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Christopher Curtis: du Tricolore à la troisième solitude

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L’an dernier, Christopher Curtis a abandonné le Canadien de Montréal pour couvrir à temps plein LE sujet politique de 2016 : les enjeux autochtones. Une mission qu’il accomplit aujourd’hui avec humilité, fragilité et conviction. Portrait d’un homme qui porte la plume dans la plaie.

Ce texte est tiré du Spécial Extraordinaire 2016 du magazine URBANIA.

Ce qu’il y a d’évident avec l’expression « l’herbe est toujours plus verte chez le voisin », c’est que forcément, le voisin aussi juge que notre gazon est plus joli que le sien. Quand j’ai approché Christopher pour faire son portrait, il semblait gêné après m’avoir googlée : « T’as l’air ben plus qualifiée que moi pour faire partie de ce palmarès. » Mettons ça sur le compte de l’humilité. Moi, c’est Christopher que j’admire. Reporter pour The Gazette depuis 2013, il a couvert toutes sortes de domaines, grimpé dans des autobus de campagne, fait du reportage en région éloignée et suivi le Canadien de Montréal avant de se pencher exclusivement sur les Premières Nations.

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Jusqu’à tout récemment, Christopher, 30 ans, couvrait ce qu’on peut appeler le Saint Graal des beats journalistiques : le tricolore. « Quand on m’a offert le poste, j’étais super excité parce que beaucoup de mes idoles dans le métier, comme George Plimpton ou Hunter S. Thompson, ont commencé aux sports. » Rapidement, le jeune Tintin se bute à l’organisation du CH, « la Corée du Nord du sport », dit-il. « Pour eux, les journalistes sont des outils promotionnels pour le club. Dès que tu dévies de leurs plans, ils te le font savoir. » Christopher apprend qu’il a dépassé les bornes le jour où il demande à Geoff Molson comment il réagirait si l’un de ses joueurs était gai.

Après la saison 2014-2015 avec le Canadien, Christopher, brûlé, prend tout ce qu’il a de vacances pour faire le point. À son retour, son seul désir est d’être affecté à temps plein aux enjeux autochtones. Bon, dans le contexte actuel, ça peut paraître convenu, mais au moment où Christopher fait cette demande à sa patronne, aucun reporter n’est encore dédié à 100 % à ces enjeux. Lui fait une fixation sur la question depuis plusieurs années déjà. Il réussit à convaincre sa patronne que l’enjeu est suffisamment important.

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Ségrégation made in Québec

Né à Deux-Montagnes, pas loin de la réserve de Kanesatake, Christopher a toujours eu les autochtones dans son angle mort. « À l’école anglophone, il y avait des Mohawks. On ne se côtoyait pas beaucoup. Il y avait une sorte de ségrégation », se souvient-il. Pendant ses études, alors qu’il travaille dans la construction, il côtoie aussi des membres des Premières Nations. Il parle avec eux de la crise d’Oka, il commence à prendre le pouls d’une troisième solitude. « C’est quand j’ai commencé à travailler sur une réserve que j’ai vu l’autre côté de la médaille. Le phénomène le plus sous-médiatisé, c’est peut-être qu’il y a vraiment de belles choses qui se passent sur les réserves. »

À l’été 2010, poursuivant ses études en journalisme à Concordia, Christopher abandonne la construction pour prêter main-forte au journal de Kahnawake, The Eastern Door, à titre de bénévole. « Quand je suis arrivé à The Gazette, ma seule expérience en journalisme, à part le journal étudiant The Link, c’était ça ».

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Alors que la plupart des Québécois se contrefoutent du sort des femmes autochtones et pensent qu’Idle no more est un groupe heavy métal, Christopher est fasciné par la question. « Je pense que la raison pour laquelle on a du mal à s’intéresser aux enjeux des Premières Nations, c’est qu’ils brisent le mythe national. Ils nous forcent à nous percevoir non pas comme la meilleure nation du monde, mais comme une nation comme les autres, qui a perpétré des crimes coloniaux qui continuent d’affecter les autochtones aujourd’hui. »

Portrait et préjugés

La stratégie de Christopher, c’est de regarder cette réalité inconfortable en pleine face. En 2013, il effectue un reportage de longue haleine sur la réserve d’Obedjiwan, à sept heures de route au nord de La Tuque. Après avoir couvert les démêlés entre la police locale et le gouvernement, il décide de suivre le corps policier pendant un week-end. « J’avais déjà écrit sur le fait d’être un policier autochtone dans la communauté, quand tu connais le monde que tu dois arrêter », explique-t-il.

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L’immersion dans cette réserve pas raccordée au réseau d’Hydro-Québec, malgré son outrageuse proximité avec les barrages, est fascinante. Christopher y dresse un portrait nuancé de la réalité attikamek, mais sa couverture des affaires autochtones ne s’est pas toujours faite sans maladresse. « Pendant la dernière campagne électorale, je suivais Justin Trudeau. Nous étions à La Ronge, en Saskatchewan, et il disait qu’il réglerait les problèmes des autochtones là-bas. Pour montrer que concrètement, les promesses ne changeaient pas grand-chose, j’ai ouvert mon article avec l’histoire d’une femme saoule se battant à l’extérieur d’un bar. J’ai reçu beaucoup de critiques pour ça parce que tu peux pas choisir un pire stéréotype. J’haïs le fait que j’aie blessé du monde, mais j’haïs encore plus le fait que des blancs aient pu conforter leurs préjugés en lisant cet article. C’est un bon exemple de comment je peux devenir un white privileged asshole si je ne fais pas attention. Je vais tenter de me racheter tout le reste de ma carrière pour ça. »

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