Logo

Ma vie n’est pas un film de Hugh Grant

Publicité

C’est presque Noël et je sais bien que je pourrais parler des ritournelles enneigées de Mario Pelchat qu’on doit se taper dans un centre d’achats plus surpeuplé que le métro de Tokyo. Mais, j’aimerais prendre 1043 mots pour vous parler d’amour. Pardon. Pas d’amour, de peine d’amour.

Ça fait vraiment mal.

Quand on est chanceux, dans le genre ma-vie-est-un-film-de-Hugh-Grant, ça n’arrive pas trop souvent. Par contre, quand on est comme moi, on finit par appeler ça : un mercredi comme un autre.

La première vraie étape d’une rupture normale, c’est le “Oh fuck…” en réponse au “Il faut qu’on se parle”. Viennent ensuite les grands classiques : “Tu mérites mieux que moi” ou “C’est pas toi, c’est moi”.

Moi, quand ça arrive, plutôt que de garder le silence, je sors des phrases comme : “Je ne t’ai point aimée cruelle? Qu’ai-je donc fait? Dans des ruisseaux ard…” Je ne me rends jamais à la fin parce que c’est toujours là que la fille commence à texter avec son ex.

L’autre étape, c’est le déni.

Publicité

On refuse de comprendre le présent. Nos affaires sont encore chez l’autre. Sa photo est encore accrochée sur nos murs et tapissée dans notre tête. On joue à se faire croire qu’on passe à autre chose. Mais, on continue à se voir et se parler tous les jours. Parce qu’il est bien connu que LA meilleure façon de se séparer de quelqu’un, c’est de passer tout son temps avec cette personne-là. Naîtra alors, pour justifier l’anomalie de la situation, l’expression : “(…), mais, en amis…”

Comme dans :

— On se parle encore tous les jours, mais en amis.

— On est allé souper chez mes parents… mais en amis.

— On s’est collé en écoutant The Notebook pis j’ai fait son risotto préféré, mais un risotto en amis, là.

Le “Mais, en amis” est faux.

On est aussi amis que Rose et Jack étaient amis. Même eux n’y croyaient pas. La vérité c’est qu’on s’ennuie de l’autre et qu’on n’a pas la force de s’en séparer. Le “Mais, en amis” est vicieux. Il crée un code de conduite qui donne l’impression d’un certain contrôle. Mais c’est de la poudre aux yeux. “On se voit, mais en amis”, c’est le survivant du beach party de St-Gabriel-de-Brandon qui dit : “Je te jure que je suis correct pour conduire”, après avoir gagné un concours de push-shots.

Publicité

Voyons! On ne contrôle rien. Généralement, le “Mais, en amis” finit par nous faire douter et nous donne envie de reprendre ensemble. Sauf que… On partage notre quotidien et notre intimité depuis 4-5 ans. Évidemment qu’il y a une chimie qui ne se compare à rien d’autre! Le “Mais en amis” est dangereux.

Il nous fait oublier la raison du “Il faut qu’on se parle” et le fait qu’on était à deux semaines de devenir Madame Bovary. (Si tu n’as pas compris ce référent, bravo tu es normal! Si tu sais exactement de quoi je parle, tu n’es plus tout seul à avoir vécu un primaire difficile.)

Le déni se conclut de trois façons. La première conclusion, c’est de couper les ponts définitivement dans la paix parce qu’on réalise que notre amitié a moins de débouchés qu’un cul-de-sac à Kuujjuaq. Mais ça, c’est comme aller voter aux élections scolaires. À part 0.3 % de gens trop responsables et consciencieux, qui le fait?

Sinon, on peut retourner ensemble. Mais, dans le fond, c’est revenir à la case départ. Dans 2 semaines, 6 mois ou 5 ans, les mêmes problèmes réapparaîtront. Une amie m’a déjà sauvé en me disant : “On ne doit pas reprendre ensemble en se disant que les choses vont changer. On doit reprendre ensemble parce que les choses ont changé. Mais, le changement c’est lent.”

Je me demande encore pourquoi cette citation n’a jamais eu l’honneur d’être la pensée du jour de Louise Deschâtelets.

Publicité

Finalement, on reste “mais, en amis” jusqu’à la question fatidique : “Faque… Hum… Est-ce que… C’est ça… Est-ce que tu vois quelqu’un d’autre…?” Quelle question stressante! On se serre les dents, nos muscles se crispent, notre cœur bat cinq fois plus vite, notre souffle se coupe. Je n’ai même pas réagi comme ça quand j’ai demandé à mon médecin si j’avais une maladie incurable. Et je suis hypocondriaque.

Si la réponse est non, tout va bien. On existe encore. Du moins jusqu’à la prochaine question. Si la réponse est oui… Si la réponse est oui, il ne reste plus que le silence et on se déconstruit à chaque souffle. Mention spéciale au valeureux : “Content pour toi.” Camouflage parfait de notre désarroi. Sauf quand il est trahi par les sautillements de notre paupière gauche.

La voilà la vraie rupture. La vraie douleur.

On existe moins aux yeux de l’autre.

On devient ordinaire.

Publicité

Pour la première fois, on vit la peine pour vrai. On est séparé de l’autre. Mais, tout nous fait penser à l’autre. La ville devient un champ de mines où notre cœur explose à chaque souvenir. Même le plus anodin. “Ah non pas ici! C’est son arrêt d’autobus”, “Ah non pas là! C’était notre restaurant”, “Ah non pas un poteau de téléphone! Elle avait un téléphone…”

C’est insupportable parce que ces lieux, ces images, ces petits n’importe quoi qu’on ne remarquait pas nous rappellent quand on était unique. Quel douloureux contraste avec son regard, son ton, ses attentions, ses gestes qui sont maintenant ceux destinés aux amis ordinaires.

C’est atroce de ne plus séduire la personne qu’on aime.

Pire, on sait que ce n’est qu’une question de temps avant de la voir aux bras d’un autre en train de refaire les mêmes sourires et regards qui nous ont tant charmés. On va lui en vouloir d’être bien et toutes ses actions futures seront répréhensibles. Vraiment toutes… “Crisse d’épaisse sans considération! Comment peux-tu avoir le cœur de faire des quiz Buzzfeed? Vraiment content de savoir que tu serais un Dunkaroos si t’étais une collation des années 90.”

Publicité

Généralement, on a deux choix. Fuir le plus loin possible pour ne rien voir de son bonheur. Ou rester et lui montrer qu’on est “détaché”. D’où l’importance capitale d’exhiber des photos et des statuts de bonheur truqué comme : “SOIRÉE DE MALADE!!! Fondue Neuchâtel & amis! #brosB4hoes”

Puis, un jour, il y a un miracle. Un miracle auquel on n’aurait jamais cru à l’époque où un demi-biscuit soda comblait notre appétit. Il se passe que l’autre est devenu ordinaire.

Publicité

C’est le meilleur moment. C’est la fin! L’autre ne peut plus nous atteindre! Ça nous aura pris 2 semaines, 6 mois ou 5 ans… Peu importe, on est guéri! Le ciel redevient clair et la ville sans danger!

On admet qu’il y aura quelqu’un d’autre qui nous happera par sa beauté, sa bonté et sa grandeur. On est enfin prêt à dire : “Fugitive, beauté dont le reg…” Parfois, j’arrête là parce que la fille reçoit un appel sur son cellulaire éteint. Ça arrive… Mais, d’autres fois, quand je peux dire “… dont le regard m’a soudainement fait renaître”, je sais que je serai heureux.

***

Publicité