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La Résurrection pascale

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Un soir, pendant le colleux avant le dodo, ma fille de 8 ans me dit : “Tu sais maman, je me sens souvent seule. Très souvent.”

Aouch! Je l’ai serrée fort fort contre moi. Maudit qu’on en lègue des affaires à nos enfants!

J’ai été une enfant solitaire. J’ai été une adolescente déprimée et seule (et grosse). Je suis sortie au début de l’âge adulte de ma chrysalide et suis devenue un genre de bête sociale.

On dit souvent qu’on n’a que deux ou trois amis dans la vie. C’est sûrement vrai pour nombre de gens. Pas pour moi. Je veux pas me vanter, mais je considère avoir une bonne gang de vrais amis. Avec chacun ses forces et ses faiblesses. Je n’irais pas voir Martin pour me faire consoler si je viens de me détecter un cancer du pancréas, par exemple, il ne pourrait rien faire de mieux que d’essayer de contrôler son fou rire nerveux. Je n’irais pas voir Virginie si j’angoisse pour mes finances. Mais si j’ai besoin de me changer les idées, de rire un bon coup ou de critiquer une pièce de théâtre, alors, Virginie et Martin seront tous les deux de bons choix. Par contre, pour mes angoisses hypocondriaques, une soirée en tête à tête avec Suzie est tout indiquée. Vous voyez le principe.

Il y a près de 4 ans de cela (DÉJÀ!), mon ex est parti avec une autre fille.

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J’ai été dévastée, je suis passée par toutes les étapes, dans l’ordre et le désordre comme il se doit, du deuil. Avec quelques épisodes de couchée-soûle-sur-le sol-carrelé-de-ma-salle-de-bain (je sais pas c’est quelle étape au juste, ça). Et ces moments inqualifiables où M. Désormais-Ex venait chercher les enfants et repartait, laissant dans mon appart un assourdissant silence. Mes jambes, invariablement, me lâchaient et je m’effouérais sur le sol au ralenti en éclatant en sanglots hurlants et morvants. C’était pas chic chic. Par chance, j’avais pas de public dans ces moments-là.

Chaque fois que les enfants partaient, j’avais cette pensée obsessive qui roulait en boucle dans ma tête (avec quantité de sacres que je vous épargne) : je n’ai pas fait trois enfants pour les voir juste la moitié du temps – je n’ai pas fait trois enfants pour les voir juste la moitié du temps. Etc.

Mes soirées sans enfants, je les passais presque toutes avec mes amis.

Même Martin n’a jamais semblé avoir de fou rire nerveux à réprimer. Tout le monde m’a soutenue, invitée à souper, à sortir, au cinéma, au resto, au théâtre, à la campagne, en voyage même (je me souviens d’être arrivée à Toronto devant l’hôtel où mon amie Marie nous avait réservé une chambre au 15e étage et de m’être demandé si les fenêtres s’ouvraient). J’en ai même profité pour me faire de nouvelles amies : surtout des femmes récemment séparées (dont deux, Manue et Émilie, avec qui j’ai formé les RoseMomz).

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Je vous écris pendant la fin de semaine pascale. Demain, je ne donnerai pas de cocos à mes poussins, ils sont avec leur père. Je prévois travailler un peu, faire de la méditation, courir, lire. Peut-être commencer une nouvelle série télé. Ah, et aussi, fignoler ce billet. J’ai eu deux invitations d’amis. Je les ai refusées, prétextant un surplus de travail. Je peux pas vous dire à quel point l’idée de passer cette journée seule chez moi et dans les rues de mon quartier me remplit… je pourrais pas dire de quoi exactement, mais c’est bon et chaud dans ma poitrine!

Ce matin, dans mon bain à la lavande, j’ai pensé que j’étais, petit à petit, en train de redevenir Moi. Cette fille que j’ai été plus jeune, qui aimait être seule, mais sans la gêne, sans les complexes qui me figeaient et me rendaient malheureuse à l’époque, sans cette légère inaptitude sociale. Une fille qui n’a pas “besoin” de compagnie. Qui savoure le silence, le pas d’événement, le pas d’échange. Une sorte de résurrection à moi-même.

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J’ai demandé à ma fille, l’autre soir, après l’avoir serrée fort dans mes bras :

— Est-ce que ça fait un peu de bien quand tu es dans mes bras?

— Maman, pas un peu, ça fait beaucoup de bien!

Moi aussi, ma chouette, ça me fait du bien.

Tellement de bien, qu’on dirait que je n’ai même plus tellement besoin d’être réchauffée par les bras d’un homme. Bon, de temps en temps, peut-être, mais c’est un extra, quelques gouttes de lavande dans mon bain, et pas un manque qui me creuse le ventre. Mais ce bout-là, je ne le lui ai pas dit.

En fait, je ne sais pas si c’est juste de dire que ma fille retient de moi ce sentiment de solitude. Car au fond, ne sommes-nous pas tous seuls et persuadés d’être seuls à être seuls? Je me souviens comment, petite, je m’imaginais avoir une sœur jumelle, quelqu’un qui me comprenait vraiment, qui vivait les choses comme moi, qui avait le même câblage intérieur, qu’on appellerait ça aujourd’hui. Mais si je me fie aux jumelles identiques que je connais, je crois pas que leur gémellité leur offre ce sentiment de “ah, au moins une personne qui me comprend!”. Je pense qu’elles sont aussi seules que tous les non gémellés, avec peut-être en prime la nostalgie d’une symbiose ancienne.

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Désormais, tant qu’à être tu seule dans mon corps et dans ma tête, j’aime autant m’en délecter. Je trouve que la solitude assumée est une forme de liberté extrême. J’en viens même parfois à être sur le bord d’aller faire un coucou à la nouvelle flamme de mon ex pour la remercier de m’avoir débarrassée d’un couple qui battait sérieusement de l’aile et permis de vivre cette résurrection à moi-même que je n’aurais peut-être jamais connue sinon.

Je vais quand même essayer de réfréner cette envie.

***

Pour lire un autre texte des Rosemomz : “Ma mère, ma fille et moi”

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