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La vie après la dépendance à la pornographie

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Grandir avec une vie sexuelle épanouie, c’est l’équivalent de dompter un cheval sauvage. Faut que tu rides longtemps avant que t’arrêtes de te péter la yeule à terre tout le temps.

Certains comprennent la leur naturellement, un peu de la même manière que ton amie qui a toujours été hot en dessin, sans qu’elle sache vraiment pourquoi. Y’en a qui l’ont. Mais y sont rares. Les autres vont devoir ramper, marcher sur leurs genoux et courir en trébuchant sur leurs lacets pour l’atteindre.

J’suis le prototype parfait de la deuxième catégorie. Probablement pire, en fait. J’ai grandi sur l’iceberg de ma sexualité, seul quelque part sur la pointe. Ça a été un long chemin de croix pour m’en sortir, surtout quand tu vires addict en cours de route.

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J’ai 12 ans. Ma voix casse, j’ai un début de moustache molle et j’ai mon premier contact sexuel. Non, pas avec une fille, avec Internet. J’suis seul dans les labos de la bibliothèque de l’école.

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Google search à cette époque, c’était pas paddé de protections comme ce l’est aujourd’hui, alors tu tapes un mauvais mot-clé et — oh, j’savais pas que gros de même ça pouvait exister. Ah ouin, toute ça rentre là-dedans? Yo…

Quelques jours plus tard, je refais la même recherche à la maison, tard le soir. J’essaie un autre keyword la soirée d’après.

Mot-clé à mot-clé : case départ de l’invasion silencieuse du cybersexe dans ma vie.

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Fast forward, j’ai 18 ans. Ma moustache est enfin complète, je m’habille avec du linge fluo trop serré pour moi et la pornographie est mon quotidien.

Matin et soir, comme un brossage de dents. En quickie sur mon heure de lunch. En binge les jours de stress. En staccato les jours d’ennui. En récompense quand je vais vraiment bien. En consolation quand je vais vraiment mal.

De plus, la stimulation doit constamment s’incrémenter. C’est ça, la dopamine.

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Certains commenceront à regarder du contenu toujours plus intense et/ou violent. D’autres tomberont dans des sous-sous-sous-catégories. Moi je tombe dans la quantité. La rapidité.

Chercher un mot-clé, un autre, et un autre, obséder sur la recherche d’un détail spécifique, le trouver, regarder même pas 30 secondes de vidéo, passer à la prochaine, accumuler les fenêtres, les onglets, atteindre le climax et tout fermer d’un coup, le coeur qui bat encore comme un djembé un dimanche aprèm sur le Mont-Royal.

J’ai longtemps justifié ma consommation excessive par le fait que j’étais pas en couple, jusqu’à ce que je sois en couple. J’réalise alors que de croire que j’ai besoin de pornographie parce que je suis en manque de sexe, c’est aussi con et fake qu’un alcoolique qui te dit qu’il boit parce qu’il a soif, ou un gambler qui mise pour se refaire, ou un food addict qui se ballonne parce qu’il a faim.

La porno, c’était pas le problème. C’était le symptôme.

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Premier déclic. Une addiction, c’est peut-être le couvercle au-dessus d’un gouffre. Une fissure que je couvre à coup de .jpeg et de relations éphémères avec des filles qui ont un vide intérieur équivalent (parce qu’on se matche toujours avec ce qu’on mérite).

Prends une once de faible estime de soi, deux onces de pornographie excessive, mets ça dans le shaker avec quelques filles fragiles et d’la glace, pis t’as un cocktail que j’appelle le compte à rebours.

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Fast forward, j’ai 23 ans. La moustache a mué en barbe, je suis en couple depuis deux ans et je patauge dans un perpétuel désintérêt post-éjaculatoire.

Je vis du succès en surface, mais je suis spectateur de ma vie. Ma paresse a le volant, j’suis assis dans le backseat pas d’ceinture.

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Le problème, c’est pas le pendant, c’est l’après. Chaque orgasme m’amène de plus en plus à l’opposé de ce que c’est normalement censé faire : je me sens tranquillement devenir une grosse poche de lassitude; une flaque de peau molle et apathique.

Hey c’est pas comme si j’avais pas essayé d’arrêter. La première fois, j’suis retombé la semaine d’après. La deuxième tentative est encore plus gênante. Au fil des années, j’ai réessayé une troisième, quatrième, huitième fois. Pas capab’.

Finalement, à force d’impuissance et de remords, quelque chose d’important se produit.

Je commence (enfin crisse) à me demander… c’est quoi, en fait, ce gouffre?

J’arrive seulement à dire vaguement que j’ai pas confiance en moi. J’ai pas de mots, j’ai pas de vocabulaire, je sais juste que j’ai envie de me faire venir quand j’me sens comme d’la marde.

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Quand tu sais plus quoi faire de l’incendie, t’utilises une explosion pour l’éteindre. Je m’en vais donc quelque part où je ne peux pas rien consommer. Je pars en voyage de crise de mi-vingtaine en Europe, pas de smartphone, pas d’internet, juste mon sac à dos et l’énergie du désespoir.

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Petit fast forward. J’ai 24 ans, une barbe hirsute de retour de voyage et je suis célibataire à nouveau. La révolte a tourné en révolution.

Ça fait déjà trois mois que je vis sans pornographie. 90 jours de sobriété, record à vie. Bravo S-A, j’sais que t’es fier, mais la vraie bataille vient de commencer. Le plus difficile, c’est pas d’arrêter; c’est de maintenir l’arrêt.

Ma première solution est l’abstinence. Le sevrage. Le detox appelle ça comme tu veux. En plus de m’interdire l’accès à la porno, je m’impose un dry spell qui dure six mois. Six mois de célibat imposé, pas de tentation, de couraillage, de sexe, rien. Je trébuche de toutes les manières imaginables, mais le défi est relevé : je reste sobre, par choix.

Première victoire. Je découvre le contrôle.

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Ensuite, je recommence à avoir du sexe, d’abord par moi-même. Alors qu’avant j’étais incapable de me masturber sans avoir les yeux rivés à un écran, ça se fait maintenant dans ma tête. Les yeux fermés. Lentement. Hey, surprise! Mes fabulations partent non pas sur des vieux flashbacks post-traumatiques de porno, mais sur des nouveaux scénarios élaborés qui m’envahissent et qui me mènent à une petite mort qui m’était encore inconnue.

J’ressens pas cette lassitude signature, j’suis juste bien. Calme. Mon imaginaire continue même à rouler après. J’me sens inspiré. Inventif. J’ai plus envie de me battre avec ma sexu, j’veux juste l’exprimer.

J’ouvre une page blanche sur mon laptop et je me mets à écrire. Des nouvelles soft-sexu, des essais épistolaires, des fantasmes NSFW créés de toutes pièces, j’écris et j’écris et ça n’arrête pas. J’ai enfin trouvé des mots; un vocabulaire.

Deuxième victoire. Mon imagination est de retour.

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J’ai trop longtemps fourré. Fourrer comme dans décharger; comme dans faire lever la soupape; comme dans laisser bruyamment tomber ton sac à dos par terre.

Ça m’a pris presque dix ans avant d’être prêt à faire la transition. Ce passage où t’arrêtes de chercher à te vider, pis que tu commences à vouloir communiquer (mais je continue à dire fourrer parce qu’y’a pas de meilleur mot dans le monde).

Le sexe, c’est un interprète. Tu peux dire à ta moitié que tu l’aimes, mais le vocabulaire a ses limites. Du vrai bon sexe, au fond, c’est pousser ce dialogue outre les mots.

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Dernier fast forward, j’ai aujourd’hui 27 ans. Le 5 octobre 2016, ça fera trois ans que je suis sobre de pornographie. Ma vie sexu feele comme les nouveaux playgrounds qu’on voit dans les banlieues qui nous rendent jaloux qu’on n’ait pas eu ça quand on était plus jeunes.

Mon histoire est cependant incomplète. J’ai pas parlé du risque qui n’est jamais parti.

Sortir d’une addiction ou d’un pattern sérieux, c’est sortir marqué.

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Pour la même raison qu’un alcoolique sobre de dix ans dira non à juste une ‘tite shot, je sais que c’est fini à jamais l’époque où je regarde nonchalamment le côté obscène du net. Je dis ça parce que même après bientôt trois ans, j’ai encore parfois ces phases où je me sens comme si j’étais sur un radeau avec des ailerons de requins qui me tournoient autour.

Le radeau est rendu pas pire solide par contre, en tout cas assez pour ne pas couler de sitôt. Assez pour me laisser en parler ici dans ce billet avec recul et confiance. Et peut-être aussi pour consolider le radeau d’un autre qui s’identifierait à quelque chose quelque part dans cette histoire.

Albert Camus a bien résumé mon chemin actuel : à trente ans, un homme [comme une femme] devrait se tenir en main, savoir le compte exact de ses défauts et de ses qualités, connaître sa limite, prévoir sa défaillance — être ce qu’il est. Et surtout les accepter.

Nos faiblesses, nos vulnérabilités, y’a jamais été question de s’en débarrasser.

On ne peut que les comprendre et les maîtriser.

J’te souhaite une vie sexuelle qui suck, dans le bon sens.

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