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6 vies racontées à travers les tatouages

Par
Lucie Piqueur
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Minuscule bribe de l’écosystème d’une métropole comme Montréal, il m’arrive souvent de me demander qui sont ces autres au milieu de qui j’évolue ? Quels sont leurs rêves ? À quoi ressemblent leurs vies ? J’ai décidé de débuter mon exploration urbaine par ceux qui sont à la fois en marge et au coeur de la ville : les punks. Et quoi de plus naturel pour faire leur connaissance que d’aborder une passion que je semble visiblement partager avec eux : les tatouages.

J’ai donc rencontré six jeunes début vingtaine, qui m’ont laissé les découvrir à travers leurs tatouages : des hiéroglyphes poétiques et plein d’autodérision qui m’en ont appris un peu plus sur le sens profond de la vie.

S. 24 ans

J’adore les tatouages. Quand j’étais petit, même avant d’avoir des tatouages, je me suis souvent brûlé des dessins sur les bras. C’est comme des autels commémoratifs de certaines émotions passées. Des bons ou des mauvais moments, mais qui m’ont marqués au point qu’ils méritent d’être gravés sur moi à jamais. Je considère mon corps comme une ardoise vierge que je peux remplir moi-même comme je veux.

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J’ai un raton laveur sur la main, parce que c’est un très bel animal et que ça fouille dans les vidanges. J’ai aussi composé un album avec mon ami, dans lequel une des tounes s’appelait Le Raton laveur. Cet ami-là est mort, à présent.

J’ai aussi “Fuck la soupe” tatoué sur les jointures, parce que je crois que la soupe, c’est pas un repas d’homme. C’est bon, mais ça nourrit pas. Il faut manger de la viande, du fromage et des patates pour se remplir. C’est une conviction un peu drôle que j’ai.

Le gars qui me le faisait, rendu au “k”, il s’est arrêté pis il m’a cassé le nez. J’ai fait un commentaire à sa blonde et il était trop gelé sur la poudre. Mais il avait juste un sale caractère, il a quand même fini le tatouage.

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S. 24 ans 2Sur le bord de mes pouces, j’ai des yeux de madame et des yeux de monsieur. Ça m’occupe de faire parler mes mains ensemble. C’est drôle, ça passe le temps.

J’ai le nom du band Electric Light Orchestra. C’est un band de disco des années 70 que j’aime profondément. C’est un peu vieux pour moi, mais j’écoute pas de la musique de mon temps de toute façon. Pink Floyd aussi, quand j’ai découvert ça, ça m’a beaucoup marqué.

IMG_20160322_140626621_HDRSur l’avant-bras, j’ai une équation sans queue ni tête qui me vient de mon meilleur ami qui est mort. C’était son graffiti, celui qu’il écrivait partout. Maintenant, c’est écrit sur moi.

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Sur le pectoral droit, j’ai le signe des Red Hot Chili Peppers. C’est le premier band que j’ai bien aimé, j’adore l’énergie qu’ils dégagent. Et sur l’autre pectoral, j’ai Le Roi Liche, le mauvais dans Adventure Time.

Sur l’intérieur du genou gauche, j’ai une drôle de petite bibitte qui représente la gale que j’ai attrapée en 2011 et que j’ai vaincue! C’était une expérience désagréable, mais le tatouage est vraiment cool.

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Les deux derniers que je me suis faits, c’est à l’intérieur de la bouche! F.T.Y pour “Ferme Ta Yeule” en haut, et “sit here” en bas, parce que j’adore qu’une femme s’assoie sur mon visage. Un tatouage dans la bouche, c’est vraiment le fun! Ça chatouille, c’est comme se faire tirer les pois du nez, ça fait des frissons dans le dos.

J’ai fait tous mes tatouages sporadiquement dans les 6 dernières années. C’est toujours des amis qui me les font quand on est ben saouls et ben gelés. C’est jamais fait pour être parfait, c’est juste des belles soirées. Quand on va mourir, nos tatouages vont rester pour raconter les choses qui ont marqué notre vie. C’est pour ça que j’en regrette aucun.

W., 22 ans

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Le fantôme, c’est mon premier tatouage. Un fantôme, c’est pas tout le monde qui est capable de le voir. Et en même temps, je cherchais de quoi qui avait l’air heureux. Ça me représente : quand j’étais au primaire, j’étais pas vraiment populaire, mais j’étais toujours capable d’être heureux.

W 22 ans 1Sur le chest, j’ai un crâne avec une chandelle éteinte sur le haut de la tête. Ça représente le passé, une vie éteinte. C’est à dire, pour moi, l’enfance.

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Et de l’autre côté, c’est la Santa Muerte, la fête du renouvellement. Ça représente le moment du renouvellement de ma vie, c’est à dire la fois où il a fallu que je quitte le nid de papa pis de maman. C’était le début d’une nouvelle vie.

T., 19 ans

T. 19 ansJ’ai fait mon premier tatouage à 13 ans. Les points sur ma main gauche, c’est mes arrestations et détentions, et ceux sur ma main droite, c’est les personnes à qui j’ai fait mal physiquement. J’ai une dague sur le bras en souvenir de mes amis qui sont morts à coups de couteau. J’ai un symbole spirituel sur l’épaule qui me protège de mes ennemis. C’était supposé être un bélier, mais finalement, le gars a fait un bœuf. Et de l’autre bord, j’ai des dates de mort mal faites : mon père et mon frère. J’aimerais les refaire. Love and hate sur les phalanges, ça, c’est un classique ben tranquille. Et pis quelque part, j’ai aussi un vieux tatouage de gang.

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La rose, ça symbolise l’épanouissement. J’étais en train de quêter sur la rue Sainte-Catherine avec un ami, et j’avais dessiné ça sur ma main. Alors avec une aiguille, il s’est mis à me le tatouer en “stick and poke”. Au début, ça fait un peu mal parce que la peau ouvre, mais après ça, c’est plutôt relaxant.

A., 22 ans

J’ai “Traveller” écrit dans le cou. J’étais en voyage et j’étais vraiment écœuré de me faire appeler “homeless”, alors j’ai tatoué ça pour que le monde sache que je suis un voyageur.

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Je l’ai regretté longtemps parce que je l’ai fait sur la drogue.

Si tu te réveilles avec un tatouage, parfois tu vas le regretter ben gros. Comme les gens qui se font tatouer un tribal, j’imagine.

Mais maintenant, je l’accepte totalement. Il me rappelle mon voyage. J’aimerais ajouter “Doomed” au-dessus.

Je voudrais tatouer le nom de mon fils sur mon bras. Je pourrais aussi ajouter le nom de sa mère, parce que même si on est plus ensemble, c’est une femme qui fera toujours partie de ma vie. Mais en langage des aliens de Futurama, par exemple. Je trouverais ça quétaine de l’écrire en français pis que tout le monde comprenne. Mes tatouages, c’est pour moi, c’est pas pour le monde.

Z., 23 ans

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J’ai le nom de ma fille sur la main. Mon coloc avait une machine à tatouer. Ça a pas fait mal, je me suis endormi quand il l’a fait. Ça dépend des gens, et de l’épaisseur de leur peau. Moi j’ai la peau dure, je sens pas grand-chose.

Le “13” dans mon cou, c’est l’âge que j’avais quand je suis tombé en famille d’accueil.

Ça, sur le bras, c’était une grosse gaffe. On était 9 meilleurs amis, on se tenait 24h/24 ensemble, on faisait du skate et du hockey. On s’est tous fait le même tatouage. Puis, du jour au lendemain, je les ai plus jamais revus. Mais maintenant, la police me pose systématiquement des questions sur ce tatouage-là. Le style d’écriture et le fait que ça dise “bros”, ça leur fait penser aux gangs de rue.

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Moi, les tatouages, maintenant, je ne fais plus ça pour le fun. Je vois une image qui me frappe, j’y réfléchis beaucoup, je fais de la recherche dans des livres sur la signification des images… Ma copine a un capteur de rêve tatoué parce qu’elle fait souvent des cauchemars. Elle a aussi la date de naissance de notre fille. Parce qu’on l’a perdue. Elle a été placée et ça fait 5 ans qu’on ne l’a pas vue. Ça nous aide à repenser au temps où on l’avait.

M., 24 ans

Chez nous, on est Irlandais, donc on est superstitieux. Mon trèfle à 4 feuilles sur le coin de l’œil, ça me porte chance et ça rappelle mes origines.

Artiste : Nancy Deschênes
Artiste : Nancy Deschênes
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J’ai beaucoup de tatouages en rapport avec la mer. Je suis nostalgique de la mer, parce que j’ai grandi sur la Côte-Nord. Une fois que la mer a été proche de toi, elle reste même quand tu es loin. Les toiles d’araignée, ça vient des marins, et c’est aussi un refus de l’ordre établi. Habituellement, c’est sur les coudes. Les matelots restaient trop longtemps accotés au bar quand ils étaient sur la terre, alors ils disaient que les araignées allaient tisser leur toile sur eux.

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J’aime beaucoup les tatouages traditionnels. Je les réinterprète. Je dois avoir plus d’une soixantaine de tatouages. Même mes tatouages que j’ai faits juste comme ça avec mes amis, je ne les regrette pas, ils me font rire. Une fois qu’ils font partie de mon corps, je ne les remarque presque plus. Mais j’imagine qu’on pourrait dire que si on regardait mon corps, mon histoire se lirait comme un livre.

J’ai beaucoup de tatouages en rapport avec le voyage aussi. Des points, des lignes, qui représentent les chemins… En général, c’est plus fort que moi, je m’établis pour l’hiver, mais j’ai besoin de voyager l’été. Ça, c’est un “hobo sign”. C’est quand le monde voyage en train de marchandises. Parfois, certains sont illettrés, alors ils laissent des signes pour dire si la police ici est correcte ou pas. Celui-là, ça veut dire “va-t’en vite”.

L’été, quand je me promène en camisole, comme j’ai des tatouages, les gens pensent qu’ils peuvent me toucher. Ils pensent aussi que je suis méchante parce que je suis tatouée dans la face. Mais de plus en plus de personnes ont des tatouages, alors il faudrait peut-être arrêter d’avoir des préjugés sur les gens tatoués.

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Pour lire un autre texte de Lucie Piqueur : “Ça sent quoi, une vulve?”

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