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La nature n’est pas un Walmart

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Si vous êtes du genre à aimer faire vos confitures vous-mêmes, c’est le meilleur temps de l’année : la saison des petits fruits est commencée. Et quoi de mieux, histoire de rendre le tout le plus DIY possible, que d’aller cueillir lesdits fruits soi-même, photos Facebook à l’appui?

Avant de le faire, il faut juste veiller à se rappeler une chose : la nature n’est pas un Walmart.

Oui, les fraises sont peut-être plus grosses à l’épicerie. Non, ça ne sert à rien de le faire remarquer au producteur qui trime dur toute l’année pour quelques mois d’opération. Oui, celles en spécial au IGA ont voyagé depuis le Mexique; non, elles ne goûtent pas la même chose.

Si seulement toutes les fraises pouvaient être comme ça.
Si seulement toutes les fraises pouvaient être comme ça.
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Si vous trouvez que ces phrases sonnent comme des évidences, tant mieux! Parce qu’à en croire Diane*, préposée à la cueillette dans une ferme des Cantons-de-l’Est, tout le monde n’est pas aussi perspicace.

“La question la plus cocasse que j’ai entendue est : ‘Est-ce que ce sont des fraises de cette année?’ Je ne savais pas quoi répondre… Peut-être que la question vient du fait que le Québécois moyen sait que le sirop d’érable se vend en conserve et qu’il y a possibilité qu’on vende du sirop de l’an passé, et donc par analogie des fraises de l’an passé?”

Dans ce temps-là, il n’y a qu’une chose à répondre : oui… vous cueillez bien des fraises de cette année.

Des cueilleurs exigeants

Au-delà de cette question un peu farfelue (mais somme toute rare, quand même), il est vrai que les personnes qui pratiquent l’autocueillette sont de plus en plus exigeantes. Comme on l’apprenait l’été dernier dans La Presse +, moins de personnes vont faire le plein de fruits pour cuisiner; elles sont remplacées par des familles et des fervents de l’agrotourisme. En bref, des gens qui veulent avant tout passer une belle journée en nature, et acheter au passage quelques petits fruits.

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Ça se comprend. Ce n’est pas tout le monde qui produit du coulis pour une armée et on peut vouloir mettre nos enfants en contact avec la nature sans rapporter 50 $ de framboises à la maison. On peut adorer marcher dans une plantation sans vouloir se briser le dos pendant des heures.

Mais quand on veut payer ses paniers de fraises dans une cabane de bois au beau milieu de la campagne par Visa, qu’on est surpris ou offusqué de voir des abeilles pollinisatrices dans un champ, qu’on fait un drame parce qu’il n’y a plus de fraises en fin d’après-midi (comme si le producteur pouvait en générer de nouvelles une fois qu’elles sont cueillies)… on demande peut-être à la nature d’être ce qu’elle n’est pas.

Et quand on voit un verger ou une ferme de cueillette qui a, en plus de ses produits dérivés, une mini-ferme, une tour d’observation, une aire repas, une station de jeux, un stationnement bétonné, une mascotte, un réseau wi-fi… on se prive probablement du côté de la nature dont on profiterait le plus : sa sobriété et son authenticité.

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Le point ici n’est pas de basher Fraisette la mascotte (on salue d’ailleurs avec compassion la personne qui sue à l’intérieur du costume!), mais bien de se demander si on n’aurait pas intérêt à vivre ces apparents “manques” que nous apportent les escapades en nature, histoire de voir ce qu’on peut en retirer.

On vit quasi constamment avec des filtres entre nous et la nature. Un air conditionné qui nous fait oublier qu’il fait chaud. Un moyen de transport qui nous fait oublier qu’il y a dix kilomètres et une petite montagne qui nous séparent de la maison de notre amie. Une industrie alimentaire qui nous fait croire qu’avoir un ananas en hiver au Québec est parfaitement normal.

Évidemment que ces filtres sont plaisants. Mais vivre en contact #nofilter avec la nature ne serait-ce que quelques heures (idéalement plus!) nous permet d’observer notre condition d’humain différemment. Que sommes-nous quand on se débarrasse de nos prothèses technologiques et que l’on revient au plus simple dénominateur commun de l’humain : un petit primate fait pas très fort dans un champ de fraises?

Manger son poids en fraises, c’est moyen

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Cessons d’extrapoler et revenons aux fruits, car il reste un point à aborder. Manger une fraise directement dans un champ, c’est un peu la version “nature” de goûter un raisin dans un sac à l’épicerie. C’est agréable, c’est pas grave, mais au-delà d’un certain nombre de bouchées, c’est juste un dick move.

Diane est d’accord. “Allez-y selon votre conscience en vous mettant à la place du producteur. Certains clients passent à la caisse en déclarant qu’ils ont mangé plus de fruits que l’ensemble de ce qu’ils viennent payer et nous présentent la chose comme une bonne blague… personnellement, ma rate a de la difficulté à réagir!”

De la même façon, des enfants sans surveillance qui piétinent des plants ou des chiens qui font pipi dessus ne sont pas très drôles pour le producteur.

Mais une fois que ces principes sont intégrés, lancez-vous et allez en cueillir, des petits fruits! Cette carte interactive des producteurs québécois pourra vous être utile si vous cherchez un producteur près de chez vous.

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Pour lire un autre reportage de Camille Dauphinais-Pelletier : “Foodies et fiction”

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