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Personne n’est immortel, mais mon subconscient voulait me faire croire que ma grand-maman l’était. I mean, c’était clair que jusqu’à la fin des temps, elle nous ferait des p’tits pains au poulet pour Noël, qu’elle nous garderait toujours une pointe de tarte aux pacanes quand on irait la visiter et que l’odeur de sa maison resterait à jamais la sienne.
Hélas, j’avais tort.
Vendredi, 23 octobre 2015
J’arrive de Montréal, il est près de 21 h et je me rends directement à l’Hôtel-Dieu de Québec. Je prends l’ascenseur et appuie sur le 4, étage de l’aile palliative où ma grand-maman y est installée pour les derniers jours de sa vie. Elle est dans un coma provoqué depuis presque une semaine pour éviter la souffrance.
Sa chambre est grande, les fenêtres aussi. Des fleurs autocollantes sont apposées sur le mur, question de donner un brin de pep à l’endroit. Je sais qu’elle n’a pas froid, car une épaisse courtepointe, cousue par ma mère, la recouvre. Dans la pièce, un lit simple se trouve à côté du sien.
Je ne sais pas si je devrais dormir ici ce soir. C’est déjà assez traumatisant de voir quelqu’un à la fin de sa vie, ce l’est encore plus de passer la nuit à ses côtés. Mais je souhaite donner un peu de support à ma mère qui est là quasi 24/7. Alors je reste.
Je me glisse dans les draps légers et je ferme les yeux. Je ne dors pas profondément, parce que la porte demeure entrouverte et les pas dans les couloirs résonnent jusqu’ici.
Tout est dark, lourd, extrêmement bizarre. Les infirmières viennent régulièrement pour s’assurer que “tout va bien”. La respiration de ma grand-maman est bruyante, j’ai l’impression qu’elle va lâcher à tout moment. Est-ce qu’elle sait que je suis là?
Mon cerveau s’embrouille, je suis à moitié assoupie.
Tout à coup, je discerne de l’agitation à l’extérieur. Quelque chose ne va pas, mais je force mon sommeil. Fuck that, je veux pas savoir ce qui vient d’arriver. Malgré moi, entre les bribes de conversation, je comprends que la dame de la chambre voisine vient de mourir. Les pleurs des inconnus sont tellement tristes, trop tristes et je m’oblige à ne pas les entendre.
J’ai hâte au matin.
Samedi, 24 octobre 2015
Le ciel est couvert à l’extérieur. Il va peut-être pleuvoir.
Je marche dans les couloirs en sachant que toutes les chambres devant lesquelles je passe sont habitées par des gens qui seront bientôt morts. Je croise une toute petite femme vêtue d’une jaquette verte qui vagabonde en pleurant. Je ne la regarde pas, par respect je pense et aussi parce que je ne veux pas m’immiscer dans son chagrin. Elle s’assoit sur un fauteuil avant qu’une infirmière ne s’approche d’elle et lui demande gentiment ce qui ne va pas.
Les infirmières, c’est bien la seule source de lumière sur l’étage 4.
Une autre femme tourne le coin en se déplaçant lentement, un pansement sur le nez. Accrochée à son soluté, il y a une poche de sang. Elle texte de sa main libre. À qui est-elle est en train d’écrire? Qu’est-ce qu’elle dit? Whatever, c’est pas de mes affaires.
L’air est pesant. Je me sens en prison, et je me trouve égoïste de penser de la sorte parce que moi, dans l’immédiat, je suis en santé et ne souffre pas.
Je dois sortir d’ici. Je quitte chez ma mère pour la nuit. Je reviendrai demain.
Dimanche 25, octobre 2015
Je n’avais pas été capable de parler à ma grand-maman jusque-là. J’étais gênée, presque mal à l’aise. Qu’est-ce qu’on dit à quelqu’un qui va mourir?
Je profite du fait que ma mère et ma sœur sont dans une autre pièce pour finalement lui parler. Je lui dis des choses simples, genre que j’ai mangé du chow mein la veille et qu’il fait nuageux dehors. Je veux aussi qu’elle sache qu’elle ne doit pas s’inquiéter pour moi. Je vais bien.
Je baisse ma voix et lui chuchote qu’on est tous là, avec elle, qu’elle peut partir, que c’est correct.
À cet instant, quelque chose de très étrange se produit.
Une petite larme se forme sur le coin de son œil. Elle m’a entendue.
Jamais de toute ma vie je ne l’avais vue pleurer.
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Quelques heures plus tard, elle pousse un dernier petit souffle et nous quitte, sans souffrance et entourée de gens qui l’aiment. Ses pommettes roses ont disparu, elle est froide déjà, mais c’est la plus belle grand-maman.
Il fait soleil.
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Elle nous a toujours dit :
“Quand grand-maman va partir, faut pas pleurer. Parce que pleurer, ça enlaidit.”
Sorry grand-maman, aujourd’hui, j’ai pas pu m’en empêcher.
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Pour lire un autre texte sur le même sujet : La mort libératrice d’Étienne Côté-Paluck.