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Confessions d’une ex-accro à l’attention
Je voulais briser internet. Je voulais toute l’attention et je la voulais maintenant. Vos yeux sur mes mots comme un baume sur mon cœur de fille toujours trop ouverte. Je laissais les autres entrer dans mon intimité; quelques années plus tard, j’en paye le prix. Jamais je ne pourrai nier ce passé exposé aux yeux de tous, puisque les paroles s’envolent, mais les écrits restent.
Surtout lorsqu’ils sont cryptés à jamais dans le référencement Google.
Où puis-je partager mon trauma d’avoir fait exploiter mon trauma pour 120$ et une claque dans le dos? Où vais-je quand l’option de cracher mon venin pour une poignée de change me semble aussi alléchante qu’un coup de chéquier dans la face?
J’ouvre mon laptop.
J’ouvre mon document Word.
Avec toutes les contradictions que cela comporte, je tape : “It Happened To Me : j’étais une jeune oversharer aux tendances exhibitionnistes” et je le partage avec vous tel un chant du cygne qui s’éteindra à jamais dans l’oubli de n’être jamais allée à Tout le monde en parle cracher mon vin dans la face de Dany.
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En 2012, j’avais beaucoup d’ambition et surtout beaucoup de choses à dire. Je commençais un bac en littérature anglaise et mon but ultime était de développer mes aptitudes de rédactrice anglo. J’avais beaucoup d’histoires et beaucoup de temps. Le site web xoJane venait d’être lancé. Sa fondatrice, Jane Pratt, célèbre tête d’affiche derrière les magazines des années 90 Sassy et Jane, m’apparaissait comme un gourou de l’industrie du journalisme au féminin. Une industrie, qui malgré tout ses apparents défauts, me semblait attirante.
“Étaler au grand jour mon trauma de fille pas capable de mettre ses limites”, telle a été ma devise le temps de deux articles très personnels sur des événements de ma vie privée. En échange de quoi j’ai eu des commentaires méchants, un inbox “autre” Facebook plutôt intéressant, sans parler d’un chèque en provenance des États-Unis pour une maigre somme forfaitaire.
Je ne m’éterniserai pas sur le sujet de mes articles. Ils sont là. Ils existent. Et en 2016, c’est bien ça le problème. Récemment, le célèbre site web de nouvelles et potins américains Gawker publiait un article intitulé “You don’t owe it to your boss to turn your trauma into content for Time Inc.“, dans lequel l’auteur décriait l’attitude rapace de sites web tels que xoJane à exploiter les blessures de jeunes auteurs et auteures en quête de… de quoi au juste? De célébrité? De likes, de shares, de comments? De simples pansements sur leurs bobos?
Car c’est bien là toute la question de l’industrie de l’over-sharing : après quoi ces jeunes auteurs et auteures courent-ils? Pour ma part, puisque je ne peux parler qu’en mon nom, j’étais à la poursuite de reconnaissance. Je crois. Une thérapie cheap à coup de clic de souris. L’attirance d’un public pour le style confessionnel n’est pas nouvelle, demandez à Sylvia Plath qui danse dans sa tombe. À Elizabeth Wurtzel. À tous ces auteurs et auteures dont le mantra semble être “Gonna monetize my depression via writing”. Un but noble s’il est d’aider d’autres gens à se sentir moins seuls.
Un but moins noble lorsqu’il s’agit de se repaitre dans son trauma à coup de “Je” orgueilleux.
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Non, you don’t owe it to your boss to turn your trauma into content. Mais que faire quand ce n’est même pas le boss qui court après les témoignages? Que dire quand ce sont les auteurs et auteures qui se jettent dans la gueule du loup de leur propre chef? En tant que société en prise au voyeurisme constant, va-t-on vraiment leur dire d’arrêter de se vendre pour si peu en retour? Assoiffés de ce qu’on croit comme étant la vérité, va-t-on leur dire de se taire? Bien sûr que non. On va gober leurs paroles, on va liker, on va sharer, on va commenter.
Et on va en demander plus.
Parce que, comme le dit Jane Pratt elle-même : “[These confessions] are liberating to read, because often you have gone through the same thing but didn’t feel you could admit it.”
En tant qu’ex-oversharer, c’est maintenant que je tourne ma langue dans ma bouche sept fois avant d’appuyer sur send. Mais si l’oversharing était devenu une maladie incurable? Y a-t-il vraiment possibilité d’occuper le statut d’ex-accro à l’attention? “Quand j’share une fois, j’share pour toujours”, chantait Francis Cabrel.
Bye bye Internet.
Jusqu’à la prochaine fois.
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Pour lire un autre texte de Marie Darsigny : “Ode au selfie stick”