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Fellag et son humour intello-subversif

Par
Lila Ait
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Si Monsieur Lazhar fait désormais partie des films québécois les plus acclamés dans le monde, Mohammed Fellag, qui incarne le personnage, est encore relativement inconnu au Québec. Derrière le professeur en mal de repères, qui quitte un drame algérien pour en retrouver un autre dans une école québécoise, un acteur au parcours similaire.

Appelé simplement Fellag, je l’ai rencontré à l’occasion de son passage au Québec alors qu’il présente son spectacle Bled Runner à Montréal. Comme tant de compatriotes algériens, j’ai gardé en mémoire les répliques de ses premiers spectacles. Des années et des kilomètres plus tard, c’est un peu en guise de remerciement que je m’empresse d’assister à son premier vrai one man show en sol québécois.

Au péril de sa vie, Fellag faisait rire, même pendant « la décennie noire » des années 90. Une guerre civile durant laquelle chaque jour comptait son lot de morts. Les artistes et intellectuels étaient directement visés par le terrorisme islamiste et les citoyens, indirectement.

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La subtilité de ses blagues tourne en dérision une peine que beaucoup ne peuvent exprimer en mots. Aujourd’hui, cet artiste né dans un village montagneux « s’exporte » bien au-delà de ses frontières.

Il est certes le plus célèbre comédien algérien, mais aussi un humoriste trilingue, un écrivain, un metteur en scène et… une sorte de thérapeute malgré lui, ce qu’il n’admettra jamais. « L’humour ne change pas le monde mais… le rire est un plaisir intellectuel, une fantaisie de l’intelligence sans lequel l’humanité se serait arrêtée. »

Le verbe de Fellag et son humour noir irrévérencieux ont été, dès ma jeunesse, une sorte d’escapade quand à défaut de partir, ils permettaient de panser la tragédie d’un peuple, de rappeler son espoir et son humanisme. Rire de ses malheurs comme refuge, se réunir pour écouter ses spectacles à partir de cassettes piratées, comme dans une thérapie de groupe.

Québec étape 1

Fellag découvre le Québec pour la première fois en 1979. « Un voyage initiatique, au moment où l’Algérie commence à se fermer sur elle-même et à l’Occident impérialiste comme une huître ». Se sentant étouffé, il part pour « s’enrichir et voir comment ça se passe ailleurs.» Il choisit le Québec, qu’il concevait alors comme « un jeune pays, un peu comme le nôtre. Frais, énergique et inventif; qui a fait une vraie révolution, une révolution formidable au niveau des mœurs, de la morale, des règles sociales, de l’économie… ». Il a préféré nos hivers à la France, « encore très proche de l’indépendance à l’époque, où il y avait encore de l’ancien, qui pesait sur les Maghrébins ». Il est resté trois ans à lire, aller au théâtre, rencontrer des comédiens, faire des stages, vivre de petits boulots…

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De retour en Algérie, il écrivait un spectacle différent chaque jour, pour la représentation du soir même. Il ouvrait alors les fenêtres de son appartement d’Alger pour s’inspirer d’histoires à raconter. Qu’est-ce qui l’inspire aujourd’hui, après avoir connu l’exil, particulièrement pour son spectacle québécois ?

« C’est un moment très important pour moi, très fort, surtout après le film [Monsieur Lazhar]. Ce qui nous excite les artistes c’est de découvrir un nouveau public qui ne nous connaît pas. Donc on est obligés de se surpasser, d’écrire autrement. D’autant plus que ce que je présente est très loin de l’imaginaire québécois. Je suis curieux de savoir comment il va l’accueillir. Pour un artiste, ça rappelle les débuts. »

Fellag fait rire depuis 45 ans. Son sens de la lyrique est devenu une référence populaire et lors d’une conversation de groupe, il n’est pas rare de voir l’ami algérien clamer d’un doigt levé, « comme dit Fellag ».

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« Chez nous en Algérie, on est tous frères et sœurs. C’est l’inceste national ».

Ses sketchs au langage cru, traitent autant de politique, d’islamisme, que de cul. Il a été le premier à se moquer du président algérien en public, alors que ce même président et ses ministres étaient assis dans la salle… après les avoir obligés à faire la file comme tout le monde, bien qu’habitués aux passe-droits.

« J’ai passé 45 ans en Algérie, je suis un éternel Algérien, c’est dans mes gènes. Puis, 50 ans d’observation, de rencontres… je puise dans ma mémoire et dans mon imaginaire d’artiste, je lis beaucoup. J’ai des amis de différentes classes sociales: du coiffeur à l’ingénieur nucléaire. Ils me racontent ce qui s’y passe. Je raconte une Algérie qui m’appartient, qui n’est pas la même que pour d’autres, j’écris que ce que je connais ».

Ses blagues sur le sexe, ultime tabou, faisaient parfois unanimement rire en silence, tant l’amateur de whisky que le prieur du vendredi. En 1995, durant l’un de ses spectacles, une bombe cachée dans les toilettes des femmes –où les filles fumaient en cachette– explose. Bouleversé et menacé de mort, Fellag s’exile en France. Tragique paradoxe, Fellag signifie exploseur en arabe.

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Depuis, sa carrière y est inscrite. En France, il a adapté son écriture théâtrale pour trouver sa voie: le croisement des cultures. « Il y a une mémoire algérienne en France et une mémoire française en Algérie, les deux s’entrechoquent ».

« Aimé, e accent aigu »

Fellag soigne par l’humour, comme Monsieur Lazhar soigne ses élèves traumatisés. « J’aime les gens, ce qu’ils sont… tous les humoristes partent d’une angoisse, d’une peur… ». Fellag n’aime visiblement pas parler de sa personne. « Je ne porte pas beaucoup de regards sur moi, mais un regard sur les autres, et peut-être que je parle de moi aussi. J’essaye de me mettre dans la tête des Québécois, comment ils ressentent les choses. Le rire, c’est aussi une façon de se donner ». L’humour donc, pour pallier à tout ce manque d’amour qui produit l’érection des kalachnikovs, comme dit Fellag. « Tout va vers la catastrophe, alors autant en rire ». Peu importe la violence qui mène à l’exil, rire est une affaire sérieuse.

Pour lire un autre texte sur un Algérien humoriste bien connu du Québec: «Bienvenue au couscous comedy show».

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