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1-
invitation de Marc-Antoine, le nouvel ami Facebook
déniché d’abord sur Grindr ou Tinder, je sais plus
viens chez moi, ma coloc est pas là
j’arrive dans mon accoutrement de camp de jour
mon hôte tente la vérité
je m’excuse Simon, mais t’es vraiment plus beau en photo
l’éclairage de son hall d’entrée m’en veut clairement
les pourparlers de fiançailles sont ajournés
Marc-Antoine : exécuteur testamentaire
la mode est un cycle, révèle des magazines
mes tee-shirts vont bien finir par se réinscrire dans l’époque
je reviendrai au goût du jour
je faisais des turn-up à mon linge long
bien avant que ce soit la loi
pour réussir une sortie élégante
il faut relever le menton
inspirer et sourire
c’est raté
je démissionne dans la disgrâce
mon burlesque primitif et mes pitreries d’usage
j’éteins la lumière par erreur
je cherche la poignée dans le noir
pour sortir de chez toi au plus criss
je réussis même à m’empêtrer les pieds dans ton chien
il s’appelle Grelot
quel nom de marde
je rentre de guerre lasse
le vent peaufine ma coiffure
réorchestre ma dignité
je fais des faces oscarisables
juste pour moi
mon chagrin est crédible
autant que celui des hommes qui ne pleurent vrai
que devant les portières bosselées
de leur auto de l’année
dans les rues je suis ignoré au complet
il y a une baisse de générosité
la déchirure à mon jeans sous mon grand fessier
ne dit rien à personne
surtout pas à toi, Marc-Antoine
il me faudra te supprimer de Facebook
ça laissera de la place pour les autres à venir
la route du retour à pied est une surdose de crevasses
de plaies ouvertes
de cônes encerclant mes périmètres
si j’avais un char je pourrais sortir de ma métropole
retrouver les ombres spacieuses de conifères
qui barrent le gris des routes
comme des trainées de goudron
ça changerait ma vie, oui
ici que des pansements sombres sur l’asphalte
Montréal est amochée comme moi
j’écoute vibrer le pouls d’un chat errant
ça ronronne dans l’écho du chantier du jour
j’ai la lévitation hypoallergène
aspire-moi à mieux
et prête-moi une de tes prochaines vies, please
mon appart m’accueille comme je suis
sans crédibilité aucune
le popotin à l’air
j’arrive flush pour la grand-messe de la télé
et le Gémeau est remis à
je zoome sur les perdants
je connais tout de la déception ambiante
Marc-Antoine s’excuse sur Facebook
je vais lui donner une autre chance
2-
Marc-Antoine me relance sur Facebook
heille, Simon, je m’excuse encore pour l’autre fois
ma coloc m’a passé ton roman Javotte
je l’ai lu pis j’aimerais ça te revoir
je t’ai trouvé tellement drôle pis wise
que j’ai envie de faire l’amour avec toi
je cours à toi sans dignité
je me déteste et je me trouve chanceux en même temps
le claquement monastique des sandales
sur le béton de l’escalier du métro Place Saint-Henri
me font croire que je marche sur l’eau
je lévite dans la ville souterraine
j’arrive en retard à nos noces, Marc-Antoine
car je hashtaguais ma joie de te revoir
tu me tires dans ta chambre de vampire
jettes ton chien à la porte
et te déshabilles avec célérité et précision
Arturo Brachetti de la couchette
je vais faire l’amour à un auteur
vu de même
oh le grand déficit d’attention
de ton sexe remuant
je ne suis pas si laid que ça, finalement, hihihi
ne fais pas de bruit ma coloc est à côté
je glisse en forme de soie
j’ai de la geisha dans les reins
tu me rejoins et tu m’empoignes les cheveux
t’es vraiment une petite salope
pardon?
tu tâtonnes sur ta table de nuit
tes dents de hyène déchirent un sachet de condom
tes gestes sont rodés
déroule le rebord et cours la chance de gagner un voyage
une Dodge Caravan
ou une ITS
c’est que c’est pas vraiment ce que j’avais en tête, Marc…
tu piges dans une quincaillerie de lubrifiants
tu appliques là où tu l’entends
et je souris de méprise
oups, non
tu demandes duel et moi asile
on se complète bien
à vouloir l’inverse de notre bien
tu gagnes : tu me rentres dedans
je ne suis jamais doué pour convaincre
j’implore les pinces de désincarcération
pour me sortir de tout ce malaise
t’aimes ça, ma petite salope
ma face de perte-de-virginité-anale t’excite
tu m’as bien mal cerné, au fond
habituellement je fais l’étoile
uniquement pour rajuster mon drap contour
je ne m’offre jamais au complet
ça fâche un peu
comme les douchebags au gym qui sont frustrés
quand j’obstrue leur superbe devant le miroir
arrête de crier, petite chienne
tu me colles ton oreiller sur la bouche
comme on braque un pistolet sur une tempe
mais où est l’amour, dans tout ça?
bravo, c’est clair que ma coloc s’est réveillée
je m’excuse
le dernier métro est passé
je peux emprunter un bord de lit?
non, je dors mieux seul
alors je peux emprunter ton divan?
non, on se connaît pas vraiment
pis c’est le lit de Grelot, mon chien
pas de trouble
je me rhabille et je prie
pour que Grelot t’éborgne un testicule
je vais pour quitter ta chambre ton appart et ton quartier
tu chuchotes avec douceur
bravo, pour ton roman
j’ai ben aimé ça
t’as du talent
Grelot se faufile dans ta chambre
je referme ta porte
la salle à manger est dans la semi-pénombre
sur la table je vois un exemplaire de Javotte
il y a un peu de moi dans cet appart étranger
j’ouvre le livre et lis un nom en mauve sur la page de garde
Valérie F.-Dansereau
ta coloc sans doute
une écriture douce et appliquée
je me retiens d’autographier le livre
et d’écrire en dessous
ton coloc est dégueulasse
je me pose sur la banquette d’un taxi
dans le beau soir de mai
j’ouvre Facebook pour stalker le profil de Marc-Antoine
puis je le retire de ma liste d’amis
le chauffeur fronce les sourcils pendant que le compteur tourne
vous allez où monsieur?
je rentre à la maison
***
Pour lire un autre texte de Simon Boulerice : “J’ai matché mon chum pour m’en débarrasser”