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J’ai longtemps hésité avant de prendre position dans le débat entourant le jugement rendu contre Mike Ward.
D’abord, je dois dire que j’adore l’humour noir et que j’aime bien Mike Ward. Et ce, depuis le temps des jokes de shaft pogné dans chaine de bécik, à Musique Plus, il y a une bonne quinzaine d’années. J’avoue que j’ai ri en estie quand j’ai vu le clip du sketch de Mike Ward sur le p’tit Jérémy, tout comme j’avais ri de la joke sur Cédrika Provencher. Jugez-moi si vous voulez, mais ça m’a fait rire.
Tsé le genre de fou rire incrédule qui devient vite incontrôlable, parce qu’on sait ben qu’on devrait pas rire de ça, mais qu’on en rit quand même.
En privé, avec mes chums, tous les sujets y passent : l’obésité, la race, la religion, le handicap, la pédophilie, etc. Plus c’est déplacé, plus ça nous faire rire. Mais justement, y’a des jokes que tu peux faire dans ta cour ou ton salon, mais qui risquent de te mettre vraiment dans marde si tu les répètes en public (surtout si tu les répètes quelque chose comme 230 fois, pis que tu les mets sur DVD pis sur le web).
Depuis le jugement, j’en suis venu à me questionner sur ce qui fait qu’une foule trouve ça aussi drôle de rire du p’tit Jérémy, par exemple. Mon humble hypothèse, c’est qu’on est vraiment bien quand on est une gang à rire de quelqu’un, justement parce que pendant ce temps-là, personne ne rit de nous. On a tous un petit quelque chose qui fait qu’on pourrait être la victime des bullies, on est trop petit, trop grand, trop gros, trop maigre, trop pâle, trop foncé, etc. Facque quand c’est quelqu’un d’autre qui se fait rentrer dedans, on préfère se ranger du côté des bourreaux que de la victime; parce que c’est crissement plus l’fun dans ce camp-là!
Au moment où la poursuite contre Ward a été déposée, je dois dire que j’étais plutôt sympathique à sa cause.
D’ailleurs, en tant que handicapé, je suis le premier à rire des bonnes jokes de handicapés! Mais la faculté d’en rire n’arrive pas du jour au lendemain. Si t’as trouvé ça tough être au secondaire parce que t’avais de l’acné ou que t’étais un grand slack, imagine ce que ça a pu être pour quelqu’un qui est né avec un handicap.
Imagine maintenant à quoi ta vie peut ressembler quand t’es handicapé dans une école secondaire puis qu’il y a un humoriste hyper connu, super populaire auprès des ados, qui s’acharne sur ton cas pendant 230 représentations, en faisant des jokes sur ta mort; laissant entendre que ta vie vaut pas la peine d’être vécue. On s’entend que c’était pas des jokes banales à propos du fait qu’il chante mal…
Ben oué, Jérémy, on le sait tous qu’il rentre pas dans les standards de beauté. Pis même que je trouve qu’il chante mal moi aussi. Mais je peux très bien comprendre qu’un gars qui est né sourd et muet puisse vouloir dépasser ses limites en chantant pour le pape, par exemple; même si je trouve ça personnellement quétaine. Je suis pas mal sûr que c’est la même motivation qui m’a poussé à l’époque à poursuivre l’entraînement compétitif de boxe, dans le but de faire des combats sanctionnés : transcender les limites que la nature m’a imposées.
Dans mon cas, j’étais chanceux. Mon handicap ne m’a jamais empêché de me défendre.
Au primaire, ben des kids de Lavaltrie se rappellent à quel point ça fait mal recevoir un coup de jambe de bois dans les schnolles! Plus tard, j’ai appris à développer la réplique assassine, à trouver les faiblesses de tout le monde, pour pouvoir leur faire subir une attaque nucléaire de bullying, si jamais ils s’essayaient sur moi.
Mais ça m’a pas empêché de subir une passe vraiment rough en secondaire 3, à l’âge où chaque différence par rapport à la masse risque de devenir un complexe et où tu rêves juste d’être comme tout le monde. À ce moment-là, je venais de changer d’école secondaire et il y a trois esties de trous de cul qui se sont acharnés sur mon cas pendant toute l’année scolaire faisant de ma vie un calvaire. J’en ai presque jamais parlé à personne, mais estie que cette année-là fut difficile. Pis on s’entend que je suis pas du genre trop vulnérable à la base… Mais ça m’a pas empêché de me sentir complètement traqué, démuni, impuissant; l’espace d’un an.
Mettons que les choses ont bien changé depuis.
D’ailleurs, si je revoyais ces trois petits crisses-là aujourd’hui, ça me prendrait tout mon p’tit change pour pas leur sacrer la volée de leur vie. Je le ferais pas, évidemment, mais j’en aurais salement envie. Parce que ce genre de blessures ne s’effacent jamais vraiment.
Tout ça pour dire que, si j’avais eu le malheur d’avoir un humoriste connu qui s’était acharné sur mon cas en faisant des jokes sur mon handicap et ma mort, l’année de mon secondaire trois, je ne sais honnêtement pas ce que je serais devenu. Sérieusement.
Sur le plan strict du droit, j’ai bien hâte de voir ce que la Cour d’appel décidera dans cette affaire. C’est seulement là qu’on pourra parler d’un “précédent” (seuls les tribunaux supérieurs rendent des “arrêts” qui sont des précédents, by the way).
Mais en attendant, on va se calmer le pompon un instant avant d’affirmer qu’on ne peut plus rire des handicapés, des gros, des noirs, etc.
Quand tu vises un groupe en général, et non une personne en particulier, tu peux toujours rire d’eux, à moins de verser dans le discours haineux; là ça tombe dans le ressort du Code criminel. Ce que le tribunal des droits de la personne vient dire ici, c’est que tu peux pas t’acharner sur quelqu’un, sur la base de son handicap, au point de contribuer à scrapper sa vie pendant des années, sans faire face à certaines conséquences.
Finalement, comme je te disais, je trouve ça drôle moi aussi les jokes de grosses pis de handicapés. Mais est-ce qu’on pourrait arrêter de donner à Mike Ward une posture avec laquelle il est lui-même inconfortable, celle de champion de la liberté d’expression?
Le gars ne fait pas de l’humour politique, il ne défie pas le pouvoir en place, il ne parle pas au nom des sans-voix, etc. Le fait de protéger la vulnérabilité d’un ado handicapé face à un humoriste privilégié ne nous amène pas sur une pente glissante menant à l’État totalitaire.
Demain matin, on va tous pouvoir critiquer le gouvernement publiquement, sans craindre d’être emprisonnés.
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