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Quand il faisait campagne, je me disais que personne ne pouvait mieux me représenter. Un gars comme nous autres, pour une fois. Un gars qui partage ma réalité. Mais depuis le soir des résultats, j’ai comme des bouffées de chaleur de temps en temps…
Je ne mets pas en doute ni ses compétences ni son dévouement au travail. D’ailleurs, ça fait un bout que je l’ai pas vu au bar. Mais son élection m’a réveillée comme tous les mariages et les bébés dans mes groupes d’amis ne m’avaient pas encore réveillée. Accoudée seule au bar, j’ai réalisé : c’est notre tour.
Non seulement j’ai des amis parents, j’ai aussi des amis profs, soldats, médecins et même politiciens à présent. Hier encore, on essayait l’ecstasy, et maintenant on est responsables de décisions, de nos enfants, de nos concitoyens… Et maintenant des attentats à Paris… Bref, on est dans la merde.
Quand j’étais petite, j’étais certaine que nos parents savaient ce qu’ils faisaient. Et après, dans un sens, je pense que j’étais conditionnée à croire que les gens plus riches que nous allaient dans des écoles privées et finissaient par en savoir plus que nous… assez pour prendre les choses en main. Mais maintenant que c’est notre tour, je vois bien que personne — pas même les riches — ne sait ce qu’il fait.
En 15 années de carrière et presque autant de jobs hétéroclites, des camps de jour aux restaurants, aux cabinets d’avocats, à la fonction publique, à la porno, aux festivals et à la télévision, j’ai sans cesse espéré qu’à un moment donné, quelqu’un allait être l’adulte responsable.
Mais ce n’est pas arrivé, et on a continué à tousser dans vos assiettes, à essayer de se souvenir ce qu’on avait appris à l’école, à être lendemain de veille en traitant vos dossiers, à faire du mieux qu’on pouvait. On a continué à faire confiance à nos boss pour nous former, et nos boss ont continué à n’avoir aucune idée en quoi consiste la job des gens en dessous d’eux.
Ça me fait capoter de voir à quel point le monde est moins complexe que prévu, finalement. Avant j’étais sûre que la géopolitique mondiale impliquait des paramètres inatteignables pour mon petit intellect. Mais je ne peux plus me voiler la face : on vit dans une république de morons.
Le monde est dirigé par des gens aussi idiots et irresponsables que vous et moi, qui cherchent juste à gagner le plus d’argent possible pour pouvoir emmener leurs enfants à Disney, qui réagissent sous le coup de l’émotion, qui estiment qu’ils sont suffisamment altruistes et sympathiques, mais sont secrètement parano que le monde ne tourne pas autour d’eux.
J’ai le vertige en pensant à quel point tout ne tient qu’à un fil : les avions sont Made in China, les journalistes sont plus accros aux clics qu’à la vérité, mon ami de brosse est député.
Qui a décidé que je méritais le droit de vote, que mon vieux pépé méritait encore son permis de conduire à 91 ans ou que Richard Martineau méritait sa tribune? Je ne sais pas. Mais peu importe. On est tous aussi cons les uns que les autres. Moi aussi, je devrais faire des enfants. Moi aussi, je devrais me lancer en politique, parler en public, aller voir ce qui se passe en dehors de mon fil d’actualité. Mon opinion est aussi erronée que celle des autres, alors pourquoi serait-ce celle des autres qui prime?
Quand j’étais adolescente, j’ai demandé à ma mère pourquoi ma grand-mère française n’avait pas participé à la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Ma mère m’a répondu qu’à l’époque, les gens normaux ne savaient pas bien ce qui se passait. Elle m’a dit d’essayer de m’imaginer, en toute conscience, ce que j’imagine que j’aurais pu faire en tant que simple citoyenne. On ne peut pas savoir d’avance si on se positionne du bon côté de l’Histoire.
Est-ce qu’on se souviendra de nous comme des Résistants? Comme d’une civilisation obscurantiste?
On verra bien.
La seule erreur, c’est de faire comme les autres en pensant qu’ils savent ce qu’ils font.
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Pour une autre leçon de vie de Lucie Piqueur: Les leçons de vie que j’ai apprises en travaillant dans la porn.