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Les Hôtesses d’Hilaire : l’art à l’époque des réseaux sociaux

Une bière avant déjeuner avec Serge Brideau

Par
Jean-Philippe Tremblay
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Ça faisait un petit bout que je n’avais pas croisé l’imposant chanteur des Hôtesses d’Hilaire, groupe phare de Moncton au Nouveau-Brunswick. Si vous n’avez jamais entendu parler du phénomène que représente cette formation chez nos voisins de l’est, disons qu’on parle d’un monstre de charisme à cinq têtes qui, depuis maintenant 7 ans, crée un savant mélange de rock progressif psychédélique inspirés des 70’s. Un terrain de jeu qu’ils s’approprient, beaucoup grâce à la personnalité flamboyante et la prestance scénique de leur chanteur Serge Brideau.

C’est que le monsieur aime beaucoup déranger, «aller au bat», mettre le doigt sur le bobo.

Qu’elles traitent des relations homme-femme, de leur coin de pays ou de crise économique, les chansons des Hôtesses d’Hilaire sont autant de réquisitoires qui vont droit au but avec le sourire autant qu’avec les griffes.

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Ce n’est que très récemment que le grand public a été confronté à cette formation peu commune, lors du passage de la bande à l’émission Entrée principale d’ICI Radio-Canada Télé en février. La réaction a été violente, surtout parce que Serge avait décidé de faire un statement en portant sa plus belle robe mauve. Connaissant le personnage, je l’imaginais bien rire devant son ordinateur en lisant les commentaires catastrophés des téléspectateurs de rad-can

C’est en partant de ce scandale de verre d’eau que j’ai pris quelques heures pour rencontrer le sympathique et coloré chanteur. On s’est rejoints dans une micro-brasserie à l’heure du lunch question de jaser de l’état du monde et boire de la bière en déjeunant.

***

Je cherchais comment te présenter, et je pense qu’il faut commencer par dire au monde que tu es le gars qui joue au clown, en robe, question de mieux débarquer en intellectuel au bon moment pour prendre la défense de la veuve et de l’orphelin. Y’a un personnage de scène et un “vrai” Serge?

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Non non, y’a juste moi. C’est même ça qui est drôle des fois… Je vais te raconter quelque chose que je ne devrais pas: y’a trois jours, j’étais à Ottawa pour un gros meeting avec Patrimoine Canada. Parce que ouin, je suis le «représentant des artistes acadiens professionnels du secteur de la musique».

Je chiale tout le temps pis j’essaie de faire quelque chose de constructif avec ça.

Un moment donné, pendant une conférence, y’a une madame de l’organisme qui parle de mon groupe sans savoir que je suis dans la salle; combien on est un bon investissement pour eux, notre succès fabuleux, un canadian success story. Et moi j’écoute attentivement tout ça en me rappelant que deux jours avant, j’étais chez mon meilleur ami, qui est aussi un mécène pour le groupe. Que je faisais du ménage chez eux, frottant sa toilette à quatre pattes parce ce que je suis trop gêné de juste lui emprunter le cash pour manger sans travailler en échange. Mettons que ça fait réfléchir sur comment ta vie est spéciale par bouts. (rire) Mais non, je ne sépare pas ça, c’est toute la même affaire.

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Là, tu vois, je représentais les artistes acadiens. Avant, j’ai été ambulancier pendant 16 ans. J’étais représentant syndical. Je suis allé au bat pour les post-traumatiques; j’ai écrit une lettre ouverte qui a été reprise un peu partout dans les médias parce qu’on avait un sérieux problème de suicide chez les ambulanciers. Je chiale tout le temps pis j’essaie de faire quelque chose de constructif avec ça. J’ai aussi été un porte-parole contre le gaz de schiste dans mon coin. En fait, le premier ministre du Nouveau-Brunswick m’a appelé personnellement pour me demander d’arrêter ça un moment donné. Only in New-Brunswick!

Imagine Philippe Couillard qui appelle un chanteur underground du Québec pour une affaire de même… Tk; l’autre a perdu ses élections, c’est tant mieux.

Revenons sur le vaudeville sur les réseaux sociaux qu’a créé votre récent passage à la TV. C’est moi où les gens ne sont pas branchés? Ils capotent parce que Safia Nolin ne porte pas de robe un jour et parce que toi t’en as une le lendemain… C’était délibéré tout ça, hein?

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Premièrement, j’applaudis l’équipe d’Entrée Principale; ils sont sortis des sentiers battus, ne sont pas allés dans la facilité et les clichés sur l’Acadie et ont rencontré un paquet d’artistes intéressants. Nous autres on a fini la semaine. Bon, je ne suis pas aussi cave que j’en ai l’air; je savais très bien que si j’allais à cette émission-là avec mes 350 livres pis ma barbe dans une robe, les petits mononcles et matantes du Québec allaient en parler. Et oui, c’est un peu ça que je voulais; jeter un gros hameçon dans les réseaux sociaux. Je me suis fait chier dessus… eh boy! J’ai la couenne dure, j’assume mon poids, mais c’était quand même impressionnant de voir toute cette violence venant de monde qui n’ont aucune espèce d’idée de qui je suis.

Safia Nolin… c’était gratuit en tabarnak tout ce qui a été garroché sur cette fille-là.

Y’en a un qui a écrit «ce gros calice de tapette là si je le croise» ou quelque chose du genre. Donc je l’ai retrouvé sur facebook. Et je lui ai écrit un message personnel. J’en ai écrit une couple en fait, et personne ne m’a répondu. Quand ils se rendent compte qu’ils parlent à du vrai monde, ils deviennent ben silencieux ces gens-là. Y’avait aussi ceux qui étaient outrés que je représente la culture de mon coin; je les ai relancés sur la page de l’émission avec un «j’ai mal à mon Acadie». Et c’est reparti pour un autre tour de pétage de coche! (rire) J’ai eu du gros fun.

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Tsé j’étais pas obèse, jeune. C’est venu tard dans ma vie; me faire insulter là-dessus ça ne rouvre pas de blessures d’enfance. J’assume mon apparence et mon poids, je m’en sers, aussi, en masse tsé. Mais j’imagine que pour quelqu’un qui vit du bullying depuis toujours ça doit être terrible. Tu parles de Safia Nolin… c’était gratuit en tabarnak tout ce qui a été garroché sur cette fille-là. Qui, elle, n’avait rien demandé. Qui ne voulait pas provoquer, juste aller chercher le prix qu’elle méritait parce qu’elle est bonne.

On a beaucoup parlé récemment de ça ici, du bullying sur les réseaux sociaux, de la difficulté pour les journalistes de faire leur job sans se faire harceler par des trolls et tout. Ça a changé l’industrie de la musique aussi, han? On parle souvent du téléchargement illégal, mais moins de ça me semble.

«L’industrie de la musique»… ouan. (rire) On va commencer de même: faire de la musique, maintenant, c’est de la marde. Pis c’est toute la faute de La Voix. On a fait croire à tout le monde individuellement qu’ils étaient destinés à être des stars pis ce n’est pas vrai. Et asteure, même dans cette société-là, où tout le monde a constamment besoin d’être diverti (et je suis le pire de la gang), y’a trop d’offre pour la demande. Le marché s’en vient saturé; c’est tellement tough quand t’es musicien d’avoir deux minutes d’attention que ça enlève jusqu’au goût de se battre pour une bouchée du gâteau.

L’industrie de la musique, c’est rendu un peu un mythe.

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Comprends-moi: c’est vraiment l’fun faire de la musique, j’adore ça. C’est un grand privilège pour moi d’avoir la chance de faire ça à l’année avec mes chums. Pis l’argent, ça n’a jamais été important… à part qu’y faut quand même manger. Pis si possible avoir un peu de temps pour en écrire, de la musique. Là tu vois on est en train de faire un opéra rock. Ça va être l’aboutissement de notre projet, c’est crissement plus de job que je pensais, ça va prendre des mois. Pis entre les ménages, le travail que je fais pour d’autres… c’est tough. L’industrie de la musique, c’est rendu un peu un mythe. Y’a surtout du monde qui essaient de faire ce qu’ils aiment le plus au monde sans devenir fous.

Tout le monde veut son selfie, et même le micro maintenant. D’ailleurs c’est de ça que ça parle, votre toune Regarde-moi. C’est un problème tu penses?

Je te disais tantôt que tout le monde veut être une vedette; y’a de t’ça dans les réseaux sociaux aussi. Je ne sais pas si je peux dire ça, je ne veux pas être prétentieux, mais c’tu moi ou ce n’est pas tout le monde qui a une opinion qui mérite d’être entendue? Les médias traditionnels filtraient un peu ça, peut-être trop ou mal, ça se discute, mais là on est vraiment rendu ailleurs. Y’a eu une époque ou fallait avoir quelque chose à apporter au débat pour avoir une tribune. Je ne comprends pas pourquoi y’a des boîtes à commentaires sur toute. Ça approfondit rarement les débats; ça donne surtout de la place aux débiles pour s’exprimer et se donner l’impression que ce qu’ils pensent est valide.

C’est le déclin de notre empire, autant que ce soit un bon show.

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Pour moi, la montée du populisme qu’on voit récemment est liée un peu à ça aussi: les caves qui font des concours de propos haineux et s’encouragent entre eux autres. Pourquoi j’aurais besoin de savoir ce que “Gilles Thériault”, qui n’a jamais vu un étranger de sa vie, pense des Syriens? On s’en calice! T’es ni qualifié ni concerné, Gilles. Tout ce que ça fait ces espaces-là, quant à moi, c’est prouver par l’exemple que les jeunes avaient raison en 2012 pis que l’éducation devrait être gratuite.

C’est du vide, ce n’est rien tout ça. Faut en parler. Pis rire de ça; maintenant je starte des fausses nouvelles moi aussi. À l’after-party de l’ADISQ cette année, j’ai fait un long post sur Facebook pour dire que ma blonde est enceinte, que je l’ai demandé en mariage et qu’on a gagné le Félix Adulte Contemporain de l’année. C’est de la pub! C’est gratuit! 5-600 likes, les félicitations, les matantes de ma blonde qui appellent en panique… (rire) C’est le déclin de notre empire, autant que ce soit un bon show.

Beaucoup de monde prend la création à l’envers, je trouve.

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C’est un bon résumé de votre démarche ça, non? La musique pour faire un bon show avec ce qui vous fait chier?

Pourquoi ça fait 40 ans qu’on trippe sur la musique de feu de camp au Québec? Y’a un jeune par chez nous qui est venu me voir un moment donné avec ses premières tounes, pour des conseils. Me sentait un peu mal, et tout ce que j’ai trouvé à lui dire c’est «t’as une belle voix, mais t’as rien à dire. Et c’est pas de ta faute; t’es tout neuf, tes parents t’ont aimé, t’es avec ta première blonde encore et tu l’as jamais triché, t’as une belle vie.» Faut avoir vécu quelque chose si tu veux le transmettre. Ou réagir à quelque chose, au moins.

Le travail en art, c’est important. Pis ça a de la valeur quand ça découle du besoin d’exprimer quelque chose.

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C’est plate, mais c’est ça l’art; notre besoin de communiquer. C’est du langage that’s it. Beaucoup de monde prend la création à l’envers, je trouve. Ils deviennent des super-bons techniciens et après ils cherchent de quoi parler. Moi je crois au contraire de t’ça; j’ai toujours eu de quoi à dire, mais des tounes j’ai dû en écrire 300. Dont peut-être 95% que personne ne va jamais entendre, parce que c’est pas bon. Le travail en art, c’est important. Pis ça a de la valeur quand ça découle du besoin d’exprimer quelque chose.

Pas de devenir connu.

C’est malsain, ça.

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Les Hôtesses d’Hilaire tournent présentement en France, en Suisse et en Italie et seront de retour au pays fin avril pour une série de concerts un peu partout au Canada tout l’été. Pour les suivre, c’est par ICI!

Pour lire un autre texte de JP Tremblay: «À Paris dans la bulle de Laura Sauvage».

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