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Les sites de fausses nouvelles vont triompher
Ma carrière de journaliste a commencé lorsque, à l’âge de 17 ans, j’ai publié un entrefilet dans URBANIA, qui était à l’époque un magazine deux couleurs imprimé sur du papier. Bref, à l’époque où le Journal de Montréal était si massif qu’on aurait pu s’en servir pour donner des raclées et où l’industrie des médias faisait de l’argent.
J’ai par la suite écrit pour plusieurs publications aujourd’hui disparues et fondé une maison d’édition de livres (oui, des livres en papier) avant de joindre Les Affaires, où j’ai documenté la transformation de plusieurs industries par les technologies. Parmi elles, l’industrie des médias m’a toujours doublement intéressé. Parce que mon salaire en dépendait, certes, mais aussi parce que j’avais la conviction que les journalistes sont essentiels au maintien d’une démocratie et d’un système financier… relativement honnête.
Aujourd’hui, ayant quitté Les Affaires pour transformer l’industrie des finances avec ma start-up Hardbacon, je n’ai pas perdu mon intérêt pour les médias. Aussi, j’ai accepté d’emblée, lorsque Philippe Lamarre, le grand boss d’URBANIA, m’a proposé d’écrire à nouveau pour son magazine (un des rares à avoir survécu), cette fois pour y traiter d’économie des médias.
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Le Journal de Mourréal n’a pas été poursuivi parce qu’il empruntait un peu trop à la marque de commerce du journal qu’il parodiait. Il a été poursuivi parce que son modèle d’affaires est mieux adapté au 21e siècle que celui du vrai Journal de Montréal.
Comprenez-moi bien.
Je ne prétends pas le moins du monde savoir ce qui se passait dans la tête des gens de Quebecor qui ont décidé de poursuivre le site de nouvelles satiriques. Ce que je sais, par contre, c’est qu’il est difficile de gagner une poursuite contre l’auteur d’une parodie pour violation de marque de commerce, lorsque la parodie n’est pas effectuée à des fins commerciales. Par exemple, on n’a qu’à penser aux logos des partis politiques, qui sont systématiquement parodiés par les caricaturistes.
Or, il semble que le propriétaire de Journal de Mourréal, Janick Murray-Hall, se serait vanté publiquement de la profitabilité de son média parodique. C’est cet aveu qui l’a vraisemblablement perdu, même si, ironiquement, il semble que les revenus du média numérique n’aient pas été suffisants pour couvrir les frais juridiques à venir de son fondateur.
Du reste, la profitabilité du Journal de Mourréal est tout sauf étonnante. C’est l’inverse qui l’aurait été. Après tout, le Journal de Mourréal et son homologue un peu plus sérieux sont exactement dans la même industrie. Celle de générer des clics. Sauf que la structure de coûts du site parodique, dont la page Facebook compte plus de 125 000 “J’aime”, est pas mal plus légère que celle du Journal, malgré tous les efforts de réduction de coût réalisés par les dirigeants de Quebecor.
Encore ici, je n’ai pas eu accès aux états financiers du Journal de Mourréal, mais toujours est-il que produire des contenus sensationnalistes revient pas mal moins cher lorsqu’on n’a même pas besoin de déformer des faits pour ce faire.
Lorsqu’on peut inventer des faits, avoir un scoop tel que “Québec : Il se fait tatouer le visage de Gary Bettman sur une couille” ou “Elle poursuit Hydro-Québec après être tombée enceinte de son compteur intelligent” va de soi. Ça nécessite un sens de l’humour un peu tordu, mais aucun travail d’enquête, aucune recherche ni aucune entrevue. Et même si j’ai envoyé une flèche au Journal de Montréal ci-dessus, force est d’admettre que le quotidien a encore de bons journalistes qui rapportent les faits sans les déformer.
Ce n’est pas pour rien que les sites de nouvelles satiriques prospèrent partout dans le monde. Aux États-Unis, The Onion est à elle seule devenue un petit empire médiatique qui s’est diversifié avec des propriétés secondaires comme ClickHole et StarWipe conçue pour parodier (et concurrencer) les sites de nouvelles virales comme BuzzFeed et ViralNova.
En fait, The Onion est devenue une entreprise si attrayante que le réseau de chaînes de télé Univision a fait un investissement de moins de 200 millions (ce qui ne veut pas dire grand-chose, j’en conviens) dans l’entreprise, selon le New York Times.
D’un point de vue strictement économique, il n’y a pas une grande différence entre le modèle d’affaires des sites de nouvelles virales et celui des sites de fausses nouvelles. Les deux types de sites ne font pas de journalisme. Les sites de nouvelles virales font de la réécriture et du “repackaging” de nouvelles parues ailleurs, tandis que ceux de nouvelles parodiques publient de la fiction.
Ces deux types de sites misent sur des titres accrocheurs, qui susciteront assez de curiosité sur les médias sociaux pour générer des clics. Dans les deux cas, on parle de divertissement et ça n’a rien de péjoratif.
En fait, je dois avouer que je me suis fait avoir quelques fois par le Journal de Mourréal, Le Navet et The Onion, mais que je m’en suis rendu compte avant d’arriver à la section des commentaires. C’est généralement cette section qui est la plus drôle.
En tant qu’ancien journaliste, toutefois, je trouve un peu déprimant que toute l’industrie ait abandonné tout espoir de capturer la valeur créée par le journalisme.
Ce n’est pas évident. Après tout, ce n’est pas la faute des médias traditionnels si la rentabilité d’un article sur le Web ne dépend pas de sa profondeur, de son exclusivité ou travail d’enquête qui se cache derrière, mais de son titre et de la photo qui l’accompagne.
En misant sur les revenus publicitaires tout en tentant de conserver leur héritage journalistique, les médias traditionnels s’engagent dans une guerre qu’ils ne pourront jamais gagner, puisqu’à armes inégales.
S’ils tiennent absolument à se battre pour accaparer des revenus publicitaires, ils devraient renvoyer leurs journalistes et les remplacer par des humoristes, des François Bugingo ou de jeunes rédacteurs capables de pondre 14 textes par jour. Oui, ça existe, et j’ai de l’admiration pour eux, car je suis pas capable d’écrire aussi vite.
À défaut de tout miser sur la pub, les médias devraient vendre leur contenu, ce qui est beaucoup plus facile à dire qu’à faire, j’en conviens, ou trouver une nouvelle vache à lait capable de financer les déficits structurels de leurs activités journalistiques. Comme une compagnie d’assurance, par exemple.
Malheureusement, les grands médias semblent s’être résignés à emprunter l’avenue des revenus publicitaires. Plusieurs ont d’ailleurs déjà commencé à imiter leurs concurrents aux modèles d’affaires plus robustes. Le Journal de Montréal fait dans les nouvelles virales avec sa section Sac de chips, tandis que la CBC fait dans les fausses nouvelles avec This Is That.
Il n’y a rien de mal là dedans. Sauf que les médias qui font le pari de diluer leur marque de cette manière ne devraient pas s’étonner que les jeunes ne veuillent pas payer pour leurs contenus. Et qu’ils mettent même en doute leur crédibilité.
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