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Une date aux Monster Trucks
Samedi dernier, vêtue maladroitement d’un coton ouaté, de leggings-as-pants et d’une grosse calotte, je rejoignais ma date au Stade Olympique pour assister au spectacle Monster Spectacular.
Un bretzel géant dans une main et une bière flat dans l’autre.
On est arrivés à nos sièges, juste comme les Monster Trucks paradaient autour du terrain central, aménagé en monticules de terre et tas de vieilles voitures de grosseurs variées. Le bruit était assourdissant, mais on parvenait tout de même à distinguer le riff de Back in Black. L’animateur de la soirée au surnom finissant par Z (Yaz? Fuzz? Buzz?) criait «Montréal, on fait un maximum de bruit!».
On avait tous les deux un bretzel géant dans une main et une bière flat dans l’autre («TRENTE PIASSES POUR ÇA??? Well, je vais devoir sortir mes REER j’cré ben» fut mon premier cri de la soirée). On s’est regardés en souriant, les yeux brillants d’une lueur fébrile: cette date était déjà une excellente idée.
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Aller plus loin que s’échanger nos C.V. de vie.
Dans l’essai Modern Romance de l’humoriste américain Aziz Ansari, le sociologue Rob Willer de l’université Stanford affirme qu’une date aux Monster Trucks (ou du moins dans un contexte tout aussi original) permet de briser la monotonie des rendez-vous classiques au resto, dans un bar ou au cinéma, et permettrait de mieux saisir et apprécier la personnalité véritable de notre partenaire potentiel(le).
Est-ce que hurler en regardant une gang de camions géants avec des noms comme Grave Digger, Overkill Evolution et Bounty Hunter écraser des autobus et faire des donuts favoriserait les rapprochements amoureux? Est-ce que les humains sont programmés pour être turned-on par un tel spectacle de destruction? Les whiffs d’exhaust sont-elles aphrodisiaques? D’une certaine façon, oui.
Aux Monster Trucks, on vit quelque chose avec l’autre, quelque chose de fort.
La théorie de Willer avance que le sentiment d’excitation et de nouveauté améliorerait la qualité des relations et augmenterait le facteur d’attirance pour l’autre personne.
Et selon Aziz Ansari, une date dans un environnement excitant permet de connaître une autre dimension de l’autre personne, une dimension qu’on ne peut pas saisir quand on est assis face à face dans un bar à s’échanger nos CV de vie.
Aux Monster Trucks, on vit quelque chose avec l’autre, quelque chose de fort et d’excitant. On n’est pas en train de faire un exposé de nos accomplissements. Et de toute façon, c’est pas trop le moment de parler de son parcours professionnel à travers le rugissement des moteurs et de la musique de Bon Jovi.
J’ai failli faire quatorze crises cardiaques quand les FMX ont commencé leurs cascades!
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S’obliger à prendre un risque.
En tout cas, moi j’ai failli faire quatorze crises cardiaques quand les FMX (des motocross qui font des jumps acrobatiques freestyle à couper le souffle) ont commencé leurs cascades de malades. Je ne sais pas si c’est le genre d’affaire que ma date veut savoir, que je fais des «iiiiiiiiiiiiiiiiii» stridents de matante euphorique quand un motocross fait 3 pirouettes dans les airs, mais je sais que j’ai quand même eu le mérite d’être vulnérable et je crois que c’est ça la clé de la théorie.
Sortir de notre zone de confort nous pousse à être vulnérables et à révéler quelque chose de profond et d’authentique à propos de nous-mêmes.
Les Monster Trucks, c’est fucking viscéral. C’est primitif.
Et ce quelque chose d’authentique risque fort d’être ce qui aura une véritable valeur aux yeux de l’autre, ou du moins, qui constituera une base plus solide que de savoir si notre date aime ou non Louis-Jean Cormier (parce qu’il y a deux sortes de personnes, hein).
Bien sûr, une partie de moi était en représentation. J’ai tenté de le charmer en faisant des blagues niaiseuses comme crier une longue réponse à l’animateur qui criait «What’s up Montreaaaaaal?».
«ÇA VA TRÈS BIEN MERCI, GROSSE SEMAINE, MAIS OUFFFFF, C’EST LE WEEKEND LOL!»
Mais ce qui compte beaucoup pour moi, c’est que j’ai pu constater qu’on était tous les deux capables à la fois de saisir l’ironie de la situation, mais aussi d’avoir la curiosité, la bonne foi et le courage de s’abandonner à ce plaisir viscéral.
L’inconfort est la clé. Ça pousse à l’autodérision.
J’ai demandé du feedback à ma date et on partage pas mal la même opinion sur la pertinence d’une telle date:
«Baser mes précédentes dates de manière cordiale pis sécuritaire venait vraiment édulcorer tout ce que l’autre personne pouvait me faire découvrir sur elle.
Les Monster Trucks, c’est fucking viscéral. C’est le plus primitif que tu peux descendre en termes d’émotions fortes, genre juste en dessous d’un match de lutte. C’est juste des crisse de gros trucks qui déchirent d’la tôle, pis ça ne peut que te faire plafonner à ce niveau d’intellect là.
Bonne chance si tu veux parler de tes dramaturges préférés avant, pendant ou après qu’un ostie de Bigfoot de 25 pieds de haut se claque un big air. La seule chose pertinente à faire c’est de hurler des sons qui te sortent du ventre.
L’inconfort est la clé. Ça pousse à l’autodérision. On est les deux des personnes citadines pis pas manuelles et ça nous met non seulement sur un pied d’égalité, mais sur un pied d’honnêteté.»
Je dirais qu’on a ici un client satisfait.
À un moment donné dans la soirée, les caméras se sont tournées vers un couple dans les gradins, auquel l’animateur tendait le micro. Le gars s’est agenouillé et a fait une legit demande en mariage à la fille, qui a dit oui. J’étais remplie d’admiration pour ce gars qui venait de pousser le concept à un niveau résolument supérieur.
Cependant, les Monster Trucks ne peuvent rien contre l’estie de game amoureuse.
Les monstres camions ne sont pas infaillibles.
Bien sûr, faut pas trop se faire d’idées. Malgré toute leur puissance, les Monster Trucks ne peuvent rien contre l’estie de game amoureuse. Ce ne seront pas quatre autobus écrasés qui empêcheront quelqu’un de nous ghoster s’il le souhaite. Wrecking Crew aura beau faire des wheelies d’excellente qualité, il ne peut pas nous protéger des déceptions amoureuses.
Tout comme faire un backflip au volant d’une monstrueuse machine de 1,400 chevaux, être vulnérable comporte toujours un risque, mais il y a quelque chose de solide qui reste de cette expérience: on s’est approché de la vérité. On a eu le courage de s’ouvrir (même un peu) à vivre quelque chose de solide, même si la relation est toute nouvelle et l’issue incertaine.
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C’est ça qu’une date au Monster Spectacular peut apporter: défoulement viscéral, buzz d’exhaust, émerveillement de kid de 9 ans et coup d’œil furtif, mais authentique sur le potentiel d’une relation bourgeonnante.
Pour lire un autre texte d’Audrey PM: «L’histoire du désir : l’érotisme dans la Bible».