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Si vous la croisez dans la rue, vous ne saurez pas comment elle gagne sa vie. Elle est belle certainement, mais plutôt comme la voisine que votre meilleur ami zieute quand il vient chez vous. Elle n’a pas d’énormes seins en plastique ni une crinière de sirène et ne ressemble pas à une Barbie.
J’ignore pourquoi elle m’a confié ce secret la première fois où nous nous sommes rencontrées, lors d’une soirée entre amis. Elle ne m’en a pas parlé d’abord, mais au fil d’une conversation et d’un 767e verre de vin, le chat est sorti du sac.
Je lui ai posé un million de questions et elle m’a répondu avec générosité. Nous nous sommes revues ensuite et chaque fois, son boulot de travailleuse du sexe revenait dans la conversation. Éventuellement, elle m’a dit qu’elle aimerait me raconter un peu son histoire.
Lorsque nous nous sommes rejointes pour l’apéro et que je lui ai demandé comment elle allait, elle m’a tout de suite dit qu’elle était fatiguée puisqu’elle avait travaillé jusqu’à tard dans la matinée. Alors qu’elle s’apprêtait à rentrer chez elle, vers 6h, elle a accepté un dernier appel, mais est restée chez cet homme, “un gentleman”, jusqu’à 11h. Il sortait d’une intense nuit de party et ses amis étaient partis, mais lui, il voulait continuer la fête.
Elle ne m’a pas dit ce qu’elle avait fait avec lui et je ne lui demanderais jamais. Une chose à la fois, tsé.
Appelons-la Clara. Elle a la jeune vingtaine, vient d’une famille sans histoire et aimante. C’est au détour de recherches sur Internet pour réaliser un fantasme qu’elle atterrit sur une offre d’emploi dans une agence d’escortes. L’annonce est bien écrite, sans fautes, et Clara décide d’essayer.
Les 6 premiers mois de sa carrière (même si elle ne définit pas ce travail comme une “carrière”, mais plutôt comme une “transition”), elle travaille dans un condo où elle reçoit les clients, qui paient pour des tranches de 15 minutes en sa compagnie. C’est rapide, impersonnel. Avec le recul, elle se rendra également compte que l’agence l’obligeait à performer certains actes qu’elle ne se sentait pas prête à faire.
Elle quitte pour une agence “outcall”, où c’est elle qui se déplace chez les clients, accompagnée d’un chauffeur et sous la relative supervision de l’agence. Elle a le droit de refuser les clients, de définir ses propres limites.
Clara aime discuter avec les gens. Elle cherche une relation où elle sent qu’elle offre plus que du sexe au client. De l’affection, une oreille empathique, la simplicité d’un moment sans attaches. Bien sûr que ce ne sont pas tous les consommateurs de sexe qui cherchent ça, mais c’est en train de devenir un peu sa marque de commerce, on dirait.
Comme cette fois où elle a passé deux heures avec un client et qu’ils ont regardé des épisodes de Paparagilles ensemble. Ou ce client lourdement handicapé physique dont c’est le père qui répond à la porte quand elle arrive.
Elle rêve d’ailleurs d’être infirmière. Elle me raconte qu’un nombre intéressant des escortes qu’elle côtoie œuvrent d’ailleurs dans le domaine de la santé. “Il y a certainement un lien”, me dit-elle.
Bien sûr qu’elle pourrait me raconter des histoires complètement folles qui me passeraient l’envie de fourrer pendant des mois, mais ce n’est vraiment pas ça qui ressort de notre conversation, même si j’ose certaines questions.
Non, elle ne fait pas certaines choses. Finies pour elle, les fellations sans protection. Dans le milieu, on appelle ça la “Girlfriend experience”, ou GFE, qui inclut aussi les baisers passionnés et les cunnilingus. Pas d’anal non plus. Elle sent qu’elle a le droit de mettre ses limites et elle se sent soutenue par son agence.
Elle ne sent pas en danger non plus et assure ne jamais avoir vécu de violence.
Elle avoue que ça prend quand même une santé mentale de fer pour se sortir indemne, ou du moins, pas trop endommagée, d’un stunt de travailleuse du sexe.
“Et toi, dirais-tu que tu as une santé mentale de fer?”
“J’ai la pire santé mentale du monde, en fait. Mais je fais beaucoup d’introspection. Je pense que ça m’aide.”
Clara vit avec un trouble de la personnalité limite. Rechercher le danger, avoir besoin de vivre dans la marge et démontrer un comportement sexuel extrême font souvent partie des symptômes de ce trouble. Elle le sait, Clara, et c’est exactement pour ces raisons qu’elle fait ce travail.
“Je sais que c’est ma bouée de sauvetage.”
C’est étrange d’avoir une bouée de sauvetage qui ne flotte pas, vous me direz. Sauf que Clara elle sait fichtrement bien nager, je trouve.
Souhaitons-lui simplement de trouver la rive sans trop de tempêtes.
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Pour lire un autre témoignage sur le même sujet : “Confessions d’une travailleuse du sexe”