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Tinder, mes hormones et la soupe primitive
Une fois par mois, généralement un soir de semaine, dans un moment d’ennui, je télécharge Tinder, je choisis une photo de profil, j’écris une description à la va-vite et puis je me mets à « swiper ». Quinze minutes plus tard, déprimée, découragée, étourdie de trop de glissements de faces qui finissent par se ressembler, je supprime profil et application et je jette mon téléphone au loin.
Immanquablement, je reçois le lendemain une notification de Clue (une application qui calcule mon cycle menstruel) qui m’avise que ma période d’ovulation débute bientôt. Boom! You’ve been hormoned! Again!
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Faque cette envie passagère de tâter le terrain des rencontres ne serait donc pas le résultat d’une décision consciente? Il s’agirait d’une pulsion d’organisme vivant programmé pour se reproduire?
Et peu importe si je suis bien toute seule, si je suis en paix avec le fait que je n’ai pas encore d’enfant, si j’ai accepté que j’en aurai peut-être jamais, si le mammifère en moi veut se faire engrosser, je n’ai aucun contrôle sur cette impulsion?
Fuck mon indépendance, mes coûteuses thérapies et mon admiration pour Greta Garbo et Katharine Hepburn, ma nature profonde de femelle en rut triomphera?
Ark.
J’ai été eue.
Quand j’ai pris conscience de cette co-relation, j’ai eu le sentiment d’avoir été trahie.
Je me suis faite avoir, de surcroît par mon propre corps.
C’est d’autant plus frustrant que je considérais ma situation de mi-trentenaire célibataire et sans enfant comme satisfaisante et surtout invisible.
On a beau être en 2016, les gens aiment encore coller des étiquettes aux autres pour ensuite les juger et quand il est question de non-maternité, il n’y a que deux options : si c’est une question de choix ou d’absence de choix.
T’as choisi de ne pas avoir d’enfant? T’es égoïste et tu ne sais pas ce que tu manques.
Toi et ton/ta conjoint(e) voulez un enfant, mais vous avez des problèmes de fertilité? As-tu essayé l’acuponcture/yoga/vitamines véganes?
Ça a juste jamais adonné, pis t’es ok avec ça? …
…
…
… euh ok.
Je me considérais privilégiée de n’avoir à encaisser qu’un « Euh, ok » embarrassé, comparé aux jugements et à la fausse bienveillance non sollicitée auxquels font face certaines amies sans enfants.
Je passe entre les craques.
En plus, tout récemment, on m’a ajoutée dans un groupe privé Facebook de femmes sans enfants. Le groupe cherche à soutenir et à « empowerer » ces femmes, pour les pousser à vivre leur vie à fond. C’est un groupe vraiment chaleureux et sympathique et je pouvais voir qu’il avait un réel impact positif sur les autres membres.
Sauf que je ne me sentais absolument pas concernée par leurs doléances. Pour que je souhaite, comme elles, affirmer que ma situation est valide « malgré tout », il aurait fallu que j’aie d’abord intériorisé la stigmatisation sociétale des femmes sans enfants et que j’essaie de m’en défaire, ou que j’aie un désir encore inassouvi d’être mère.
Or, je ne suis dans aucune de ces situations.
Même si je n’ai pas choisi de ne pas avoir d’enfant, je ne considère pas que c’est un échec.
De plus, en ce moment, la “société ” a l’impression que je suis encore en recherche donc elle me laisse tranquille.
Bref, j’ai fini par quitter le groupe après l’instauration des « Vendredis Fur Baby », parce que bon, quand même. Mon chat, je l’adore et il m’est précieux, mais ce n’est pas mon « bébé à fourrure », ce n’est pas un réceptacle d’appoint qui reçoit mes pulsions maternelles insatisfaites. C’est mon chat, point.
Et même chez les plus progressistes, on ne s’attarde pas à la situation de celles pour qui la possibilité de la maternité ne s’est jamais présentée, tout simplement parce qu’il n’y a rien à revendiquer ou à défendre. Qu’est-ce que tu peux dire à une femme qui ne dit pas non à l’idée d’avoir un enfant, mais qui n’est pas non plus désespérée de procréer, qui préfère juste faire de son mieux pour avoir une vie bien remplie de façon à ne rien regretter une fois sur son lit de mort? Rien!
Il n’y a rien d’injuste dans cette situation, aucun jugement possible, aucune stigmatisation non plus, rien ne colle. Je gagnais. Que sera, sera : c’était moi.
Pulsion de soupe primitive.
Sauf que voilà : une fois par mois, mon propre corps fait fi de mes positions et de mes sages réflexions et m’amène malgré moi sur une application de rencontres pour que je me trouve un partenaire sexuel. Mon corps veut se reproduire, que ça me tente ou pas. Certes, je finis toujours par supprimer l’app après quinze minutes, mais je ne peux pas empêcher cette pulsion de se manifester et je n’aime pas ça. C’est qu’au-delà du fonctionnement naturel de mon corps, au-delà du cycle menstruel et de tout ce que ça implique, cette pulsion agit sur mes actions. Je n’ai pas envie de rencontrer qui que ce soit, yet je flanche une fois par mois.
J’ai des vertiges existentiels quand j’y pense ; j’ai l’impression que cette pulsion vient du Big Bang. Le premier être unicellulaire aurait juste pu chiller dans la soupe primitive jusqu’à sa mort. Mais il y a eu cette pulsion qui l’a fait se diviser en deux cellules distinctes.
Est-ce que c’est ça, la force de la vie? *musique dramatique d’orchestre symphonique*. Le besoin d’éternité, de se reproduire à jamais?
Et cette pulsion noble et viscérale, cette pulsion illustrée par les plus grandioses documentaires animaliers de la BBC, elle me fait aller sur TINDER??
Pas de folâtrage dans la glorieuse savane africaine pour moi? Pas de migration vers des climats plus chauds pour m’accoupler sur une plage au milieu d’autres individus de mon espèce? Ouais non ok, on oublie ce dernier exemple. Je ne suis pas très Punta Cana anyway.
Ouep, c’est le genre de question simple que je me pose quand j’ovule.
Et je ne sais toujours pas quoi penser de tout ça. C’est peut-être présomptueux de ma part, mais une partie de moi espère que ce n’est qu’un soubresaut gossant de fin d’évolution, un appendice ou un coccyx comportemental qui n’a pas de véritable impact sur la façon dont je choisis de mener ma vie.
Mais bon, si le prix à payer à l’Univers pour pouvoir être célibataire en paix, c’est de passer quinze minutes par mois à regarder des photos de gars en fédora, c’est pas si pire que ça.
Pour lire un autre texte de Audrey PM: « À la défense de l’humour scatologique ».