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On a profité cette année du Coup de Cœur Francophone, vitrine montréalaise qui présente dix jours de concerts dans à peu près toutes les salles de la ville, pour rencontrer quelques artistes un peu différents qu’on avait envie de te présenter. Une sélection tout à fait subjectives de curiosités qui ont en commun d’être à leur manière un peu en marge et de faire des albums avec pas de banjo.
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Confit d’intérêts
Mettons les choses au clair tout de suite; mes amis sont meilleurs que les tiens. Je le pense vraiment, comme tu trouves aussi tes amis plus intéressants que la moyenne, j’imagine (j’espère?). Navet Confit, je le connais depuis près de 10 ans. J’ai partagé deux appartements avec lui et vraiment pas mal d’aventures racontables et d’autres moins.
Pour cette raison, je ne me serais pas senti très à l’aise de le plugger dans mes papiers sur la musique à l’époque où j’écrivais dans des journaux culturels qui se voulaient sérieux, intégrité journalistique oblige. Mais bon, beaucoup de choses ont changé avec le temps : c’est maintenant un artiste établi qui n’a plus besoin de présentation, et qui a touché à peu près à toutes les facettes de l’industrie de la musique, de la création à la réalisation à la production en passant par la conception sonore.
En plus, il assemble encore régulièrement des albums pleins de petites merveilles grunge et décalées; il vient d’ailleurs d’en lancer un tout neuf qui s’appelle LOL. Quant à moi, ben il reste plus vraiment de journaux culturels où envisager de faire carrière, donc l’intégrité, tsé… eh. Aussi bien se faire plaisir.
C’est donc pour toi, URBANIA, que je me suis dit que de jaser musique et industrie avec lui serait approprié; c’est quelque chose qu’on navet jamais fait encore.
Ok, ok, j’arrête les jeux de mots de marde, promis.
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Quand on écrira l’histoire de la musique indépendante au Québec, Navet Confit occupera forcément quelques pages de choix dans le texte. Alors qu’ici on confond souvent l’expression scène indie avec les artistes dits “émergents”, c’est à dire les petits nouveaux en voies de s’assagir et de passer à l’album pop de l’année, le Navet fait la route inverse.
Malgré la facilité déconcertante avec laquelle il crée des vers d’oreilles, il semble en effet depuis quelques années travailler à désorienter son public. LOL, qu’il vient tout juste de lancer est un objet baroque et insolite (et je ne parle même pas de la pochette en collage cheap de chatons sur fond laser, nouveau passe-temps de l’artiste).
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Loin de la nonchalance shoegaze et des textes doucement désabusés et délibérément ouverts à interprétation qu’on lui connaissait, LOL est une agression ironique autant sonore (Punk X, Butterscotch Nuts) que verbale (la radio commerciale me donne envie/de fumer du crystal dans mon vomi).
Un grand rire franc, un bon coup de pied dans la grisaille et un sain défoulement qu’on devine réalisé sans aucun compromis.
C’est drôle parce qu’en cherchant un spot pas trop bruyant où enregistrer l’entrevue on a atterri à l’Hémisphère Gauche, bar rock qui sent drôle déserté à cette heure sauf par quelques amateurs de vidéopoker hagards. Drôle parce qu’à la troisième gorgée de bière, Navet s’est souvenu qu’il avait lancé son EP2 ici en 2005, avec en première partie un chanteur folk timide du nom de Carl-Éric Hudon. Et qu’il avait demandé au band de ne s’il-vous-plaît plus JAMAIS jouer avec ce gars-là, ben trop emo, qui regardait même pas le public. (Les deux jouent maintenant de la musique pleine de distorsion et crient dans des micros ensemble, en plus de partager un appart. La vie est bien faite pareil.)
On jase d’un peu tout et Navet se rend compte qu’en fait, c’est pas mal au Coup de Cœur qu’est née l’impulsion de son dernier album, LOL, l’affaire la plus punk qu’il ait jamais produite. D’une réaction à ce type d’évènements en fait, où encore après 10 ans de carrière et sept albums complets de musique alliant les trouvailles psychédéliques aux textes inspirés, il est le plus souvent confiné aux scènes nocturnes et secondaires, ou même présenté avec les émergents ou dans les séries découvertes.
“J’ai décidé l’an passé de monter un show adapté à l’image que je pense que les gens de l’industrie ont de moi. Les CCF m’avaient encore mis dans la série de nuits de l’Esco, alors le son punk/garage est parti de là, d’une réaction à ça. Je sens toujours que les diffuseurs ont peur de booker quelque chose d’un peu à côté, de moins grand public. En même temps, j’ai pas l’impression de faire quelque chose de si dérangeant… ça m’a un peu choqué, et je me suis dit que j’allais leur donner ce qu’ils pensent que je fais, que je le ferais pour vrai. Un gros fuck off pour le fun, pour un soir. Et c’est devenu un album.”
— Un peu amer, le Navet?
— Non non, pas amer. Un peu fâché des fois, peut-être. Mais tsé, c’est correct être fâché, c’est un bon moteur. L’inconfort, l’insatisfaction, c’est pas tout le temps plaisant, mais c’est aussi le contraire de s’ennuyer. Ça peut se faire en murmurant dans l’oreille de quelqu’un ou en criant dans un micro, et y’a toujours eu un peu de ça dans ce que je fais, même quand c’est plein d’humour. Je pense que j’avais juste envie d’être moins subtil cette fois-ci, plus dans ta face. Je vieillis aussi, et c’est moins compliqué me souvenir de mes textes quand c’est simple (insérer des rires ici).
— La marge c’est quelque chose qu’on choisit ou qui nous choisit?
— Moi je me mets pas de filtre. C’est suicidaire commercialement ce que je fais pis je le sais. LOL, c’est un peu un statement dans ce sens-là, oui. Parce qu’enregistrer un album c’est toujours un cadeau que je me fais. Pour vrai, là. Y’a du monde qui vont en voyage, moi je ramasse 5000, 10 000 $ en travaillant comme un malade et je me paye une semaine de studio pour faire ce que j’aime vraiment faire. C’est un party, une rencontre, et je l’assume. Tsé je fais beaucoup de projets tout seul, et plein de compromis dans toutes les sphères de mon métier; c’est un peu pour ça que quand j’arrive à cette partie-là, j’essaie d’avoir le plus de liberté et de fun possible. C’est sûr que je pourrais faire ça safe, essayer de rentabiliser mon projet pis toute, mais je trouve ça plate. Ça détruirait l’impulsion qui est à la base de toute l’affaire de passer un fer à repasser sur mes tounes, de m’arranger pour qu’elles soient lisses et sentent bon. C’est ma liberté de créateur que je défends là-dedans. Et je suis chanceux, je suis entouré de gens qui comprennent ça maintenant. Que le côté brisé, un peu surprenant et dissonant de ma musique fait partie du message, de l’intention. La Meute, ma maison de disque, est pas basée sur les ventes de disques, mettons… C’est des gens passionnés qui sortent des choses qu’ils ont envie d’entendre. C’est précieux ça.
— Et tu trouves ça rare un peu en 2015? Elle est frileuse l’industrie, han?
— Ben… j’entends beaucoup d’affaires qui sortent récemment de petits nouveaux qui sonnent comme des vieux. Comme la vieille façon de faire de la chanson au Québec. C’est convenu, ça manque de danger, ça grafigne pas. Je vois pas vraiment y’est où le plaisir là-dedans. Des fois je les rencontre en vrai pis je vois à quel point ils sont pétés et ils ont un bel imaginaire, et après j’écoute ce qu’ils font et je retrouve rien de ça. C’est juste dommage. La jeunesse, c’est une belle période pour essayer plein d’affaires, expérimenter, déranger le monde. Moi ça me fait du bien quand un jeune me donne une claque dans face, pis j’aimerais ça que ça arrive plus souvent.
— Ben… ça arrive quand tu sors des albums, je trouve. C’est un peu ça le but, non?
— Oui parce qu’un moment donné c’est de l’art, crisse. On n’est pas tous là pour te réconforter. Si tu veux te faire réconforter, t’écoutes Friends dans une couverte avec une bouillotte, tu vas pas au Musée d’Art Contemporain. L’art c’est fait pour être confrontant, te questionner, te faire réfléchir. Moi quand je sens le côté complaisant de quelque chose, je pars en courant. Y’a quelques années j’en ai fait un disque plus calculé, plus dans l’idée d’une compagnie, de correspondre à quelque chose et ça m’a pas fait de bien. Ça a pris quatre ans après pour que j’aie envie de m’y remettre, et quand je l’ai fait c’était dans l’idée d’effacer ça et de repartir à neuf. C’est pas un mauvais disque pour autant, mais maintenant quand je l’écoute j’entends toute la pression niaiseuse qu’il y avait autour. Y’a des gens plein de talent qui ont arrêté la musique pour ça, qui se sont écœuré d’être devenus une business et sont partis faire autre chose. C’est toujours triste et une grosse perte pour tout le monde. Moi j’ai choisi de le digérer, puis j’ai sorti trois albums d’une shot (LP4 — La vérité sur Noël, LP5 — Thérapie et LP6 — Au moins, quelques personnes et/ou compagnies et/ou médias prennent encore le risque de promouvoir la diversité dans l’industrie de la musique au Québec en 2013 (ou “si je vends pas plus que 500 copies j’arrête de faire de la musique”) pour faire table rase et passer à autre chose.
— Il y a toujours eu beaucoup d’humour absurde et de collages inusités dans ce que tu fais, et récemment plus de chansons d’amour et de thèmes plus terre à terre. Je pense à “j’irai mourir sur ton balcon”, “crisse que t’es conne”, “Jp in the sky with guépards” ou “j’ai envie de te tuer, mais je t’aime encore”. C’est la maturité?
— Quand je mets ces affaires-là sur un album je me demande tout le temps si c’est pas too much, trop journal intime. Mais après, quand je vois comment c’est reçu, je me rends compte du côté universel des affaires qui sont justement souvent les plus edgy. Faut pas prendre le monde pour des caves. C’est payant de leur faire confiance. Et de leur dire regarde, ça aussi ça se peut. C’est pas mal ça que je fais, d’une manière ou d’une autre. Après, y’aura toujours des madames qui s’ouvrent des comptes YouTube juste pour te blaster, qui sont fâchées que t’existes et de pas tout comprendre. C’est leur problème. Moi elles me font rire, bon.
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Une autre entrevue Dans le fuzz bientôt!