée. Nous avons fait 3-4 shows en Ontario, un show à New York, un show à Long Island et un show au Québec. Une semaine de shows. 7 shows de suite. Nous appelions ça une «petite tournée». Dans le monde d’où nous venions, les groupes partaient en tournée pendant des semaines, si ce n’est pas des mois, pour aller chercher un à un des nouveaux fans ou du moins des gens qui pourraient les accueillir dans leur sous-sol pour dormir sur un rat mort ( oui ça m’est arrivé ) ou leur offrir des beignes passés date pognés dans un dumpster ( ça avec ).
Partir en tournée était un genre de défi de survie. Un genre de camp de vacances de scouts, juste un peu plus cool.
Car oui, notre but était de se faire des nouveaux fans, mais comme dans la vie, le chemin pour s’y rendre devenait tout aussi important que le résultat. Partir en tournée était un genre de défi de survie. Un genre de camp de vacances de scouts, juste un peu plus cool. Au lieu d’apprendre à faire des nœuds, on apprenait à réparer un vieux truck avec du Duck Tape au lieu d’apprendre quels champignons sont comestibles, on apprenait à voler du stock à sandwichs dans les épiceries across America.
Juste une série de shows
Fast forward jusqu’en 2007. J’ai fait 700 shows, ma blonde est enceinte, j’ai besoin d’une job. Je commence à travailler dans une agence de spectacle connue et j’apprends ce que c’est une «tournée québécoise». Car depuis toujours, quand j’entendais Kaïn ou autre La Chicane dire «On est en tournée depuis 2 ans», je trouvais ça fucking intense de jouer pendant 2 ans de suite au Québec, avec un p’tit croche par la France, mais je pensais que oui, ils faisaient 600 shows en 2 ans. C’est gros le Québec, mais combien de fois tu peux aller virer à Alma «juste pour voir le monde» tsé ?
On finit par oublier de t’inviter à n’importe quelle réunion d’humains.
En effet une «tournée québécoise» est en fait une série de shows en lien avec ton album étalé sur la durée de vie de ton disque. Ça peut être 50 shows en 2 ans, comme ça peut être 18 et c’est rarement plus de 5 de suite. Dans nos règles trop compliquées de punks en tournée, faire Trois-Rivières jeudi, pis Québec vendredi; c’était «faire 2 shows» et non «être en tournée» . Pas que ça me dérange tant que ça, et au bout de la ligne, c’est juste un terme pour une affaire très peu importante dans le big picture de l’humanité, mais stay with me here…y’a une criss de différence entre être 2 mois de suite sur la route pour 50-60 shows ou faire 50-60 shows les fins de semaine en 2 ans (qui est par ailleurs devenu mon mode de vie, moi aussi, depuis plusieurs années..sellout).
Quand tu quittes pour 2 mois de suite, tu manques les anniversaires de tes meilleurs amis, amoureux, les partys d’Halloween, le remariage de ta mère, la mort de ta tante et on finit par oublier de t’inviter à n’importe quelle réunion d’humains. Quand tu pars pour le weekend de ta «tournée québécoise» de 2 ans, tu reviens le dimanche un peu scrap pis tu saignes du nez pendant le match de soccer de ta nièce. On te réinvite pareil au prochain.
Confort et alimentation
Dans la longue tournée, tu es obligé de passer 2 mois à manger dans des trucks-stops. Même quand ton band est big et que tu as du cash, si t’es tout le temps sur la route, tu as pas le choix de finir par manger 1 lb de graines de tournesol au BBQ à un moment donné. De boire du café au savon. De déjeuner, diner et souper au fucking Tim Hortons, Burger King, Taco Bell ou Waffle House. Tu finis par boire du Pepto Bismol comme de l’eau et d’être hooked up aux Pantoloc jusqu’à la fin de ton existence. Quand je pars pour mes shows de weekend au Québec, je peux littéralement me faire 2-3 sandwichs, des crudités, un p’tit Yop aux Framboises pour ma flore et je mange comme si j’étais un élève du primaire.
Le plus loin que tu peux driver pour faire un show quand tu pars de Montréal pour jouer au Québec, c’est pas mal Sept Iles.
La tournée québ. permet assez souvent de coucher à l’hôtel. Tu fais juste 2-3 shows de suite anyway, donc tu peux dropper un p’tit 150-200$ sur des chambres, mais quand c’est 60 villes de suite, ça devient rough sur la bourse commune. Pour économiser, on couchait souvent dans des Motels de type «sang sur le murs, lampes que le fil pour la brancher est arraché, eau brune qui coule du robinet» ou chez des dudes, fans du band ou fans de te parler de leur band sur le speed toute la nuit, les 2 pieds dans la litière d’un de ses 4 chats : Joey, Johnny, Dee-Dee et Tommy.
Santé mentale sur roue
Le plus loin que tu peux driver pour faire un show quand tu pars de Montréal pour jouer au Québec, c’est pas mal Sept Iles. J’y suis allé une première fois me disant que j’irais plus jamais, et j’y suis évidemment retourné. C’est long. Mais en arrivant là bas, tu as 90% de chances de te faire encercler par des fans qui t’offrent de boire une beer avec eux pour jaser du Mont-Royal. Tandis que nos longues tournées à travers l’Amérique, il y avait inévitablement des drives de 20 heures et plus. Y’a rien entre fucking Thunder Bay pis Toronto. 1400 km dans le bois, loin de toute trace d’humanité. Quand tu arrives au show, y’a le soundman et son neveu qui a hâte en criss que tu finisses de jouer pour qu’il puisse aller checker Funniest Home Videos.
Même si je considère qu’une tournée digne de ce nom doit comporter des blessures
Car oui la santé mentale est aussi en jeux quand on compare les 2 modes de tournée. J’ai perdu mon cœur, ma tête, mes nerfs, mon calme, des amis, des blondes, de l’argent et du temps à gueuler comme un épais mes chansons aux 4 coins de la planète. La façon que ton bassiste met une chips dans sa bouche peut devenir un facteur de stress digne d’une torture de la 2e guerre quand ça fait 75 fois que tu le vois faire le même criss de move de pouces quand il enfile la chip dans sa bouche. En un weekend, j’ai à peine le temps d’apprendre le nom du bass player.
Retour vers le jedi (vendredi-samedi)
J’ai l’air de bitcher contre les tournées québécoises, mais c’est pas vrai. Même si je considère qu’une tournée digne de ce nom doit comporter des blessures, des punaises de lits, des groupies qui savent pas dans quel band tu joues et des questionnements sur quel mois de l’année nous sommes, j’ai moi aussi laissé le côté obscur de la vie de tournée pour me tourner vers la petite auberge sur le bord de l’eau, le lit douillet, le spa en après-midi et le show le soir, pour revenir à la maison le dimanche en saignant du nez juste d’une narine. Repartir 2-3 fins de semaine plus tard «juste pour voir le monde».
Pour lire un autre texte d’Hugo Mudie: «La vérité sur les chanteurs.»