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Travailler pour les services d’urgence, c’est se frotter à toutes sortes de choses impressionnantes. Chaque jour, au Québec, des pompiers, ambulanciers et policiers côtoient incendies mortels, accidents terribles, gang de criminels et… poteux?
Nous avons demandé à un représentant de chacun des trois corps de métiers mentionnés ci-dessus de nous parler de comment le cannabis influence leur travail…
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C’est vendredi, il est 23 h et Jonathan se relaxe en fumant un joint dans la ruelle derrière chez lui. Sa voisine, qui a une âme de justicière, constate la situation et fait la seule chose qu’une personne sensée doit faire dans un cas comme celui-là : elle appelle la police.
“Vous comprenez, monsieur l’agent, c’est qu’il fume du POT! Il y a des familles ici, il faut faire quelque chose.”
Théoriquement, la voisine a raison. Malgré les plans de légalisation annoncés par le gouvernement Trudeau, la possession de cannabis – peu importe la quantité – est encore considérée comme un acte criminel au Canada.
“Normalement, dès qu’un policier constate une infraction criminelle, il n’a pas de pouvoir discrétionnaire. Ce n’est pas comme si tu brûles un feu rouge (ce qui est une infraction au Code de la sécurité routière, pas un acte criminel), dans ce moment-là le policier a le droit de te donner une amende ou non. Mais quand c’est criminel, on doit appliquer la loi de façon très rigide, et c’est le procureur qui décidera de ce qui va se passer.”
Cette explication, c’est Nicolas*, policier dans la trentaine, qui nous la donne. Il précise que c’est la façon de faire officielle, mais que dans les faits, ça se passe très rarement comme ça : imaginez à quel point les “Jonathan de ruelle” engorgeraient le système judiciaire si c’était le cas.
“En matière de cannabis, aucun policier n’est à l’aise de poser des accusations pour un gramme de pot, pour un joint. C’est trop peu et ça engorge complètement le système… De toute façon, les procureurs n’aiment pas recevoir ces dossiers-là.”
Ce n’est pas tous les jours que les policiers sont confrontés à cette situation : en général, les gens ont compris que tant qu’ils ne fument pas dans un lieu public, ils ne se feront pas achaler, donc ils restent plutôt chez eux pour consommer. Mais dans des cas comme celui de Jonathan, où il y a eu signalement, les policiers doivent aller voir le suspect. “On va l’identifier, le fouiller (parce que des fois ça peut nous mener à autre chose), mais si on ne découvre rien d’autre et que la personne n’a pas d’antécédents judiciaires et collabore bien, que c’était par exemple un étudiant ordinaire qui fumait un joint en ne dérangeant personne, on va juste saisir le joint pour destruction sans poser d’accusations, et ça ne laissera pas de traces.”
Non, les policiers ne ramènent pas simplement ce pot chez eux : un rapport est fait, disant que le cannabis est “non relié à un suspect trouvé”. “Ils ne nous posent pas de questions, parce qu’ils sont contents qu’on ne fasse pas de dossier pour ça.”
30 grammes de mensonges — la job du policier

Souvent, quand un policier interpelle quelqu’un avec un joint, il se fait répondre : “C’est moins que 30 grammes, j’ai le droit!”
Sauf que pas pantoute.
“Ce que ça fait, c’est que si la personne avait moins de 30 grammes quand elle s’est fait arrêter et que des accusations sont portées contre elle, elle va être poursuivie par voie de procédure sommaire, ce qui résulte en une peine maximale de six mois ou une amende de 1000 $. En bref, les conséquences sont moins élevées que si la quantité était plus grande. Mais on s’entend, au Québec, personne ne va faire de la prison pour avoir fumé un joint.”
Y’a de la fumée dans l’air — la job des pompiers
Les grosses quantités et le trafic : voilà ce qui intéresse plutôt les policiers. Comme nous le rappelle chaque année le très médiatisé programme “Cisaille”, le fun est dans les plantations.
Les policiers “des villes” ont rarement affaire à des champs pleins de pot, mais il ne faudrait pas sous-estimer la quantité de plants qu’on peut faire entrer dans un sous-sol; les stoners sont bons à Tetris. “C’est difficile de marcher là-dedans tellement c’est condensé. Je me rappelle d’une saisie où on avait trouvé 200 plants dans une maison très proche d’un magasin d’équipement pour serres hydroponiques, et on se sentait comme dans une forêt tropicale, avec les lumières et l’arrosage constant!”
Avec leurs installations dissimulées et serrées comme des sardines, leurs branchements artisanaux à Hydro (pour contourner le compteur, qui serait un fameux mouchard) et leur surveillance parfois inconstante, les serres artisanales déclenchent occasionnellement des incendies.
“C’est sûr qu’on ne sera pas gelés par la fumée, on a un masque étanche sur le visage, dans lequel de l’air est envoyé!” affirme Michel*, pompier dans la cinquantaine, brisant ainsi mes dernières illusions. “L’intervention se fait comme sur n’importe quel autre incendie, mais souvent on est appelés à témoigner en cour parce qu’on a été les premiers à arriver sur place et constater la plantation.”
Fait intéressant : les supérieurs essaient de limiter le nombre de pompiers qui voient la plantation, pour ne pas avoir à payer tous les membres de l’équipe pendant qu’ils sont en cour pour enregistrer des témoignages identiques!
“Mais on essaie d’aller faire un tour pareil, discrètement, parce qu’on voit pas ça souvent… C’est à la fois drôle et intéressant de voir comme le système est installé! Parfois, c’est vraiment bien fait.”
Parmi les autres causes d’incendies dans le genre, on note la fabrication d’huile de cannabis, qui s’enflamme de temps en temps sur les cuisinières de ceux qui les fabriquent, les brûlant souvent au passage. Je souligne qu’en Estrie, dans le langage populaire ainsi que dans les médias, on appelle ça de la “soupe au pot”. Ça fait des titres d’articles incroyables et des jeux de mots à profusion, je ne sais pas ce que le reste du Québec attend pour nous emboîter le pas.
Les badtrips — la job des ambulanciers
L’autre raison principale pour laquelle le pot fait faire le 911, c’est les intoxications.
Zacharie* a été ambulancier pendant plusieurs années. Comme on s’en doute, une intoxication au cannabis n’est pratiquement jamais dangereuse dans l’immédiat pour la vie de la personne, tant qu’elle est bien entourée. “Quand on nous appelle, c’est souvent parce que la personne est vraiment virée sur le top. On fait juste la guider dans son rêve. Par exemple, si elle imagine des éléphants roses, on lui dit qu’ils ne sont pas là, qu’ils sont restés dans l’enclos, on veut la ramener un peu à la réalité. Mais on ne veut pas non plus lui garrocher la vérité dans la face, sinon la personne peut devenir agressive.”
Tenus au secret médical, les ambulanciers ont moins de mal que les policiers à savoir ce que les personnes ont consommé. “On demande à la personne ce qu’elle a pris avant que le policier embarque dans l’ambulance.”
La conduite avec facultés affaiblies fait aussi partie des raisons d’intervention. “Certains croient qu’on ne peut pas le détecter puisqu’on ne peut pas faire un alcootest, mais avec des épreuves de coordination des mouvements, on peut monter un dossier”, assure Nicolas.
Arrêtés par hasard
Comme Mes Aïeux le chantent dans Ton père est un croche, “on dénonce seulement ceux qui sont pas épeurants”.
Comment, alors, la police fait-elle pour découvrir ceux qui sont plus effrayants à dénoncer que Jonathan le poteux?
Par hasard! “L’autre jour, on a intercepté un gars qui faisait tellement crisser ses pneus en partant sur une lumière verte que son véhicule partait sur le côté, et ensuite il accélérait. On l’a arrêté pour conduite dangereuse, on s’est rendu compte qu’il avait un permis Tolérance zéro parce qu’il avait 17 ans, et il dégageait une forte odeur d’alcool. Dans la fouille de son véhicule, après saisie, on a constaté sans même fouiller qu’il y avait un immense sac d’épicerie réutilisable rempli de cannabis.”
Des interventions dans des maisons peuvent aussi mener à découvrir en même temps des plantations. Et sinon, évidemment, il y a les enquêteurs, qui font des tâches aussi sexy que saisir des ordures pour y chercher des entailles, scruter des factures d’Hydro ou se promener avec des détecteurs de chaleur.
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Comme mentionné plus tôt, le gouvernement Trudeau pourrait changer la situation dans les années à venir et au moins légitimer la tolérance des policiers envers les petits fumeurs. Décriminalisation? Légalisation? Les paris sont ouverts.
On espère quand même être témoins avant ça d’une campagne aussi drôle que celle qu’il y a eu au Royaume-Uni…
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Pour lire un autre reportage de Camille Dauphinais-Pelletier : “Au Québec, les potins sont fins”