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Papa, tu n’es pas qu’un géniteur

Par
Mélanie Couture
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Mon père ne m’a pas éduqué comme si j’étais une fille, pas plus qu’il a tenté de m’éduquer comme un gars. Il m’a élevée en enfant, en petit humain. Sans bloquer mes envies de lire des livres de princesses ou de me salir en pognant une débarque en skate.

Merci papa, d’être là.

C’est doux de ne pas faire partie des statistiques de père absent. Être un géniteur, c’est facile. Être un bon père, c’est le défi d’une vie.

T’étais là, avec nous, à te rouler sur le tapis, à salir tes pantalons dans l’gazon, à coacher et parfois à nous encourager sur le banc des spectateurs. (Sincèrement j’t’aurais mal vu coacher mon ballet jazz anyway.)

Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai écouté Passe-Partout, convaincue que tu l’écoutais avec moi avant de me rendre compte que tu faisais la sieste. Bien accotée sur ta bedaine, je me berçais au rythme de tes respirations pensant naïvement que t’étais tout autant captivé que moi par Passe-Carreau qui tentait de deviner l’objet mystère dans sa boîte.

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Lorsqu’on jouait à “t’es mon client et chu ta coiffeuse, ok papa ?”, je mettais des barrettes dans tes cheveux, mais t’avais l’air habitué. Tes parents ont eu cinq filles avant toi. T’avais déjà servi de cobaye, je le sais, j’ai vu une photo de toi à quatre ans, tout coquet, les ongles recouverts de vernis noir. Du moins j’imagine qu’il était noir, la photo était en noir et blanc.

En papa fort, tu venais me border en t’assurant de bien fermer la porte de la garde-robe, inspectant minutieusement son contenu pour me garantir qu’il n’y avait pas de monstre. T’étais policier donc je savais que les monstres niaiseraient pas avec toi. À chaque fois que quelqu’un me défiait en disant : “Mon père est plus fort que le tien!”, je répondais : “Le mien a un fusil”. On ne jouait jamais longtemps à ce jeu-là.

Ta grosse voix de baryton, qui fait encore vibrer ta cage thoracique à chaque syllabe, a réconforté mes genoux écorchés, mes jeans pognés dans la chaîne de bicycle et mes jouets brisés. J’avais le droit de pleurer, mais fallait aussi reprendre le guidon vers l’aventure. Une Couture, ça ne s’apitoie pas sur son sort.

On a pêché dans la chaloupe pendant des heures et jamais tu ne m’as fait sentir que c’était ennuyant d’être seul avec ta fille.

Je voulais faire de la moto avec toi, c’était toujours oui. Je voulais grimper dans un arbre, faire du tir à l’arc : encore oui. En fait, je voulais toujours faire ce que mon grand frère faisait. Il avait beau me traiter de “beefsteak” ou de grosse toutoune, je le trouvais cool en secret.

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Vous vous lanciez la balle de baseball? Moi aussi, je voulais essayer. Tu disais : “Parfait, après ce sera ton tour.” Aucune hésitation, aucun doute en mes capacités de réussir. Si mon frère le faisait, j’y avais droit moi aussi. Simple de même l’égalité des sexes chez nous; tu donnais la même chance et la même attention à ta fille qu’à ton gars.

Au camping lorsque mes cheveux étaient mouillés et que maman était fâchée d’avoir oublié le séchoir, tu prenais une serviette, secouais ma crinière et me disait : “c’est beau, c’est pas une parade de mode, on est au camping. Va jouer!. D’ailleurs, cet après-midi-là, on a découvert que les poissons dans le lac aimaient bien les singles de Kraft, c’était magique. Par contre, on avait plus de tranches pour les burgers du souper, ça, c’était moins magique.

Tu m’as donné le droit d’être plus heureuse que belle, de me sentir égale aux boys, d’avoir la certitude que je pouvais faire la même chose que mon frère.

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Ça explique probablement pourquoi j’ai la ferme conviction qu’une fille, c’est aussi drôle qu’un gars. Je ne me suis jamais demandé si je pouvais devenir humoriste, je l’ai juste fait comme je t’ai lancé la balle.

Love xx

***

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