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Ville de la semaine : Pointe-aux-Trembles

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En 1674, le traité de Westminster est signé à Londres, Louis XIV approche de la crise de la quarantaine et Ville-Marie est une respectable colonie de 600 âmes.

Les Sulpiciens — seigneurs de l’île à l’époque — savent que la menace iroquoise est encore très réelle. Pour renforcer la colonie, on décide d’ériger un fort de plus sur la pointe de l’île et on encourage le peuplement sur cette nouvelle terre constellée de grands trembles.

La pointe, des trembles : Pointe-aux-Trembles venait d’éclore.

Les Iroquois ne sont jamais loin et traversent de temps en temps la rivière pour des raids qui donnent lieu à quelques très spectaculaires combats, comme la bataille de la Rivière-des-Prairies. Tannés de perdre du terrain, ils attaquent par centaines le fort et, en face, vingt-cinq fermiers armés jusqu’aux dents défendent leur lopin de terre. Un combat s’ensuit : l’ennemi prend la fuite, seulement quatre combattants colons survivent, mais la pointe de l’île est sauvée.

BIENVENUE DANS LE FAR EAST

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Pointe-aux-Trembles restera un tout petit village d’irréductibles Pointeliers pendant trois siècles, gagnant en essor au tournant du 19e siècle après la construction du Chemin du Roy (la rue Sherbrooke). C’est seulement en 1982 que Montréal l’annexe. S’ensuit alors la tranquille évolution du village en un arrondissement qui ressemble aujourd’hui à pas mal toutes les autres banlieues avoisinantes.

Pour la majorité des Montréalais, l’Est de l’île (ou l’Esss, comme on dirait chez URBANIA) commence et se termine habituellement avec Hochelaga-Maisonneuve. Après, on s’imagine un no man’s land; une contrée étrange qu’on aperçoit du coin de l’œil lorsqu’on prend la 40 pour aller à Québec.

Pourtant, passé Anjou, passé Tétreaultville, Montréal continue.

En arrivant à la station Honoré-Beaugrand, tu vois une cordée de bus alignés comme si c’étaient des caravanes partant vers l’inconnu : la ‘9, la ‘7, la ‘6… T’entres dans l’un d’eux, tu passes la dense et poisseuse jungle de raffineries et tu continues ton chemin vers des terres lointaines et méconnues : le Far East.

UNE BANLIEUE? UN ARRONDISSEMENT?

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Quand on demande à un Pointelier s’il est Montréalais, il va toujours y avoir une seconde d’hésitation avant qu’il te réponde un moui” pas convaincu. Oui, techniquement, on est Montréalais, mais ici on se sent partout sauf dans la métropole.

C’est probablement dû au fait que Pointeaux (aka Pointo, aka Pee Ay Tee) est un arrondissement de contrastes et c’est pas tant dû au classique embourgeoisement qu’on voit dans les quartiers centraux de la ville. C’est notamment l’endroit où le revenu médian est le plus élevé de l’île, en plus d’avoir un des taux de décrochage scolaire les plus élevés.

C’est comme si Montréal-Nord s’était greffé sur Laval.

Je dis ça parce que deux populations y résident, dépendant de quelle extrémité du quartier tu te rapproches le plus : les raffineries ou le bout de l’île.

LES RAFFINERIES

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Le côté ouest du quartier débute avec les raffineries, dont la célèbre “cigarette” de Montréal (c’est comme ça que mon père l’appelle) : une immense cheminée qui crache agressivement du feu à journée longue, juste au-dessus de ta pauvre personne en sueur qui fait son plein au Canadian Tire.

La population ici est hétéroclite et compte beaucoup d’immigrants de première ou seconde vague. Jusqu’à mes 11 ans, mes amis ont été un arc-en-ciel d’origines, allant d’Haïti au Maghreb, en passant par les Khmers. C’étaient des kids très sorteux (sur la rue Colbert, entre de Montigny et Victoria) pour qui la cachette-tag n’avait aucun secret. J’ai encore souvenir de la cuisine incroyable des parents haïtiens dont le fumet de Sòs Poul et de Bouyon venait passer tous les murs de leur maison pour parfumer la rue entière.

Cette communauté immigrante s’est cousue aux descendants de nos colons français et ça a donné une belle bouillabaisse de cultures opposées, réunies par le revenu et la location.

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C’est ainsi pas si rare de voir un tabarnacos (c’est comme ça que ma mère les appelle) avec un bronzage de wifebeater qui sort les vidanges de son duplex en fruits of the loom, la clope au bec avec, la maison d’à côté, une grande et plantureuse madame magrébine qui reçoit fièrement sa famille élargie pour le repas d’après-messe du dimanche.

LE BOUT DE L’ÎLE

À l’autre extrémité, il y a l’appendice de l’île (c’est comme ça que je l’appelle). Encadrée par le fleuve au Sud et la Rivière-des-Prairies au Nord, l’île est pas mal plus mince à cet endroit, avec Sherbrooke et Notre-Dame à 10 minutes de marche l’une de l’autre.

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À voir les grands bungalows sur le bord de l’eau et les multiples nouveaux projets de condos, ça devient un peu moins surprenant de voir que le quartier comporte également un des taux les plus élevés de fréquentation au niveau de l’école privée.

Ici, l’air est léger, la végétation environnante est dense et un silence tranquille est bien ancré. Les projets immobiliers sont agglutinés en grappes et sont espacés les uns des autres par des rues trop souvent désertes. Peu de gens sortent de leur cocon, sauf peut-être pour aller s’engouffrer dans notre parc nature.

LE PARC DE LA POINTE-AUX-PRAIRIES

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Pour revenir sur le contraste, on le sent très bien lorsqu’on constate que notre mur de raffineries fait place, trois kilomètres plus loin, à l’un des plus grands parcs nature de l’île avec ses 2,61 km carrés (l’équivalent de la superficie du parc du Mont-Royal).

Ma dernière incursion dans les bois là-bas date du 24 décembre dernier. Je me rendais à la grande chapelle du Bois-de-la-Réparation avec ma famille pour la messe de Noël. J’étais sur le point de rentrer dans l’église quand j’ai aperçu juste derrière un chemin s’engouffrant dans le boisé désert. J’ai pas pu m’en empêcher : j’ai secrètement choké mon entourage déjà en train de s’assoir sur les bancs et je suis parti marcher dans le parc plongé dans l’obscurité totale.

La Pointe-aux-Prairies la nuit, c’est un set de film d’horreur.

Comme tous les kids pointeliers, j’ai longtemps été terrifié de la place. Le pire endroit était le secteur près de l’église, parsemé d’immenses statues en bronze de personnages de la bible.

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Cette nuit-là, pour la première fois de ma vie, j’ai osé flâner un peu au hasard entre ces statues, fier de triompher de cette peur de jeunesse. Mon chemin me mène jusqu’à la réplique du tombeau du Christ. Je pénètre un peu à tâtons à l’intérieur et j’ouvre mon téléphone pour éclairer la petite tombe. À ma grande surprise, il a été vidé.

Le cercueil a été remplacé par un écriteau disant POURQUOI CHERCHEZ-VOUS LE VIVANT PARMIS LES MORTS?

J’sais honnêtement pas ce que j’aurais fait si j’avais vu cette scène à 11 ans.

LE NIGHTLIFE

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Ça m’arrive encore de me rendre à Pointeaux avec des amis et c’est toujours un challenge de les traîner quelque part qui ne me fera pas trop honte. Entre la Patathèque de Sherbrooke qui te sert des frites plus brunes que mes semelles ou le Resto PAT sur Notre-Dame dont le panneau montre un Italien décoloré au look de proxénète, c’est dur de trouver un spot où aller manger.

J’m’ennuie certainement du Melven, notre ancienne Belle Pro locale où la poutine au poulet était la raison d’être des pèlerinages nocturnes de ma gang d’la polyvalente (salut, Polypat) après deux-trois quilles de Tornade.

Sinon, côté activités… t’as toujours le traditionnel Quilles Saint-Georges, sauf que tu y vas pas pour jouer aux quilles, tu y vas pour son stationnement — le spot secret du coin — qui fait face au fleuve où, j’en suis certain, au moins une douzaine de petits Pointeliers ont été conçus après une soirée bien arrosée au défunt Bistro du Jardin (ou au Messs, mais ça j’en parlerai pas).

***

Je sais difficilement quoi rajouter sur les établissements à visiter. Le fait est que y’a rien de notable à Pointeaux. Ce sont des succursales entourées de projets triplex identiques, les mêmes qu’on voit dans toutes les banlieues autour. Laisse faire les artisans, y sont partis dans la phase six ou quinze des condos de Griffintown. Pointe-aux-Trembles, c’est à la fois dilué et hétérogène.

C’est quand même là que ma ville natale trouve toute sa beauté.

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Pointeaux, c’est cette quintessentielle platitude de la banlieue croisée avec l’authenticité des milieux défavorisés.

Pointeaux m’a fait grandir avec l’image d’un Québec métissé et m’a appris la tolérance à une époque où je ne savais même pas ce que ce mot voulait dire.

Pointeaux m’a fait sentir riche en me faisant voir en premier plan la difficulté de familles immigrantes et sur le bien-être social.

Laisse faire les Laurentides ou la Montérégie; quand la ville est après me rendre fou, j’embarque n’importe quand dans la 189 vers l’Esss — le vrai — pour prendre une marche sur la rive tranquille du fleuve, ou l’étang du parc, ou le chemin de fer à hauteur de Beausoleil.

Pointeaux, ça reste mon coin de paradis.

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Y’a du beau partout dans Pointeaux! Pis une maudite belle façon de le découvrir c’est avec le rallye familial patrimonial. Avec tes amis, ta famille, ton chéri, ta blonde, la mascotte de ton choix, tu parcours quelques coins de Pointe-aux-Trembles à l’aide d’une carte (histoire et marche pour te sentir comme un coureur des bois).