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Les confessions d’un recruteur de djihadistes en prison
En prison, Chistopher s’est autoproclamé imam. En lien avec une cellule d’Al-Qaïda, il “retournait les cerveaux”. Anciens détenus, aumôniers et matons racontent le processus d’embrigadement à l’œuvre derrière les barreaux.
Texte tiré du site de notre partenaire StreetPress.
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“Les surveillants m’appelaient Ben Laden… J’en ai retourné des cerveaux.” Christopher* a la voix posée et les épaules larges sans vraiment être costaud. À 37 ans, son visage est de ceux qui ne semblent jamais vieillir. L’homme tire ses derniers jours en semi-liberté. Il travaille la journée et dort en prison. Assis à la terrasse d’un café, cigarette au bec, le grand brun rembobine ses 20 ans à l’ombre. Derrière les barreaux, il était chef de bande. Ou plutôt “imam autoproclamé”, en lien avec Al-Qaïda, à la tête d’un groupe de détenus radicalisés.
Un quotidien fait de prêches et d’entraînements “paramilitaires” en promenade. Karim Mokhtari a aussi connu ça. Il a 18 ans quand il tombe pour instigation de vol à main armée. Au contact d’un autre “imam autoproclamé”, il se radicalise. Un processus d’embrigadement qui doit conduire les détenus à la lutte armée. “Mais ça, il ne faut pas en parler tout de suite”, explique Christopher :
“Il faut attendre, prendre son temps, rentrer dans la tête du gars. Le djihad, c’est la dernière étape du processus.”
LE PREMIER JOUR DERRIÈRE LES BARREAUX
1997 – “J’atterris dans le grand bain. La pataugeoire, c’est terminé.” Christopher a 18 ans lorsqu’il est envoyé au placard pour meurtre. “Une bagarre de bandes qui a mal tourné”, élude-t-il. Après un an en quartier jeunes majeurs, il se retrouve dans les mêmes cellules et promenades que les plus grands criminels, dans un établissement en région parisienne. “Là tu fais moins le malin. Tu passes des petites bagarres pour rigoler aux coups de lames de rasoir.”
“La prison c’était la jungle”, confirme Karim Mokhtari, enfermé à la prison d’Amiens (80). Il raconte ses 6 années d’incarcération dans Rédemption, Itinéraire d’un enfant cassé. Dès le premier jour, les embrouilles commencent :
“Pendant la promenade, un détenu m’a pris mes chaussures, un second mon manteau. Ça a fini littéralement avec mes crocs dans leur gorge. Mais j’ai quand même pris des coups dans la figure.”
Ultra-violent à l’époque, Karim ne craint pas le placard. Mais il comprend que pour avoir la paix, mieux vaut rejoindre un groupe. “Il fallait des alliés pour survivre là-dedans”, atteste Christopher. Les deux jeunes détenus procèdent de la même manière. En promenade, ils scrutent les groupes, évaluent leurs différentes options. Il y a les Corses, les Basques, les Africains. Karim Mokhtari se souvient :
“J’avais une dépendance à la clope et au cannabis. Deux groupes me correspondaient : les camés, qui rampent à terre pour une dose en promenade, et les musulmans, dont je me sens proche par mes origines.”
Dans la cour, il y a les Corses, les Basques, les Africains./Crédits : Aurelie Garnier
Les deux hommes – pourtant détenus dans des prisons différentes – ont un même souvenir que Karim résume ainsi :
“Les gens de ce groupe avaient l’air tellement apaisés. Ils étaient propres sur eux, posés, non violents, c’étaient des gens lumineux. Ils donnaient envie, vraiment.”
Il ne faut pas longtemps pour que le regard de Karim Mokhtari croise celui du chef de bande en promenade :
“Il est venu vers moi à la promenade du lendemain et m’a dit :
– Bonjour mon frère. Tu vas bien?
– Oui.
– Tu connais l’Islam?
– Non, mais j’aimerais bien.”
L’imam autoproclamé qui met le grappin sur Karim se revendique d’Al-Qaïda. Christopher lui, est converti par “des frères du GIA (Groupe Islamique Armé), des mecs des attentats du RER B”. Il changera plus tard de crèmerie. Avec le recul, il relativise l’importance de l’étiquette :
“Al-Qaïda, Daesh, Hezbollah, c’est pareil. C’est une question de popularité. Tu prends la radicalité qui est sur le marché.”
“ILS RÉPONDAIENT À TOUS NOS BESOINS”
En prison, les “frères mus’” – pour frères musulmans – comme les appelle Christopher, apportent la sécurité espérée, mais aussi une aide matérielle. Fringues, baskets, tapis de prière, nourriture, le régime est all inclusive. Une aubaine pour Karim, dont le casier judiciaire l’empêche de travailler. Il a un statut de DPS, pour Détenu Particulièrement Surveillé. “La pénitentiaire considérait que j’avais une habilité à fédérer des gens et les envoyer vers un objectif commun.”
“Ces imams sont liés à des filières extérieures, qui leur font passer de l’argent par mandat postal, sous le nez de la prison”, explique Christopher, en qualité d’ex-imam autoproclamé. Si les sommes ne sont pas énormes, elles sont suffisantes pour donner l’opportunité aux détenus du groupe de “vivre dignement”. Karim Mokhtari ajoute :
“Au-delà de la dimension financière, il répondait à une douleur mentale. Ça faisait du bien d’être entouré. La violence institutionnelle de la prison est telle que l’on se sent déshumanisé. J’étais devenu un numéro, le 23.136. Je m’en souviendrai toute ma vie.”
Quand Karim Mokhtari rejoint les “frères mus’”, il vient pour “se réparer” :
“J’étais violent, impulsif, mal dans ma peau. Je voulais calmer toute cette rage.”
Selon Ahmed El Hoummass, surveillant à la prison de Fresnes pendant 11 ans, encarté à la CGT pénitentiaire, il y a une recrudescence de la foi en prison. “Ils savent que, s’ils sont là, c’est qu’ils ont fauté à un moment. Ils cherchent le pardon.”
L’”imam” de la bande intime à Karim Mokhtari de ne plus fumer. Il sort de ses dépendances. “Je n’avais plus de brouillard dans l’esprit. Pour la première fois. Je me sentais un homme nouveau. Il m’exhortait à tout ça.” Le petit groupe devient vite une famille de substitution dans cet univers brutal “dont on ne comprend pas tout de suite les codes”, se souvient Christopher :
“Eux ils savaient. Et lui [l’imam] mieux que les autres.”
“JE NE ME SOUMETS QU’À DIEU!”
Progressivement Christopher s’enfonce dans son radicalisme. Il vire les meubles de sa cellule, installe des tapis partout. “J’avais des photos d’Oussama Ben Laden au mur. Je les avais collées à la super glu pour faire chier les surveillants.” Sa cellule devient une salle de prière. Intransigeant, il refuse la télé, principale distraction des détenus durant la journée :
“La télé, c’était haram. Les femmes nues et la propagande occidentale, c’était là pour te pervertir dans ta foi. Alors je l’ai claquée dans le couloir un jour. Il fallait faire une scène, que ça soit spectaculaire. Tout le monde devait voir.”
Il fait en sorte de défier l’administration, s’embrouille avec les surveillants. Et qu’importe s’il finit au trou :
“J’étais très radicalisé et je pensais sincèrement que mes actes étaient justifiés. Mais il y a aussi une recherche de l’affrontement parfois. Toi t’es sain et droit par rapport à ces chiens de surveillants. Moi je ne baisse pas mon froc’, je ne me soumets qu’à Dieu!”
“Et l’attitude des surveillants n’aide pas toujours”, confirme Thomas*, maton depuis 20 ans. Le grand gaillard est passé par plusieurs établissements, avant d’atterrir dans une prison plus tranquille du sud. “J’ai déjà vu des surveillants marcher impunément sur les tapis de prière des détenus.” Certains n’ont aucune connaissance de l’Islam, “d’autres n’aiment pas les Arabes”. Aumônier depuis 15 ans, Mohamed Loueslati regrette que rien ne soit fait pour remédier à cette situation :
“L’État met en place des stages pour les surveillants. Mais ils leur parlent de radicalisation avant de leur parler d’Islam.”
Il raconte son combat contre le radicalisme dans son livre Moi, aumônier musulman des prisons françaises.
L’IMAM, C’EST MOI!
Pour Christopher, l’ascension continue jusqu’à devenir imam à la place de l’imam. Pourtant, rien ne le prédestinait à devenir “retourneur de cerveaux”. Son père est algérien et sa mère italienne. La famille n’est pas franchement religieuse. Mais le wannabe imam parle et écrit l’arabe, en plus de connaître une bonne partie du livre saint. “Mes parents m’avaient inscrit dans un lycée coranique.” Des connaissances impératives d’après Karim Mokhtari :
“L’imam autoproclamé doit avoir trois qualités : connaître les textes sacrés, parler l’arabe littéraire et avoir du charisme. Si t’as pas ça, tu peux remballer ton baratin.”
Et au royaume des aveugles, le borgne est roi. “Si tu connais 4 versets, tu es le roi du pétrole. Les gens ne connaissent rien à l’Islam en prison.”, lance Christopher. Durant sa détention, il enchaîne les bouquins de philo ou de religion. Sa cellule en est pleine. “Je crois que les mecs me voyaient comme une sorte d’esthète.” Et lui cultive sa différence, fait en sorte d’être inaccessible. Ses codétenus le considèrent bientôt comme un leader :
“À ce moment-là, t’es un repère. Le mec en face, il est fasciné par toi. T’as de la culture, t’as fait quelques études, t’as toujours toute ta tête après plusieurs années de placard. Et en plus t’es intègre. Tu deviens un Dieu pour le gars. Un Dieu qui l’aide à tenir.”
DES LIEUTENANTS PRÊTS À TOUT
Certains surveillants surnomment Christopher “Oussama Ben Laden”. Il se souvient de son emprise psychologique sur sa bande :
“J’avais des mecs qui me suivaient tout le temps. L’un d’eux se baladait toujours avec une lame. Il me disait ‘tu fais un signe et je m’en occupe’. J’ai envoyé des types en égorger d’autres.”
*Les prénoms ont été modifiés.
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Pour lire un autre reportage de StreetPress : “La vraie-fausse puissance des cartels de la drogue mexicains”
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