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Un jour de l’été de mes 9 ans, j’allais faire une grosse connerie et deux importantes réalisations.
À l’aide de mes amis, j’avais trouvé un moyen de grimper au sommet de la longue chaîne de duplex de ma rue à partir d’un arbre adjacent. Une fois le pied posé sur les tôles goudronnées, je m’étais affairé pendant une vingtaine de minutes à faire quelques allers-retours en trottinant et en chantonnant sur les toits inclinés à 20 mètres du sol. Inutile de dire que mes parents ont vite eu vent de mes activités illicites et m’ont donné un magnifique sermon qui allait avoir un effet durable sur moi.
La première réalisation a été de comprendre ce que signifiait l’expression jouer avec sa vie. Ma brève phase de tryhard bum de ruelle venait d’être coupée au couteau.
La deuxième, qui est l’objet de ce texte, est que j’aime explorer.
Je suis curieux — et par extension casse-gueule — au sens large du terme : trouver les limites, les frontières et, plus souvent qu’autrement, les transgresser. Cette curiosité m’a mené vers un assez grand nombre d’aventures dans ma vie, incluant mon appétit pour les jeux vidéo, cet endroit sécuritaire où jouer avec ma vie était quand même un peeeetit peu plus raisonnable.
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De tous les types de joueurs, ceux qui s’identifient comme “explorateurs” sont bien particuliers (lire : chiants). Quand je joue, mon but est rarement de finir l’objectif explicite du jeu (SAUVE CETTE DEMOISELLE, REPOUSSE L’ENVAHISSEUR, GET TO DA CHOPPA), non, c’est autre chose. Je vais toujours chercher la voie à contre-courant où je peux terminer — voire briser — le jeu. C’est ce qui allait se passer quand j’enlevais l’échelle de la piscine dans The Sims, quand je bâtissais une catapulte à humains dans GMod, quand je me lançais dans le vide à Bastion, quand je sortais par la fenêtre dans The Stanley Parable…
C’est retrouver ce moment où j’avais grimpé au sommet des duplex de ma rue d’enfance.
C’est aussi cette même quête qui m’a éventuellement mené vers une immense déception, qui n’a d’ailleurs jamais cessé de grandir, dans un trop grand nombre de jeux.
Elle est essentiellement apparue au cours de la dernière décennie, très charnière pour l’industrie vidéoludique. Avec la course à l’armement technologique et l’avancée spectaculaire des graphismes, les jeux se sont surdéveloppés d’un point de vue cinématographique. À vouloir faire vivre une expérience précise et hollywoodienne, on se met à diriger; aujourd’hui, la grande tendance est de te dire quoi faire et de s’attendre à ce que tu le fasses. En tant que joueur, tu deviens alors limité à une question d’exécution. T’es l’animal, ils sont le cerceau : tu répètes le même tour, d’un jeu à l’autre, tu sais pourtant ce qui s’en vient, mais tu succombes malgré toi à sa monotonie. Et ces jeux se perpétuent.
Pourquoi on accepte ainsi la prévisibilité ?
Ou plutôt : c’est quoi la différence entre un jeu qui se laisse découvrir et un jeu qui nous tient par la main ?
Pour moi, ça revient à me demander c’est quoi la différence entre un bon et un mauvais jeu ?
Quand t’es un créatif et que ton médium t’allume autant qu’il te frustre, je sais pas pour toi, mais moi ça m’en fait transpirer de ces questions. Et les réponses ? Pas tant. Faute d’en trouver dans ton domaine, tu vas chercher ailleurs. Genre dans ton vécu. Je dis ça parce que j’ai pu trouver certaines pistes dans ma vie sexuelle.
D’ailleurs, pourrais-tu m’indiquer la différence entre du bon et du mauvais sexe ?
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Ma sexualité a beaucoup de vécu. Je parle pas ici de quantité, mais de transitions. Elle s’est d’abord, pendant mon adolescence, développée de manière un peu boiteuse et biaisée, comme bon nombre de garçons à cet âge ingrat. Le sexe, vu à travers la lentille d’une de gang de dudes avec peu ou pas d’expérience, est habituellement perçu comme quelque chose de fonctionnel. À en parler, c’était impossible de s’imaginer quoi que ce soit de mutuel dans une relation sexuelle avec une fille. C’était pas de la collaboration, mais de l’exécution.
En fait, au lit, la question n’était pas de “le faire avec”, mais plutôt de “le faire à”.
Laisse-moi te dire que ça débouche pas sur une vie sexuelle très épanouie, sauf qu’à l’époque, c’était tout ce que je savais. Tu peux t’en tanner et te rabattre vers la pornographie, mais c’est la même histoire — enfin, non, c’est pire en fait. La pornographie est facile; elle t’est carrément donnée.
Tout devient alors confortable. Puis tout devient stagnant. Et tout devient finalement prévisible.
Même case départ qu’avec les jeux.
C’est un constat difficile de s’apercevoir qu’on est tombé dans le piège. Une fille va te dire sans hésiter qu’il y a rien de moins sexy que quelqu’un de prévisible. Je suis d’accord, mais tu sais quoi ? Les gars le pensent aussi — secrètement. Dans mon cas, ce constat a fait avancer les choses. D’un échec relationnel à l’autre, les transitions mentionnées plus haut ont commencé à se manifester. J’ai aussi éventuellement migré de la pornographie à l’érotisme.
Contrairement à une certaine croyance populaire, l’érotisme, c’est un peu plus que des sideboobs coquins sur des photos filtrées en noir et blanc. À mes yeux, c’est une vie sexuelle dégrisée de l’exhibition de la pornographie. C’est troquer la vitesse pour la lenteur; l’exposition pour la suggestion. C’est considérer l’orgasme non pas comme une destination, mais comme une borne possible en cours de route.
C’est aussi de placer l’imagination au centre: laisser ce qui se dit entre les lignes — ou ce qui se voit hors du cadre — compléter la suspension dans notre tête. C’est utiliser le désir non pas comme décharge, mais comme moteur.
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Cette tendance à tout faire, à tout expliquer à la place du joueur dans un jeu vidéo, c’est la facilité de la pornographie; c’est le mauvais goût dans ta bouche un lendemain de one-night juste parce que t’étais en manque la veille.
Quand tu vois toutes ces animations de mort, ces scènes d’explosions sans but apparent, ces cutscenes qui t’en mettent plein la figure, c’est pas un peu le même principe qu’un money shot à la fin d’une vidéo sur ton site porno préféré ? Le crescendo est quand même identique, non ? L’anticipation et l’attente que quelque chose de glorieux soit imminent, le tout couronné d’une décharge de courant. Pour l’un, c’est deux mains griffues qui t’arrachent la tête, pour l’autre, c’est deux doigts insérés qui t’arrachent un cri. Est-ce une mauvaise chose ?
Pas entièrement, mais ça me tue de voir que ça devient la norme, partout. Le jeu vidéo est un médium dynamique : j’entends par là qu’à travers ses qualités interactives, il a ce potentiel unique de conversation entre le joueur et le créateur.
Les jeux auraient à apprendre de l’érotisme. Une vie sexuelle bourgeonne sur l’imprévisible et la découverte; une expérience ludique brille à partir de ces mêmes principes.
J’aime décrire le sexe comme un dialogue. Tu passes outre le stade des mots et tu laisses tes autres sens prendre le relais avec ton ou ta partenaire. J’aimerais que mon industrie comprenne à quel point mettre un jeu sur des rails brise ce dialogue entre le joueur et le créateur qui n’a pourtant même pas besoin de mots.
Se faire diriger, c’est prévisible. Se faire tout donner l’est d’autant plus. Je préfère ces jeux encore trop rares qui m’invitent à prendre part à quelque chose que je ne comprendrai pas toujours. Des jeux qui acceptent l’idée que se perdre en chemin, ça arrive, et c’est correct.
L’exploration dans un jeu, c’est n’est pas que quelques dizaines de kilomètres carrés d’un monde fictif. C’est de comprendre, lentement mais sûrement, comment ce nouveau monde fonctionne. Ton partenaire — ludique ou amoureux — n’a pas été taillé sur mesure à ton image; cette phase mutuelle d’adaptation parsemée d’erreurs et d’apprentissage est un moment trop précieux pour être ignoré.
Parce qu’il y a plus que le fun dans un jeu, parce que le sexe ne s’arrête pas au climax et, surtout, parce que c’est seulement à deux qu’un dialogue peut commencer.
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Pour lire un autre texte de Simon-Albert Boudreault: Il y a typiquement deux réactions quand je dis que je travaille en jeu vidéo.