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J’ai jasé avec une travailleuse du sexe de ses débuts et de sa vie amoureuse
Je suis allée à l’école chez les Sœurs, pis la seule affaire badass que j’ai, c’est un tattoo de 4 centimètres qui représente une ancre de bateau sur le talon droit. Alors quand URBANIA m’a dit : “Ça te tente-tu d’aller rencontrer une travailleuse du sexe?”, vous vous imaginez ben que la vision que j’avais, c’était Sophie Lorain dans Omertà.
Évidemment, quand j’ai rencontré Catherine pour qu’elle me raconte son histoire, elle n’avait ni l’air d’une prostituée des années 90, ni d’une figurante de Fifty Shades of Grey.
Catherine*, travailleuse du sexe, ça peut être bien des choses… tu veux me dire en quoi ça consiste, pour toi, au quotidien?
Je travaille dans un salon de massages érotiques. Je suis travailleuse autonome pour cet aspect-là de ma vie, mais j’ai aussi une “vraie job” en administration. C’est pour ça que j’avais envie de te raconter mon parcours, parce qu’on s’imagine toujours que les filles qui travaillent là-dedans sont “trash”, qu’elles prennent beaucoup de drogue ou qu’elles ne le font pas par choix. Évidemment, il y en a de ça, on ne va pas se mentir, mais dans le salon où je travaille, ce n’est pas du tout le cas.
Tu as une « autre job ». J’en comprends que tu exerces le métier de travailleuse du sexe pour le plaisir?
Oui! J’ai toujours été très curieuse par rapport à la sexualité. Très jeune, vers l’âge de 7 ou 8 ans, je fantasmais déjà sur l’idée d’être danseuse nue. Je me souviens aussi d’une émission sur le sexe qui passait à TVA, Je regarde moi non plus. On dirait que ça m’envoyait le message que j’étais pas la seule à avoir cette curiosité-là. Remarque, je vivais dans un village où tout le monde se connaissait, alors, dans mon bout, peut-être que j’étais la seule! J’ai donc suivi le cheminement classique : j’ai eu des chums, je suis allée à l’université… et à 19 ans, j’avais déjà une vie rangée avec un gars formidable. On allait s’acheter une maison et… j’ai pas été capable de continuer.
Même si on ne travaille jamais sous l’influence d’alcool ou de drogues, on finit par développer un genre de pilote automatique.
Qu’est-ce que t’as fait?
Je l’ai laissé, et je me suis informée sur Internet pour devenir danseuse. Finalement, une amie m’a référé à une fille qui faisait ça. C’est elle qui m’a parlé des salons de massage. J’ai regardé des sites de salons de massage et j’ai rempli un formulaire pour y travailler. J’ai passé une entrevue avec la gérante de l’un d’entre eux, qui m’a demandé pourquoi je voulais faire ça. Je lui ai dit que j’avais toujours eu envie de l’essayer. Elle m’a demandé deux pièces d’identité pour valider mon âge, puis j’ai fait ma première soirée.
Alors, comment ça se passe une soirée typique au salon?
On attend dans une genre de pièce commune toutes les filles ensemble. Après, quand il y a un nouveau client, on va se présenter une après l’autre. On dit notre nom de masseuse, on lui serre la main et on retourne avec les autres. Si le client nous choisit, on part dans l’une des salles avec lui. D’ailleurs, il est toujours obligé de prendre une douche avant le massage. On enlève notre peignoir et on fait le massage, qui se termine par une masturbation. Après, on va dans la douche. Je dirais que c’est environ une heure au total, avec le nettoyage de la salle et la préparation pour le prochain. Je peux faire cinq clients par soir.
ET PASSER D’UN CLIENT À UN AUTRE À CE RYTHME-LÀ, EST-CE QUE TU TROUVES ÇA ÉTRANGE?
C’est drôle à dire, mais, même si on ne travaille jamais sous l’influence d’alcool ou de drogues, on finit par développer un genre de pilote automatique. À la fin de la soirée, des fois, je ne me souviens même plus des clients que j’ai massés.
Ok, de fille à fille là, ils sont comment, les fameux clients?
C’est ça qui est le plus surprenant : en général, ce sont des hommes attirants, en forme… t’sais, genre… James Bond?
Vraiment? Mais… ils pourraient pas juste aller dans un bar pour trouver une fille?
Oui, ils pourraient, mais dans un salon, c’est plus discret. Il y en a beaucoup qui sont mariés. Ils nous parlent de leur femme, de leurs enfants… ils nous racontent leur vie. C’est un peu comme si on était leur maîtresse. Durant les tournois de hockey pee-wee, on est dans le jus!
Certaines des filles qui travaillent avec moi sont en couple et le cachent à leurs copains, d’autres ont dû choisir entre le salon et leur chum…
Il y en a qui s’attachent aux clients?
Oui, ça arrive. Mais on n’a pas le droit de voir un client en dehors du salon. Certaines filles ont essayé et elles ont perdu leur place. Moi, je n’ai jamais eu envie de le faire. Au salon, j’ai une histoire que je raconte. Cette partie-là de ma vie reste séparée de ma vie personnelle, sauf pour les autres filles qui travaillent avec moi; elles, ce sont devenues de vraies amies.
As-tu quelqu’un dans ta vie?
Oui! Un gars que j’ai rencontré sur un site échangiste. Au début, il était en couple et au bout de quelques mois, il a laissé sa blonde pour qu’on soit ensemble. C’est une relation un peu marginale, mais je pense que j’avais besoin de ça. Je suis chanceuse parce qu’il accepte que je continue mon travail au salon. Certaines des filles qui travaillent avec moi sont en couple et le cachent à leurs copains, d’autres ont dû choisir entre le salon et leur chum…
EST-CE QUE TU POURRAIS TRAVAILLER « À TON COMPTE »? ET EST-CE QUE ÇA TE PERMTTRAIT DE GAGNER PLUS D’ARGENT?
Oui, mais ce serait aussi moins sécuritaire. Au salon, si je me sens en danger, je sors de la salle. Si je crie, les autres filles vont m’entendre. Si un client essaie de partir sans payer, ma patronne va barrer la porte et l’obliger à payer avant de partir. En plus, quand tu travailles à ton compte, tu es seule, ou tu dois te payer un garde du corps, un chauffeur, aller à l’hôtel… ça entraîne plein d’autres frais. Je pense que le risque que ça implique n’en vaut pas vraiment la peine. Sans compter que le salon offre un certain décorum. Mes limites sont respectées, et je peux toujours refuser. Moi, un client qui essaie de négocier mes tarifs, c’est non. Ç’a beau être un service et une entente entre deux personnes majeures, ça reste mon corps. C’est pas un produit.
Justement, ton rapport à ton corps : il a changé depuis que tu fais ça?
C’est paradoxal, mais il a changé pour le mieux. J’ai plus confiance en moi, je me trouve plus belle qu’avant, je suis moins complexée.
Il n’y a pas une pression d’avoir un corps parfait, de ne pas prendre de poids?
Non, vraiment pas. C’est plus une question d’attitude. Il y a des filles au salon qui sont en surpoids, et elles ne sont jamais moins choisies que les autres. C’est cliché, mais si tu es bien dans ta peau et que tu te trouves belle, le reste a peu d’importance. Par contre, je pense pas qu’on peut faire ce métier-là très longtemps… dix ans tout au plus. La plus vieille au salon a 36 ans. Elle est magnifique, ça n’a rien à voir, mais je pense qu’à un certain âge c’est un style de vie qui te convient moins, peut-être…
Envisages-tu la vie après le salon?
Ça va être un deuil. Et financièrement aussi, bien sûr. Mais je vois déjà à quel point tout peut s’arrêter rapidement. Il me suffirait d’une mauvaise expérience pour que je décide d’arrêter. Mais pour le moment, j’adore ça. Le seul inconvénient, c’est que je n’en parle pas à ma famille.
Ils ne savent rien?
Rien du tout. Le pire, c’est qu’on est très proches, on est une famille tissée serrée, avec de belles valeurs. Mais je sais qu’ils s’inquiéteraient pour moi. Des fois, le soir, je me couche et je me dis “si mes parents savaient”. En même temps, ça donne un petit kick de garder ce secret-là.
*Cherche pas à savoir si c’est ta voisine de bureau, parce que, oui, on a changé son nom.