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Le dicton (ou est-ce la bible?) dit qu’il faut avoir marché 100 miles (ou 90km, peu importe) dans les souliers de quelqu’un avant de pouvoir le juger.
Que ce quelqu’un soit votre mère, votre voisin ou Véronique Cloutier.
Dans le cadre du débat sur la madamisation, une certaine Dominique Charron s’attaquait récemment, par le biais d’une lettre ouverte au Devoir, à la société Radio-Canada. Dans un français propre et articulé, la dame à l’origine de la page Facebook «Entendu à la radio publique» dénonçait grosso modo la vacuité de la pertinence sur la première chaîne de notre société d’État.
À part être la fille derrière la page Facebook qui «témoigne de la dérive vers l’inculture et la paresse dans la programmation Radio-Canadienne», Dominique Charron est, comme n’importe qui, une simple auditrice. Avec un peu de recherche, on découvre qu’elle est «pâtissière et boulangère autodidacte, passionnée de cuisine, ex-libraire, danseuse et cinéphile», et qu’elle a déjà signé ce texte d’intérêt public : «Pringles multigrains: des céréales dans les patates?».
Le fait que Dominique Charron soit une simple auditrice lui confère entièrement le droit, je tiens à le préciser avant qu’on ne me taxe d’élitiste, de critiquer Radio-Canada, ce service payé ek’nozimpôts. Plusieurs personnes ont lu et applaudi la lettre ouverte de madame Charron, ont félicité la citoyenne ordinaire s’exprimant presque aussi bien que Marc Cassivi, et ont dénoncé à leur tour les égarements de Christiane, Dominique et Annie-Soleil, sans se questionner sur la gravité de ces accusations empreintes de jugements de valeurs et de généralisations. Et surtout, sans penser aux conséquences. Être l’une des victimes de madame Charron, j’aurais pleuré dans mon lit ce soir-là.
Parce que, comme ma nièce de deux ans qui dit «ça pue, ça», en parlant du repas que je lui ai préparé avec amour, madame Charron ne fait pas dans la dentelle. Dans son texte, Christiane Charrette «traite tout sujet avec une agitation et une superficialité franchement irritantes», Dominique Poirier «rivalise avec elle-même pour trouver les sujets les plus mièvres qui soient», et Annie-Soleil Proteau «fait chaque matin étal de son manque de formation artistique et intellectuelle». Notez la gravité des déterminants «tout» et «chaque». Lundi dernier, Annie-Soleil Proteau s’est réveillée en lisant de la plume d’une inconnue qu’à TOUS LES MATINS, elle avait l’air épaisse à la radio. Depuis toujours.
Le web (ou le concept des lettres ouvertes, je ne sais trop), semble donner aux anonymes de ce monde tous les droits. Et par anonymes, je n’entends pas ceux qui chiâlent sous le couvert d’un pseudonyme, mais ceux qui n’envisagent pas rencontrer un jour en pleine face Christiane Charrette, Dominique Poirier ou Annie-Soleil Proteau. Ceux-là se donnent tous les droits, tous les droits qu’ils ne s’accorderaient probablement pas s’ils avaient l’objet de leur chiâlage devant eux.
J’aimerais bien voir Dominique Charron dire ses quatre vérités à une Christiane Charrette enthousiaste. Mieux, j’aimerais qu’on lui offre une chronique, voir ce qu’elle en ferait. Peut-être se spécialiserait-elle dans les listes d’ingrédients de chips?
Mais lâchons un peu notre bonne Dominique. Parce que son geste, innocent, est symptomatique d’un phénomène beaucoup plus embêtant : ceux qui se donnent tous les droits, un phénomène qui prend de l’ampleur depuis l’arrivée des réseaux sociaux. Jadis, il était de bon ton de dire, depuis son La-Z-Boy, que «la chemise de Véro était ben laitte» et que la «teinture de Pénélope McQuade était don ben pas dans sa palette». Dans un salon, c’est tout à fait adéquat. Sur Twitter, Véronique Cloutier, qui n’est pas votre grande chum, on tient à le rappeler, vous lit. Et parfois, elle vous répond. Je me demande comment se sent @ginetonic (pseudo fictif) chez elle, lorsque Véro lui répond. Se dit-elle «wow! la vedette avec une chemise laitte m’a parlée!»?
Ceci dit, vous ne verrez jamais Véronique Cloutier écrire sur Twitter : «@PenelopeMcQuade : Hey, t’as vraiment raté ta première». Pourtant, s’il y a une personne qui peut porter un jugement éclairé sur le travail de Pénélope McQuade, c’est bien elle. Mais elle ne le fera pas. 1. Parce que Véronique Cloutier a de la classe; 2. Parce qu’elle sait mieux que @ginetonic combien il est difficile d’animer un talk-show en direct; 3. Parce que la première de Pénélope McQuade n’était pas facile, mais n’était pas ratée, et 4. Probablement parce que Véronique Cloutier sait aussi que c’est dur de se faire juger gratuitement comme ça avec des mots gros de même.
Ça, Dominique Charron semble l’ignorer.
Évidemment, la première chaîne n’est pas parfaite. Évidemment, pas besoin d’avoir un doctorat en radio publique pour pouvoir questionner le bienfondé d’une chronique intitulée «digère-t-on mieux si on dort du côté gauche?» Et oui, il y a place à la critique.
Moi aussi, je trouve les sujets de tribune «faciles», à Maisonneuve en direct. De toute façon, j’ai horreur du concept des lignes ouvertes, mais c’est une autre histoire. Laisser parler la plèbe? Quelle ineptie! Par contre, je n’ai jamais travaillé pour une ligne ouverte. Je ne suis ni dans les culottes de Lucie Benoît, ni dans celles de Pierre Maisonneuve, pour me prononcer sur la bonne façon de gérer une ligne ouverte. Je me dis qu’ils ont sûrement déjà tout essayé, et que si ça se trouve, lorsque l’on propose des sujets vraiment pertinents, les appels en provenance de Louis-H. Lafontaine fusent. Je ne sais pas, je dis ça de même. Je peux espérer mieux, mais je suis persuadée que l’homme qui maîtrise comme nul autre l’art d’interrompre une conversation fait son gros possible.
Chose certaine, je n’écrirai jamais que «tous les jours, Maisonneuve s’engouffre de plus en plus dans l’abîme de son incompétence». Même si ça fait beau.
Au pire, avant d’émettre une opinion, j’aurai appelé Maisonneuve pour en discuter avec lui, question de limiter le parlage à travers mon chapeau, l’action contraire à parler en connaissance de cause.
Comme lorsque, par exemple, je porte un jugement sur la façon d’élever une famille.
Chaque fois que je vais chez ma sœur, comme une vieille voisine chipie, je commente (dans ma tête, évidemment) le contenu de son frigo : beaucoup trop de plats surgelés et de sauces préparées, un excès d’aliments superflus, comme des biscuits Pillsbury aux brisures de chocolat, et un manque flagrant de bonnes choses, des épinards ou du rapini, par exemple. Cette semaine, je garde ses enfants. Deux, et quatre ans. Je n’ai pas eu besoin de marcher 100 miles dans les souliers de leur mère pour comprendre la raison d’être des gaufres Eggo. Ce soir, on mange de la pizza.
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