Logo

Liberté!

Par
Catherine Ethier
Publicité

Mes hommages.

Tout juste avant de mettre le cap sur une petite vacance (toute invasion de domicile est vaine; un oiseau de proie est prĂ©sentement perchĂ© sur mon four et guette tout visiteur inhabituel parĂ© d’un lou de velours et se dĂ©plaçant, petites mains recroquevillĂ©es devant), je me dĂ©lestais de ma toute derniĂšre tĂąche : une petite brassĂ©e de dĂ©licat au lavoir.

Et comme toute petite brassĂ©e de dĂ©licat n’en est pas une si elle n’est pas interrompue par de puissants cris, j’ai d’abord fixĂ© le parc Laurier par la fenĂȘtre pour voir si je n’y apercevrais pas lĂ  saynĂšte qui m’emplirait les poumons de frayeur.

Rien.

Nulle nymphette coiffĂ©e d’un panache pour cĂ©lĂ©brer ses 25 ans en compagnie de ses 102 invitĂ©s triĂ©s sur le hasard. Nul impĂ©tueux unicycliste surmontĂ© d’une ombrelle victorienne. Le calme plat.

Mais au moment oĂč je commençais doucement Ă  savourer l’absence de drame qui m’entourait, un homme fendit le silence comme Pierre Lebeau seul sait fendre un grain de poulet pop-corn de ses gourmandes incisives :

Publicité

“Eh! Ciboire. EH!




. Ciboire, ciboire, ciboire, CI-BOIRE”.

La litanie provenait des WC.

J’ai la chance d’habiter prĂšs d’un chouette lavoir. Un lavoir “avec vue”, oĂč la machine Ă  change claironne toujours la bonne affaire et oĂč le Fleecy ne manque jamais. Mais voilĂ . Sa grande beautĂ© attire en moyenne un festivalier aux cinq minutes, festivalier d’abord attirĂ© par la splendeur des lieux, mais qui, une fois Ă  l’intĂ©rieur, dĂ©cide qu’ils sont assez prestigieux pour aller domper sans souci.

Bon. Vous me direz que les vacances tombent Ă  point. Mais je trouve un certain bonheur (UN BONHEUR) dans le dĂ©filĂ© constant de ces bougres chics qui dĂ©ambulent nonchalamment devant les sĂ©cheuses en faisant mine de celui qui n’est pas sur le point de couler un bronze loin du logis.

I SEE YOU.

Et cette fois, ça sonnait la cata. L’apocalypse. La pĂȘche qu’on aurait prĂ©fĂ©rĂ© laisser tomber chez soi.

“Eh! Ciboire”. Vingt fois de suite.

En prĂȘtant une oreille plus fine Ă  la litanie, j’y ai toutefois dĂ©celĂ© une dĂ©tresse que l’on n’attribue pas au pĂ©ristaltisme dĂ©lurĂ©. C’était autre chose. Quelque chose de viscĂ©ral. Une sombre complainte. Un appel Ă  l’aide que Lionel Ritchie n’hĂ©siterait pas Ă  endisquer.

Publicité

À cet instant prĂ©cis, cet homme n’avait plus besoin de se verbaliser le malheur. J’avais compris.

Il venait de lire, accroupi comme moi sur son fil de nouvelles, la dĂ©stabilisante dĂ©pĂȘche qui brise moult couples et toute trace d’harmonie familiale depuis deux jours : Ă  dĂ©faut de donnĂ©es concluantes chez des dizaines de chercheurs chevronnĂ©s, se passer la soie dentaire serait dĂ©sormais vain.

Vous l’avez lue, la foudroyante nouvelle? VOUS L’AVEZ LUE.

Eh! Ciboire.

Tous ces kilomĂštres de cordelette gaspillĂ©s, toutes ces annĂ©es, pour mettre cap sur la gencive saine. Pour prĂ©venir la couronne et le souffle de chacal. À vous lire, depuis deux jours, vous vous sentez, comme moi, comme cet homme, flouĂ©s dans votre hygiĂšne.

ON NOUS A MENTI.

Alors que certains se coiffent le crĂąne d’un grand chapeau noir surmontĂ© d’un voile de pleureuse sicilienne qui ne reverra jamais son Ă©poux, d’autres, hurlent Ă  la libertĂ©.
Au soulagement.
Au “Je le savais donc! Que je le savais donc!!”.

Publicité

Votre enthousiasme sur la chose me berce de bonheur. L’aube d’une rĂ©volution de fiers propriĂ©taires de palettes entre lesquelles onduleront dĂ©sormais au vent ces morceaux d’épinards et de poulet Ă  la king qu’on s’empressait jadis de retirer d’un franc coup de soie dentaire se lĂšve (l’aube, se lĂšve).

Quel ravissement. Et quelle fougue! Boule de papier sur la noix du PM.

Vous ĂȘtes si beaux, avec vos moitiĂ©s de faciĂšs peintes en bleu, petit poing brandi Ă  fendre le silence du plus franc “Libertééééééé!” qui ait jamais mis fin a la servitude des sourires lilas.

J’ai besoin de vacances. Je quitte. Comme j’ai quittĂ© ce lavoir sans faire l’état des lieux du sinistre qui venait de se dĂ©rouler dans la petite piĂšce du fond.

Allez, reposez-vous! Août sera doux.

La bise.

PS TENDRESSE : : à l’instar de Jamais sans ma fille, cette histoire est vraie.

***

Publicité