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Depuis qu’ils ont perdu un enfant

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Je connais un couple vraiment très beau. Tsé, un couple constitué de personnes à l’intelligence vive, à l’empathie infinie, au sourire tendre, aux doigts souvent entrelacés et aux cœurs reliés en permanence, comme par un fil magique qui rend les autres un peu jaloux? C’est lui que je connais. Et je l’aime beaucoup.

Malheureusement, en ce moment, il vit quelque chose de terrible. C’est qu’il a eu son premier enfant, mais qu’il n’a pas eu la chance de le tenir très longtemps. Une condition médicale inattendue a emporté leur bébé, repoussant du fait même le rêve d’un futur à trois. Un futur anticipé avec hâte, minutieusement préparé, longtemps espéré.

Ces parents-là, en ce moment, ils veillent à vivre leur deuil, à apprivoiser un hiver qui ne ressemblera en rien à ce qu’il aurait pu être.

Mais ils n’auront pas beaucoup de temps pour s’y faire. C’est qu’ici, les parents endeuillés ne jouissent pas d’une grande aide financière.

Mon ami n’aura pas droit à son congé de paternité – malgré la mort néonatale de son enfant. C’est lui qui me l’a dit, alors qu’on dinait en jasant de l’accouchement. Je me suis dit qu’il devait y avoir une erreur. Qu’on devait l’avoir mal renseigné. Qu’on ne pouvait tout simplement pas pousser un parent dont l’enfant vient de décéder à remettre les pieds au travail, à sortir si rapidement d’un précaire cocon d’encadrement et de support. Qu’on ne pouvait pas dire, en quelque sorte : toi, père, comme tu n’as pas porté l’enfant, tu n’as pas besoin de temps pour te remettre de sa perte. Allez hop, au boulot!

Mais non. Il ne se trompait pas.

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Pas de bébé, pas de congé

Pour mieux comprendre, je me suis entretenue avec Alexandrine Chappet, chargée des communications de l’association Parents orphelins. Elle m’a confirmé qu’un père n’a droit à aucun congé de paternité si l’enfant décède avant la naissance. Et si le décès survient une fois le congé de paternité débuté, alors celui-ci prendra fin le samedi suivant le drame.

Le samedi suivant le décès du bébé.
Simple de même.

Père, en fonction de la Loi sur les normes du travail, tu n’auras droit qu’à un maximum de cinq jours de congé, dont deux potentiellement rémunérés…

Et dans le cas de la mère? Si le décès de l’enfant survient après 19 semaines de grossesse, elle peut bénéficier de son congé de maternité. Petit rappel : le congé de maternité dure de 15 à 18 semaines. Le congé parental qui aurait ensuite suivi si l’enfant n’avait pas perdu la vie, lui, ne sera malheureusement pas alloué aux parents. Or, quatre mois, c’est bien trop peu pour dealer avec le fait qu’une personne infiniment attendue ne fera finalement pas partie de notre vie de la façon qu’on espérait. Parce qu’elle sera là, toujours, mais pas physiquement.

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Alexandrine m’a expliqué qu’au strict sens de la loi, le congé de paternité et le congé parental sont des outils offerts par l’État pour que des parents s’occupent d’un enfant. S’il n’y a plus d’enfant, il n’y a plus de raison pour ces outils d’exister. Je vois. Or, comme elle me le souligne, c’est un principe qui ne colle malheureusement pas avec la réalité émotionnelle et financière des parents endeuillés.

Si des associations comme Parents orphelins existent alors pour fournir des outils qui aideront les parents à traverser cette innommable épreuve, ce n’est pas nécessairement suffisant. Alexandrine m’a proposé d’en jaser avec une mère ayant fait appel au groupe après avoir subi un deuil périnatal. Elle m’a mise en contact avec Maude Laforce, dont le premier enfant, Gabriel, est décédé de manière inattendue après 35 semaines de grossesse.

Le vide et l’importance de la mémoire

Rien n’avait laissé présager le moindre problème. Or après 35 semaines de grossesse, Gabriel a cessé de bouger. Quand Maude et son conjoint Louis se sont rendus à l’hôpital, ils ont appris que le cœur de leur fils ne battait plus. On leur a ensuite annoncé que Maude devrait accoucher le lendemain. En attendant, l’équipe médicale souhaitait que le couple retourne chez lui. Déboussolé, il a insisté pour rester sur place. On l’a installé dans une chambre d’accouchement et on a offert un calmant à Maude. À Louis? Rien du tout. Le père n’était pas un patient. Maude a croqué la moitié de l’Ativan et a donné l’autre à son chum.

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Lors d’un entretien téléphonique, elle m’a expliqué la suite des choses : “J’ai accouché de Gabriel à 4 h 30. À midi, j’étais de retour chez moi. J’ai eu droit à mon congé de maternité de 15 semaines. Mon chum, lui, n’avait droit à rien du tout. Il a donc pris des vacances auprès de son employeur après qu’un médecin lui ait prescrit un court arrêt de travail. Il faut se mettre à sa place : il fallait enterrer Gabriel, organiser ses funérailles et vivre un deuil. Il aurait dû faire tout ça tout en travaillant? Il avait besoin de temps.”

Maude n’est pas la seule à décrier cette situation. En 2012, un couple vivant aussi un deuil périnatal a créé une pétition dans laquelle était revendiqué un congé parental pour le père en cas d’interruption de grossesse. Signée par plus de 12 000 personnes, elle a fait son chemin jusqu’à l’Assemblée nationale.

Malheureusement, rien n’a changé depuis.

Revenons à Maude, Louis et leur Gabriel. Alors que Louis n’avait pas droit à son congé de paternité, Maude, elle, a pu bénéficier d’un court répit : “On dit congé de maternité, mais c’est un drôle de terme. Tu n’es pas en congé, tu viens d’accoucher! Physiquement, tu dois récupérer. T’as les bras vides, mais des montées de lait. Ton congé de maternité n’est pas un congé, mais une période pour te demander ce que tu vas faire du reste de ta vie. Personnellement, quand mon fils est décédé, je me suis demandé comment j’allais survivre à ça. Parce que les premiers temps, c’est ce que tu fais. Tu survis. Tu vas à l’épicerie, puis tout ce que tu vois, ce sont les femmes enceintes, les bébés dans leur coquille. Tu vois des parents naïfs, insouciants et tu sais que toi, cette insouciance-là ne reviendra jamais. Tu l’as perdue.”

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J’ai demandé à Maude ce que j’aurais pu faire pour l’aider, si je l’avais connue à l’époque. C’est avec émotion et force qu’elle m’a répondu : “Il faut oser en parler aux parents. Un futur vient de prendre le bord, mais les gens n’osent pas en parler. Notre entourage est mal à l’aise, mais il doit apprendre à gérer lui-même son inconfort. Ce n’est pas aux parents de le faire. Je veux que notre fils vive à travers nous. Il fait partie de notre famille, mais beaucoup de gens préfèrent l’ignorer. Mon conseil, c’est de ne pas faire semblant que l’enfant n’a pas existé. Dites plutôt que vous le reconnaissez, même si vous ne l’avez pas tenu dans vos bras. La mémoire de nos enfants, c’est tout ce qu’il nous reste. Si vous n’en parlez pas, vous enlevez la seule et toute petite place qui leur revient. On ne les entendra jamais parler, pleurer, nous appeler maman, papa. Le système nie leur existence en nous privant d’un congé parental. On a si peu de tribune pour parler de cette présence et de cette absence-là. Posez des questions. Faites-leur une place.”

Oui, préparer des petits plats.
Oui, flatter des cheveux.
Mais surtout, surtout, écouter.

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Comment être utile?

C’est difficile d’être témoin de la tristesse d’autrui, surtout quand cette émotion est liée à une situation qu’on redoute. Personne n’aime entrevoir la possibilité de survivre à son enfant. Ce n’est pas dans l’ordre naturel des choses. Mais il faut oser aborder ce sujet avec ceux qui nagent dedans. Ce n’est pas une question de courage – dans ce cas-ci, le courage est ailleurs –, mais une simple question de support.

En écoutant, on épaule.

Pour faire plus (ou pour faire mieux), on peut toujours se référer à cette liste de conseils pour aider un proche, mise en ligne par l’association Parents orphelins. Je me permets de résumer les trois principaux conseils ici.

Parce qu’en attendant un Québec dans lequel les parents endeuillés, pères comme mères, pourront bénéficier d’un meilleur cadre pour se relever d’une telle épreuve, on peut tous, à petite échelle, tenter d’apporter un peu de réconfort.

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1- Respecter le deuil des parents

“Même si parfois les réactions de deuil ressembleront à des montagnes russes, chacun vit ce deuil à son rythme.”

2- Ne pas chercher les mots magiques

On a beau se sentir démunis, “les clichés vides de sens comme : vous êtes jeunes, vous en aurez d’autres, ce serait bien pire si tu l’avais connu, ou encore c’est mieux que ça arrive plus tôt que plus tard, sont à éviter”. Ces paroles peuvent blesser les parents puisqu’elles minimisent l’ampleur de la perte et sous-entendent que la courte vie de l’enfant n’est pas importante.

3- Offrez de l’aide concrète

“Les parents en deuil n’ont souvent pas l’énergie d’accomplir les tâches de la vie quotidienne. Leur apporter un repas, faire le ménage, tondre le gazon ou déblayer l’entrée suite à une tempête de neige, ça peut réellement leur donner un coup de main. Des suggestions d’aide concrètes peuvent également être offertes. Les écouter, être disponible, accueillir leur peine et respecter leur rythme de deuil sont de réelles façons d’apporter ce soutien espéré.”

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Merci à Maude Laforce, Alexandrine Chappet et au beau couple que j’aime pour leur temps et leur confiance. Pour toute aide ou plus de renseignements, n’hésitez pas à vous référer à Parents orphelins.